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Amar Deerpalsing, président de la Fédération des Petites et moyennes entreprises : «Les promesses du Budget n’ont pas été tenues»

8 juin 2016, 08:34

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Amar Deerpalsing, président de la Fédération des Petites et moyennes entreprises : «Les promesses du Budget n’ont pas été tenues»

Amar Deerpalsing fait le point sur l’évolution du secteur des Petites et moyennes entreprises sur l’échiquier économique. Il met en exergue les faiblesses du secteur et les facteurs susceptibles de l’empêcher de développer son potentiel de croissance.

Avec le changement de gouvernement, y a-t-il eu une évolution dans la manière que l’État gère les nombreux problèmes auxquels font face les Petites et moyennes entreprises (PME) ?
Non, il n’y a pas vraiment eu d’évolution et c’est le statut quo. Tout ce qui a été promis dans le Budget n’a pas été réalisé. Les Rs 10 milliards sont restées comme une promesse. Les parcs industriels n’ont pas été construits. Si l’on se fie à la réponse fournie à l’Assemblée nationale par rapport aux nombreux projets présentés, seules deux PME ont pu obtenir leur financement auprès de la MauBank.

Le gouvernement a apporté son aide dans ce secteur, à l’instar du «Small and Medium Enterprise (SME) Financing Scheme», des «Incubators», entre autres. Comment utiliser cette aide pour que les PME tirent de meilleurs bénéfices ?
Le SME Finance Scheme a été introduit en 2011 alors que Xavier-Luc Duval était toujours ministre des Finances. C’est un programme de financement qui a été très fructueux et je crois qu’on a dépassé les Rs 5 milliards.

Ensuite, il n’y a pas d’institutions gouvernementales. L’entrepreneur va directement à la banque pour examiner la viabilité du projet. Les incubateurs sont, eux, encore au stade embryonnaire et c’est toujours à l’étude car ils n’ont pas encore commencé. MyBiz, le guichet unique regroupant les services destinés aux PME, a été mis en place en décembre. Plus de 6 000 personnes ont visité MyBiz, mais peu de projets ont été approuvés. Seulement deux projets ont été financés jusqu’ici. Il faut revisiter le projet MyBiz. Il est nécessaire de revoir les conditions qui, à mon avis, sont trop exigeantes et trop difficiles à satisfaire.

Pensez-vous qu’un «business plan» peu viable serait la cause des piètres résultats des initiatives prises ?
La conception d’un business plan est la dernière étape d’un projet de création d’entreprise. Avoir recours au guichet unique qu’est MyBiz, a presque coïncidé avec la mise en oeuvre du SME Development Scheme. L’objectif de ce scheme consiste à créer des conditions pour inciter les petits et moyens entrepreneurs à s’investir dans des domaines dont le potentiel n’a pas encore été exploité par les PME conventionnelles. Ces start-up doivent montrer qu’elles sont capables de tirer profit du potentiel des six secteurs d’activités envisagés comme le manufacturier, l’agriculture raisonnée, l’économie bleue, entre autres. Ce sont des secteurs très difficiles surtout pour les jeunes qui débutent.

Les seasoned entrepreneurs, à Maurice, n’ont pas beaucoup d’expérience alors qu’ils devraient avoir des années de pratique. Demander aux jeunes qui n’ont pas suffisamment d’expérience dans le domaine de l’entreprenariat de se lancer dans des secteurs d’activités représente donc un risque. L’ancien ministre des Finances a été à l’île soeur pour voir ce que les Réunionnais ont accompli chez eux. Un protocole d’entente a même été signé à La Réunion pour le transfert des technologies.

La mise en place d’un projet dans ces secteurs nécessite aussi un apport conséquent en termes de capital d’investissement. C’est ce qui explique le nombre restreint de projets soumis, ainsi que la quantité minime des projets qui ont abouti. Si ces secteurs avaient, toutefois, donné une opportunité à des entrepreneurs plus expérimentés, avec les mêmes conditions, beaucoup plus de projets auraient peut-être été approuvés.

