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Analyse: un port pour qui ?

15 avril 2016, 20:37

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Analyse: un port pour qui ?

Entre le 5 mars et le 5 avril, 45 bateaux différents ont accosté à Maurice et ont été déchargés ou, a contrario, ont pris du fret. Nous n’avons qu’un port qui opère pour le moment. Le port est donc un monopole. Ce qui fait qu’autant on utilise l’épouvantail du risque stratégique qu’il pourrait représenter pour le pays pour s’opposer à l’intervention d’une compagnie étrangère, comme DP World, parlant de risque à la «souveraineté nationale» ; autant faut-il craindre que ce même port ne devienne d’importance stratégique telle pour ses employés et son syndicat que ce sont eux qui tiennent finalement le pays en otage!

Cela s’est déjà vu, évidemment.

Ce qui m’inquiète au plus haut point en tant que citoyen c’est que d’une part, le point névralgique qu’est le port ne soit jamais utilisé pour le bénéfice de quiconque ou pour certains contre le pays, DP World compris. D’autre part, que nous puissions nous affranchir des intérêts particuliers actuellement enracinés, pour favoriser les occasions d’emplois nouveaux, l’ouverture et les gains d’efficience qui garantiraient que nos importations ne coûtent pas plus cher que nécessaires à être débarqués avant d’être consommés et que nos exportations ne paient pas plus que ce que paient nos concurrents les mieux desservis.

Pour répondre au premier impératif, il me semble qu’il faut, soit un deuxième port (Mahébourg?), avec une structure opérationnelle (et syndicale!) différente, soit encore une position de repli qui assure que le blocage du port ne soit pas, jamais plus, utilisé pour extraire des avantages, par exemple salariaux, aux dépens de la nation. Je me suis déjà exprimé sur la question dans le passé. Par exemple, concernant la grève du CEB de mars 1990, je trouvais inacceptable de mettre le pays aux arrêts au profit de certains. Je ne suis pas contre les augmentations salariales raisonnées et raisonnables. Je ne suis pas non plus contre le droit de grève. Loin de là. Mais cela ne peut pas être acceptable dans les services dits essentiels. Les employés de la MBC peuvent faire grève jusqu’à la nuit des temps s’ils le souhaitent, mais dans les services essentiels que sont, dans une île de notre taille, des monopoles naturels comme le port, le CEB, peut être l’aéroport, la CWA… Soit on interdit la grève et on paie en conséquence, soit nous avons un plan B, comme par exemple une SMF entraînée, pour prendre le relais là où c’est possible. Soulignons, en passant, que si DP World fait affaire, elle ne sera présente que de manière minoritaire dans la Cargo Handling Corporation (CHC)… 40% dit-on.

INFO PAS DISPONIBLE

Dans le port, la situation est pourrie depuis longtemps déjà par une concoction explosive faite de monopole de services essentiels, de syndicalisme radical n’hésitant pas à mettre le pays à genou, d’interventionnisme politique souvent mou et complaisant.

La CHC ne semble pas très intéressée à publier ses comptes. Cette information n’est pas disponible sur son site web, mais des bilans comparés permettent de dire que ce monopole qui possède plus d’un milliard d’actifs (et un good will de presque Rs 400 millions !) avait un déficit de fonds propres époustouflant de Rs 584 millions à fin décembre 2013 ! Un an plus tard, le gouvernement injectait Rs 323 millions d’argent public, ce qui laissait quand même une insuffisance de fonds propres de Rs 242 millions. On peut estimer le profit annuel de la CHC a environ Rs 100 M. Le chiffre le plus effrayant est peut-être l’insuffisance des fonds de pension (Retirement benefit deficit) qui se montait, à décembre 2014, à Rs 444 M (il n’était qu’à Rs 50 M à fin décembre 2012, c.-a-d. AVANT la dernière augmentation salariale de 22% consentie avec effet rétroactif à partir de janvier 2013…)

