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Niger: Bosso, ville fantôme meurtrie par Boko Haram

17 juin 2016, 21:45

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Niger: Bosso, ville fantôme meurtrie par Boko Haram

 

Silence de mort, rues et maisons désertées, cadavres d’humains en putréfaction, carcasses de chiens et de chèvres à l’abandon... Attaquée début juin par Boko Haram, Bosso est depuis une ville fantôme où se croisent l’armée nigérienne et de rares habitants.

Une sandale a été abandonnée au milieu de la cour d’une concession. Des casseroles, marmites et bidons sont éparpillés sur le sol. A l’intérieur d’une des maisons faites de terre et de paille, un matelas et des verres de thé brisés.

Derrière une tôle ondulée, une chèvre se décompose dégageant une odeur nauséabonde. A l’entrée, un sac entier de poisson fumé est éventré. Les habitants sont partis vite.

Attaquée par les jihadistes nigérians de Boko Haram le 3 juin, Bosso, dans le sud-est du Niger, est située à quelques centaines de mètres à peine du Nigeria et des bases arrière du groupe islamiste armé. Elle avait déjà été victime de plusieurs attaques jihadistes par le passé.

La ville de 6.000 habitants, qui accueillait 20.000 réfugiés et déplacés internes, s’est vidée en quelques heures le 4 juin au petit matin.

Civils tués

Officiellement, le bilan est de 26 soldats nigériens et nigérians tués, mais des civils aussi ont péri. Le corps d’un homme est encore présent dans un bâtiment du siège communal. Des témoins parlent d’autres corps disséminés dans la ville.

«Les cadavres jonchaient les rues», explique Abdelaziz Zembada, 50 ans, petit commerçant revenu à Bosso pour voir si les conditions du retour sont réunies.

Il a perdu sa fille de quatre ans. «On habite en face de la gendarmerie ciblée par la secte. Un voisin m’a conseillé d’aller chez lui. J’ai pris deux de mes enfants, Madame en a pris une. On est partis le temps de revenir la chercher (une autre de ses filles, ndlr), c’est là où l’obus est tombé. Ma fille était dedans avec les deux enfants de mon voisin... Elle n’a pas encore été inhumée», raconte-t-il.

L’armée a été submergée par l’attaque de Boko Haram. La caserne a été saccagée. On y découvre deux véhicules blindés ainsi que plusieurs camions et voitures brûlés. Les bâtiments et notamment les dortoirs ont été incendiés, seuls restent visibles des carcasses de lits.

Tous les bâtiments publics (gendarmerie, préfecture, mairie) ont aussi été saccagés. Comme une école de campagne de l’Unicef et le centre de santé où quelqu’un a marqué à la craie sur un tableau noir: «Boko Haram». Les jihadistes se sont également emparés de la plupart des 200 tonnes de céréales destinées aux populations dans le besoin et stockées dans un magasin.

«Les militaires sont là»

L’armée nigérienne dit avoir réinvesti les lieux, sans dévoiler ses effectifs. «Les militaires sont là. Un effectif conséquent, un dispositif nouveau, un autre moral», assure le ministre de l’Intérieur Mohamed Bazoum qui a conduit dans la cité une délégation d’une trentaine de véhicules, composée de deux ministres, députés et de personnel des agences onusiennes et d’ONG.

«D’ici quelques semaines, nous allons repeupler Bosso et les populations retourneront à leurs activités», assure-t-il. Sur place, les soldats sourient et lèvent le poing en signe de confiance.

Lors de la visite de la caserne saccagée, une vive discussion oppose le colonel de gendarmerie au préfet. «Partout où vous êtes, il y a un plan de défense. C’est ça qu’il faut mettre en oeuvre. Pas plus!», déclare le colonel. «C’est facile de dire ça!» lui rétorque le préfet soulignant qu’il a défendu la place jusqu’à 21H00 le 3 juin avant de décrocher.

Dans le dédale des rues sablonneuses, on ne croise personne ou presque. Nourris par l’armée, quelques vieillards qui n’ont pas pu fuir attendent le retour de leurs proches.

Des habitants font le va-et-vient entre les villes voisines pour récupérer des affaires, comme El Hadj Abba Makani qui charge tout ce qu’il peut sur un vieux 4x4. «La nuit du 3, on l’a passée sur le toit et le matin on a fui à pied avec toute la famille», raconte ce commerçant nigérian, aux deux épouses et dix enfants. «On a peur mais si tout le monde revient, on reviendra».

«On est découragés. On veut que les gens reviennent», assure Souleymane Salissa, coiffeur, qui fait aussi fonctionner un petit groupe électrogène pour charger les téléphones. Sa boutique et sa maison ont été pillées mais il est revenu et survit grâce à la clientèle des soldats.

«On veut qu’on nous aide en nourriture, en eau et qu’on arrange la téléphonie mobile et l’électricité», poursuit-il, confiant en l’avenir: «On voit que ça va mieux même si hier on a entendu des rafales. Si on entend +Allahou Akhbar+ (Dieu est le plus grand, crié par des combattants de Boko Haram), c’est là qu’on doit s’inquiéter!»