La révision des critères et des conditions d’éligibilité aux avantages, associée au «SME Development Scheme», changerait-elle la donne ?
Les critères et les conditions de ce SME Development Scheme sont destinés à de jeunes entrepreneurs. Ils ne sont pas adressés à ceux qui sont déjà dans les affaires. Pourquoi cela n’a pas marché ? Ce sont des secteurs, par exemple celui de l'économie bleue, de la technologie de l’information et de la communication, qui se développent lentement et qui sont toujours inconnus des Mauriciens. Le secteur du développement des logiciels en est encore à ses balbutiements alors que celui du manufacturier est le plus difficile. En ce qui concerne l’agriculture raisonnée, nous commençons à peine à vulgariser le concept.

Il est également très compliqué de réussir dans le domaine de l’artisanat car les artisans locaux doivent faire face à la concurrence des produits importés. Les produits artisanaux ne sont pas protégés sur le marché local et le secteur en souffre déjà.

Le gouvernement est, lui, en train de revoir le concept d’artisanat avec pour objectif de relancer ce secteur. Des rencontres ont été effectuées pour trouver un terrain d’entente afin de protéger les produits artisanaux locaux.

L’ancien ministre des Finances Vishnu Lutchmeenaraidoo a voulu que le dernier exercice budgétaire s’articule autour du potentiel des PME. L’actuel ministre devrait-il maintenir cette position et inclure ce secteur dans ses priorités pour le prochain Budget ?
Avoir de bonnes intentions ne suffit pas si on veut réussir dans ce secteur-là. Il faut d’abord connaître les difficultés auxquelles fait face la majorité des PME. La première difficulté, c’est notamment l’accès au financement avec les autres frais bancaires qui sont très onéreux.

La pénurie de main-d’oeuvre est aussi un inconvénient et beaucoup de Mauriciens, en général, ne veulent plus travailler dans les usines. Pour faire tourner la machine, solliciter la main-d’oeuvre étrangère est, ainsi, le dernier recours de l’entrepreneur. Mais c’est une solution qui pèse lourd dans son budget et qui représente des désagréments administratifs associés aux procédures pour l’obtention de permis pour l’importation de cette main-d’oeuvre étrangère.

Les PME rencontrent, par ailleurs, beaucoup de difficultés pour vendre leurs produits. Les opportunités dont elles bénéficiaient jusqu’ici ont été considérablement réduites avec l’avènement des centres commerciaux. Ce nouveau mode de consommation est, d’ailleurs, à l’origine de la fermeture des boutiques traditionnelles. Les chaînes de supermarchés sont contrôlées par quelques groupes qui imposent des conditions d’accès et les PME ne peuvent pas se les permettre.

On assiste à l’émergence d’une concurrence frontale au niveau international avec les pays du sud-est asiatique où la main-d’oeuvre et les ressources sont abondantes et le prix abordable, comparativement à celles de Maurice. La cherté du marketing des produits est aussi devenue une barrière pour faire évoluer les PME dans notre pays.

Le développement des PME n’a pas été associé à celui des industries principales car les plus grandes, celle du sucre par exemple, font tout elles-mêmes : elles ont recours à l’intégration verticale et horizontale au sein de leurs entreprises. Et les PME n’ont pas été impliquées dans le développement des produits associés à la canne tels que la bagasse, l’énergie, l’éthanol, la mélasse et l’alcool. Il en est de même pour l’industrie du tourisme. Maintenant, avec l’avènement du concept All Inclusive, on assiste de plus en plus à une tendance des hôtels à tout faire par elles-mêmes. Du coup, les touristes ne sortent presque jamais des hôtels.

Les usines manufacturières sont très concentrées. Les gros opérateurs font aussi tout eux-mêmes. Très peu de PME veulent évoluer autour de l’industrie du textile. Dans la grande distribution, ce sont les mêmes qui importent, qui distribuent. À Maurice, il existe peu d’opportunités pour les PME qui souhaitent se développer. Le secteur est en train de stagner, bien qu’il dispose d’un énorme potentiel de croissance et de développement. Ici, c’est un parcours du combattant pour démarrer un business. Il faut de nombreux permis.

