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Daniel Babet:«Je ne milite pas pour la dépénalisation généralisée»

15 mai 2016, 19:00

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Daniel Babet:«Je ne milite pas pour la dépénalisation généralisée»

Barbiche blanche et regard caramel, Daniel Babet, alias ras Tempest, est un «elder», un patriarche de la communauté rasta. Il ne s’engage pas pour une dépénalisation nationale du gandia mais défend un permis à joints en faveur des siens.

Pourquoi devient-on rasta ?
Un rasta est un croyant. Il croit en Jah Rastafari et en la divinité de l’Homme. Nous sommes tous des étincelles de divin.

Le rastafarisme est donc une religion ?
C’est aussi un mode de vie, une philosophie qui nous enseigne que nous sommes tous maîtres de notre destinée. C’est un principe de base de la pensée rasta.

Combien d’adeptes sur l’île ?
C’est difficile à évaluer. La majorité des rastas sont des gens qui ressentent le besoin de «se réafricaniser», de se réapproprier leurs racines africaines. Il y a une dimension identitaire forte.

Pour beaucoup de gens, ce mouvement se réduit au gandia, au reggae et au folklore vert-jaune-rouge…
La plupart des gens se contentent de ce qu’ils voient en surface. Cerner le rastafarisme est périlleux car il existe sous cette bannière une dizaine de courants.

Quelle est la branche la plus représentée à Maurice ?
L’Ordre de nyabinghi. C’est la mouvance la plus ancienne et la plus traditionnelle. Elle cohabite avec d’autres comme les Douze tribus d’Israël (une communauté férue d’astrologie et d’ésotérisme, NdlR) ou les Bobo Shanti (des traditionalistes qui mènent une existence stricte et recluse, NdlR).

Les préceptes varient-ils selon les communautés ?
Oui, même si l’on retrouve des traits communs. La plupart des rastas évitent l’alcool, la viande, la violence, la politique. Mais chaque individu est libre d’élaborer ses propres règles. Je connais beaucoup de rastas qui ne fument pas.

Pourquoi cet usage sacramental du gandia ?
Pour nous, le gandia est une herbe sacrée qui permet de s’élever vers Dieu. Fumer fait partie de nos rites, c’est une façon de se fondre avec le Créateur.

Vous plantez ou vous achetez ?
(Rire gêné) Péna later, pa kapav planté… cela ne m’empêche pas de fumer depuis 40 ans.

Jamais d’ennuis ?
J’ai connu la prison : deux fois à Alcatraz, une fois à Beau-Bassin, 63 jours en tout. Cette expérience a été douloureuse mais elle m’a enrichi.

Comment vivez-vous l’illégalité du gandia?
Comme une menace permanente sur ma liberté de culte. Je n’ai pas aimé ce qui s’est passé dans la rue. Des jeunes qui manifestaient pacifiquement ont reçu une réponse brutale, c’est chagrinant. Je suis solidaire et fier de ces jeunes, de leur détermination, de leur audace, mais leur combat n’est pas le mien.

C’est-à-dire ?
Je ne milite pas pour la dépénalisation généralisée. Mon combat, c’est la reconnaissance du mouvement rasta. Le respect de nos traditions, nos rites, notre culture, c’est ce qui m’importe.

Une Rasta Personal Law ?
Peu importe la forme. Le gandia est un élément fondamental de notre culture. Toute personne de foi rasta devrait pouvoir fumer et cultiver du gandia sans encourir de sanction. En Inde, les sâdhus fument librement, on les respecte.

Mais le Premier ministre ne veut pas en entendre parler. Ça vous met en pétard?
Pas du tout. C’est le chef du pays, il a le droit de s’exprimer. Nous devons continuer à dialoguer dans le respect et la discipline. Bizin asizé, ékouté. La pire des choses serait de rompre le dialogue.

L’herbe est-elle seulement une pratique religieuse ?
C’est aussi une démarche spirituelle. L’herbe est une clé qui permet de s’ouvrir à soi-même, de mieux se connaître pour mieux connaître les autres. Li pou nou lespri, pou nou kapav réflési. Or, les gouvernants n’ont pas intérêt à ce que les peuples réfléchissent. Par contre, ils ont intérêt à ce que l’alcool coule à flots, à ce que les seringues circulent, histoire de bien abrutir les masses pour mieux les manipuler. «Travaillez, travaillez et travaillez encore», ce bourrage de crâne sévit à haute dose.

Vous ne travaillez pas ?
Mon esprit travaille. Et il me dit que l’homme est fait pour être libre et pas esclave du travail, de l’argent et des biens matériels.