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Père Jean-Philippe, le curé qui veut sortir les prostitués du Bois

20 mai 2016, 13:20

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Père Jean-Philippe, le curé qui veut sortir les prostitués du Bois

 

Élevé par un père alcoolique et incestueux, violé par un voisin à 12 ans, en maison de correction à 13: le père Jean-Philippe Chauveau se présente comme un «résilient de la grâce». Cet été, il ouvrira les portes d’un ancien couvent aux prostitué(e)s du Bois de Boulogne qui veulent décrocher.

Veste de jogging sur sa bure grise, lunettes à épaisse monture noire: l’homme de 65 ans qui surfe sur son smartphone entre les photos d’un «voyage génial à L.A.» et Street view jure avec l’image d’Epinal du curé loin du siècle.

Il vient de remiser son scooter au garage, après un accident survenu en rentrant du mariage homosexuel «d’une copine du Bois avec son compagnon» : «ça doit être Dieu qui m’a puni!», s’amuse-t-il.

De son enfance dans une cité HLM de La Garenne-Colombe (Hauts-de-Seine), celui que ses fidèles surnomme «Padre» a gardé un langage peu châtié, le tutoiement immédiat et un côté écorché vif. «Je n’étais pas Jacques Mesrine, mais j’aurais pu mal tourner».

Et d’égrainer comme un chapelet l’enfance pauvre auprès d’un père «buveur très pratiquant» et incestueux, les vols à l’étalage, les pensions et maison de correction. Et le viol, à l’âge de 12 ans, par un voisin: «J’ai pardonné mais mon corps n’a jamais oublié».

Après cette jeunesse traumatique, Philippe Chauveau - son nom de baptême - a trouvé la porte de sortie grâce à un très pieux collègue ouvrier des ateliers Peugeot : il sera prêtre, version aumônier des galères.

Toxicomanes, prisonniers, prostitués, sa carrière apostolique ressemble à un inventaire de la marge. Depuis près de 20 ans, c’est avant tout dans les allées du Bois de Boulogne, à pied puis au volant d’un camping-car, qu’il exerce son ministère.

Là, avec des bénévoles de l’association Magdalena qu’il a fondée, il propose aux travestis et transsexuels du café, des médailles miraculeuses et de l’écoute. Prie avec ces «dames», signe leur front figé sous le fond de teint. Et évite d’avoir à distribuer lui-même préservatifs et gel lubrifiant - «ce n’est pas mon rôle», dit-il.

Potager et ciergerie 

De ces tournées, il raconte les «beaux moments», mais aussi la dureté de la prostitution du «Bois», «pas choisie». «Je n’oublierai jamais ce jeune Brésilien effondré, perruque de travers et barbe sous son maquillage. Il avait été tiré au sort parmi ses 13 frères et soeurs: c’est lui qui avait dû partir pour ramener de l’argent. Il ne voulait pas retourner dans le bois».

«On parle du +plus vieux métier du monde+, vous parlez d’un métier! Si on créait des écoles de prostitution, qui y mettrait ses enfants?», s’énerve-t-il, les yeux humides.

Alors, le curé a voulu faire plus. Il y a d’abord eu les pèlerinages à Lourdes, une fois par an : «Faut imaginer la tête des gens dans le TGV quand un curé débarque avec 15 travestis surexcités!». Puis a germé l’idée d’une «maison fraternelle où elles pourraient apprendre à vivre».

L’évêque de Meaux, Jean-Yves Nahmias, lui a confié les clés d’un ancien couvent à Ecuelles, une commune de 2.500 habitants en Seine-et-Marne. Il fait désormais des aller-retours entre Orléans, où sa communauté l’a affecté, Boulogne, - pour «garder le contact avec les filles»-, et la future «maison Magdalena».

Là-bas, il imagine un potager, des poules, des cours de français et d’informatique et une ciergerie - une apicultrice y installera des ruches et une entreprise de bougies lui a assuré des commandes.

Les six premières pensionnaires signeront des contrats de six mois, renouvelables une fois: «il faut qu’elles aient rapidement des fiches de paie : le but est la restructuration - réapprendre à vivre le jour, à prendre soin des autres - et la réinsertion».

Alors que sa «maison», l’Eglise de France, est secouée par des scandales pédophiles en série, l’ancienne victime parle d’abord de «compassion» envers les auteurs, et de «démarche de pardon et de réconciliation». L’Eglise n’a-t-elle pas fait preuve de négligence? Soudain laconique, il admet: «On avait peut-être besoin de se faire botter le cul».