L’introduction d’un salaire minimum à Maurice pourrait potentiellement poser des problèmes à certaines PME. Comment allez-vous vous conformer aux exigences de cette législation ?
C’est un faux débat parce que le salaire minimum existe déjà à Maurice. Il y a 27 secteurs qui sont couverts par les Remuneration Orders. Et ceuxci sont émis par le National Remuneration Board. Aujourd’hui, il n’est pas vrai de dire que l’on peut payer quelqu’un ce que l’on veut. Tous les secteurs d’activités, à quelques exceptions près, sont couverts par les Remuneration Orders. Ceux-ci englobent également les conditions d’emploi ; par exemple, les congés maladie, les congés annuels, les horaires de travail. À moins que ce ne soit un secteur qui n’est pas couvert ou qui émerge. C’est alors le rôle du National Remuneration Board de présenter une nouvelle promulgation pour ce secteur. Quant aux salaires et conditions de travail, il s’agit du rôle de tout le monde de bien peser le pour et le contre. On ne parvient à atteindre tous les objectifs concernant la protection de l’intérêt de l’employé que lorsqu’il y a le plein emploi. C’est à ce moment que l’employé se retrouve en position de force. Pour attirer les employés dans une condition de plein emploi, l’employeur doit offrir beaucoup d’incitations. On ne peut pas protéger l’employeur en tuant l’emploi. En faisant cela, on crée plus de chômage. Chacun doit prendre ses responsabilités (gouvernement, syndicats et employeurs). Les entreprises ne vont pas exister si elles ne font pas de profits. La tendance aujourd’hui est de voir que beaucoup de secteurs ont gardé leur niveau de production tout en diminuant leurs effectifs.

Aujourd’hui on fait de la compétition internationale. Et pourtant, on ne bénéficie ni de filet de protection sur le marché local et ni d’accord préférentiel sur le marché international. Un nouveau phénomène vient de faire son apparition. Les grosses entreprises sont devenues plus productives. Cela grâce à une réduction de leurs ressources humaines. De l’autre côté, la productivité des PME, elle, a baissé, car celles-ci n’ont pas pu investir dans de nouvelles technologies et encore moins s’équiper de machines sophistiquées, faute de moyens financiers. Ce sont des facteurs qui ont fragilisé davantage la situation déjà difficile des PME.

Le gouvernement encourage les PME à voir au-delà des limites du territoire mauricien et à s’engager dans l’exportation. Quels sont les défis que représente cette stratégie pour le secteur ?
Les PME exportent déjà dans les secteurs manufacturiers, essentiellement le textile. Malheureusement, il n’y a pas beaucoup d’incitation à l’exportation. Elles ont alors des difficultés à faire tourner la machine et à honorer les commandes. Pour ces raisons, nombreuses sont les entreprises qui songent sérieusement à délocaliser leurs activités. Les offres alléchantes des pays où le chômage fait rage constituent un facteur susceptible d’accélérer la tentative d’aller voir ailleurs.

Maurice n’est pas le seul endroit où les entrepreneurs mauriciens peuvent produire ou développer leurs activités. Si on veut encourager les entrepreneurs à continuer à investir, il faut éliminer les lourdeurs administratives. Pour ce faire, il faut que l’administration tienne compte des difficultés auxquelles les entrepreneurs doivent faire face, reconnaisse leur valeur et le fait que les entreprises mauriciennes sont courtisées partout dans le monde.

À Maurice, on fait beaucoup d’efforts pour attirer l’investissement étranger direct, mais pas assez pour retenir les entrepreneurs qui sont déjà ici. Il ne faut pas se voiler la face. Sans croissance, il n’y aura pas de création d’emplois. Donc, on a besoin des entreprises qui sont déjà en opération. Il est nécessaire d’inciter tous ceux qui veulent se lancer dans des activités capables de contribuer à réaliser la croissance économique dont le pays a besoin pour atteindre un taux qui se situe au-delà de 5 %.

D’ailleurs, la moyenne du taux de croissance a été qualifiée d’anémique dans le dernier Budget. L’ambition de Maurice de s’inscrire sur la liste des pays à haut revenu ne sera jamais matérialisée si en premier lieu, on ne parvient pas à améliorer le niveau de compétence des employés et des jeunes qui ont terminé leur scolarité. Et en second lieu, si on n’ouvre pas nos frontières aux étrangers.