C’est sur cette toile de fond que le syndicat des MM. Subron, Martin et Edouard réclament une augmentation de 20% de plus ! Faute de quoi il pourrait y avoir de «graves conséquences», disent-ils. On se doute desquelles… À une récente conférence de presse, le Chairman de la CHC déclarait que cela coûtera Rs 400 M de plus à la compagnie et que cela demandera une augmentation de tarif du même ordre. Le consommateur mauricien devra, lui, payer, bien sûr. Puisqu’il n’a pas le choix ! Mais une compagnie de transbordement (environ 50% du volume d’affaires de la CHC) pourrait, quant à elle, choisir de ne pas payer – si elle trouve moins cher et plus efficient ailleurs, dans la région ! Ça, c’est pour l’effet direct : nos importations coûteront un peu plus cher et la CHC pourrait perdre des clients. Mais il faudra aussi augmenter la contribution de la CHC pour provisionner les plans de pension! Cela voudra dire une compagnie d’état de plus qui fait des pertes. Ça ne nous rappelle pas la Grèce tout ça? Le «vivre au-dessus de ses moyens» aux dépens des autres?

Cette augmentation de 20% pourrait-elle être nécessaire pour rendre «justice» aux employés?

Pas si l’on se réfère au «take home pay» des employés de la CHC dans le Tableau I. Ce qui frappe d’emblée dans ce tableau c’est que le «take home pay» (colonne 2) qui comprend le boni, les heures supplémentaires, les primes de toutes sortes, soit au moins le double et parfois le triple du «BASIC SALARY» de la première colonne. La 3e colonne représente le maximum jamais payé à chaque catégorie d’employés.

Si on se contente de regarder le salaire brut mensuel, les plus mal payés sont les deux réceptionnistes avec Rs 31 851 par mois, mais le moins que l’on puisse dire c’est qu’à la CHC on est déjà grassement payé ! D’ailleurs une simple analyse de ces salaires démontre une pyramide d’emploi plutôt troublante étant à l’inverse de celle du pays (voir tableau II). Il n’est pas étonnant dès lors que ceux qui travaillent à la CHC tentent par tous les moyens d’y faire entrer leurs fils et que l’on considère même cette demande comme un «droit acquis», malgré l’Equal Opportunities Act.

Il n’y a pas à dire, au port, on sait reconnaître du bon quand on le voit !

Ainsi la question posée en titre : un port pour qui ?



PRODUCTIVITÉ DU PORT

L’arrivée d’un partenaire étranger dans le port n’est pas un acte de générosité, mais plutôt une décision motivée par une recherche de productivité accrue qui mènera ellemême à une activité (un chiffre d’affaires) améliorée, ce qui créera, au bout du compte, de l’emploi. Les discussions actuelles avec DP World, qui gère plus d’une soixantaine de terminaux portuaires de par le monde, interviennent dans ce contexte. L’espoir du gouvernement c’est que les activités générées dans le Special Economic Zone de Jin Fei pourraient créer 8 000 emplois additionnels liés au port. Pour cela, il faudra évidemment faire avancer la productivité (voir Tableau III qui résume la productivité des meilleurs ports d’un nombre choisi de pays). Le moins que l’on puisse dire, c’est que malgré une progression de 17-18 «mouvements» de conteneurs par heure en 2012-2013 à 21-22 aujourd’hui, grâce notamment à des équipements plus modernes, il nous reste bien de la marge…

La productivité de notre port s’améliorera grâce à une compagnie comme DP World parce qu’elle investit dans des équipements plus performants et qu’elle change les méthodes de travail et elle a, évidemment, besoin de temps pour récolter le fruit de ses efforts (40 ans ?) Mais ce n’est pas le seul facteur, bien évidemment. Le positionnement du port par rapport à la route utilisée, le temps d’attente dans le port ainsi que le coût des opérations portuaires payables par le «porte-conteneur» pèsent lourds aussi.

 

Tableau 1 by L'express Maurice