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Yannick Cornet: «Maurice n’a pas les moyens financiers pour préserver son patrimoine»

14 avril 2016, 19:23

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Yannick Cornet: «Maurice n’a pas les moyens financiers pour préserver son patrimoine»

Si des sites viennent tout juste d’être inscrits en série au patrimoine national, le président du conseil d’administration du National Heritage Fund (NHF), Yannick Cornet, indique qu'il y a un manque criant de moyens de l’État.

Douze sites classés patrimoine national jeudi. Déjà deux autres la semaine dernière. C’est quoi cette frénésie de classement?

Ce n’est pas une frénésie. Il y avait beaucoup de dossiers en cours…

Datant de l’ancien régime?

 Ces dossiers n’ont pas abouti pour des raisons de courage politique. De mémoire, la dernière chose qui avait été classée, c’était la statue de sir Seewoosagur Ramgoolam au front de mer, à Port-Louis, en 2008. En classant 12 sites religieux et culturels, qui ont une signification pour différentes couches de la population…

… Personne n’a été oublié?

Nous avons essayé de n’oublier personne. C’est une volonté de reconnaissance nationale de la contribution de tout un chacun. Par exemple, Al-Aqsa est la première mosquée et Kwan Tee est la première pagode. À ce titre, elles ont une valeur nationale.

Ne craignez-vous pas de fragmenter l’identité nationale ?

 Nous sommes en train d’accepter la division. Si tous les Mauriciens n’arrivent pas à accepter que toutes ces composantes font partie de leur culture, c’est eux qui ont un problème, pas nous.

Concrètement, comment contribuez-vous à une meilleure connaissance de l’autre?

Notre job c'est de faire la promotion de l’aspect culturel de chacun de ces 12 sites. Aujourd’hui, beaucoup de Mauriciens ne savent pas qu’Al-Aqsa était la première mosquée construite chez nous. Pour beaucoup, c’est la Jummah Mosque. C’est à nous de communiquer dessus.

Comment cette liste de 12 sites et monuments a-t-elle été établie ?

Toutes les organisations socioculturelles qui reçoivent une subvention de l’État ont été consultées. Cela date de 2011. Le projet a pris deux ans avant d’être finalisé. Sauf qu’il avait toujours été retardé. Le Gahlot Rajput Maha Sabha a choisi la statue de Maha Rana Pratab, à Bell-Village, un personnage qui a plus d’importance à leurs yeux qu’un lieu de culte. Nous avons eu le courage politique de le faire. La culture du Parti mauricien social-démocrate (PMSD) est de prendre tout ce qui est bon, de le finaliser pour le bien du public.

Lequel PMSD était déjà dans le précédent gouvernement…

Nous n’étions pas aux Arts et à la Culture.

Mais vous étiez dans le précédent gouvernement…

Allez voir les résultats des ministères PMSD à l’époque. On ne peut pas dire qu’un projet fait avant n’est pas bon sans l’étudier.

Vous envisagez de classer encore d’autres sites patrimoine national ?

Oui, mais on ne sait pas exactement quand.

Des sites recommandés par le rapport de la Commission Justice et Vérité?

Il y aura de tout. Nous avons une liste de patrimoine potentiel de plus de 100 items. Cela fait son chemin.

Vous êtes très fier des 17 nouveaux patrimoines nationaux inscrits en 15 mois de pouvoir. Mais la critique contre le NHF qui revient le plus souvent, c’est son impuissance à protéger le patrimoine existant…

 Ce qui existe déjà n’est pas laissé à l’abandon, il y a un suivi. Le NHF est avant tout un monitoring body. Nous nous assurons que les gens ne détruisent pas les sites, au maximum de nos possibilités.

Votre équipe est squelettique…

 Nous avons quatre fonctionnaires pour toute l’île (NdlR : et 177 sites déjà classés) et un budget annuel de Rs 3 millions pour la sauvegarde du patrimoine. On fait le maximum. Pour le patrimoine potentiel, on essaie d’avoir une oreille attentive. On prête aussi une oreille aux collectivités locales qui reçoivent des demandes de building permits et de demolition orders. Dès qu’elles ont affaire à de vieilles pierres, elles prennent contact pour demander une clearance. C’est une perception que certains ont que les choses ne bougent pas.

Le NHF ne s’occupe pas que des bâtiments mais aussi du patrimoine intangible, dont le sega tipik. Bientôt le bhojpuri geet gawai. On attend la réponse de l’Unesco pour novembre de cette année. Récemment, on a aussi envoyé le dossier du séga tambour de Rodrigues à l’Unesco. C’est vrai que notre équipe et notre budget ne sont pas suffisants. Il nous faudrait 50 fois plus pour rénover les sites, comme le souhaitent certains Mauriciens.

Pas vous ?

Il y a des propriétaires de sites qui, dès que c’est classé patrimoine national, délaissent le bâtiment, estimant que c’est à l’État de s’en occuper. L’État est un facilitateur et non le tuteur, entre guillemets des sites. Chacun doit assumer ses responsabilités.

Avez-vous le pouvoir d’obliger les propriétaires à assumer leurs responsabilités?

Il y a des sanctions dans la loi. Ce n’est pas grand-chose. Elles ne sont prises que quand quelqu’un endommage un site. Si on considère l’Hôtel de ville de Curepipe, par exemple, il faut Rs 70 millions pour le rénover.

C’est comme par hasard une mairie PMSD…

 Comme par hasard.

Mais si le propriétaire n’a pas les moyens de rénover?

L’aspect financier bloque beaucoup de choses. Le gouvernement n’a pas les fonds nécessaires pour les injecter dans la préservation des sites. On essaie de trouver des accords avec le privé mais, dans la conjoncture actuelle, ce n’est pas facile de trouver autant de fonds, comme le veulent des Mauriciens. Pour la plupart, la priorité, c’est d’avoir un toit, un boulot. Il y a peut-être 10% de la population qui a le souci de la préservation, gouvernman bizin met kas. Je le répète, Maurice n’a pas les moyens financiers pour mettre en état ses sites.

Il ne reste plus que les yeux pour pleurer ?

On essaie tant bien que mal de glaner des fonds du privé, sachant que le CSR a été banni, entre guillemets. Certains sont réceptifs. On colmate ce qu’on peut.

Que colmatez-vous ?

Nous travaillons sur la Tour des Hollandais à Vieux Grand-Port. Il y a aussi un site classé dont la rénovation a été parrainée par Airports of Mauritius dans le Sud. L’avantage qu’on a aujourd’hui, c’est que le NHF travaille en collaboration avec des ONG très en vue.

Comme SOS Patrimoine en péril…

Cette ONG a un membre sur notre board. Dans le passé, les ONG criaient dans le désert et le NHF poursuivait sa route. Aujourd’hui, on essaie d’accorder nos violons. Il y a une incompréhension de notre rôle, d’où la perception d’impuissance. La loi ne nous donne pas tous les privilèges que la population aurait aimé que nous ayons. Nous travaillons aussi sur Fort-Albert, à Baie-du-Tombeau. Il paraît qu’il y a des bunkers souterrains là-bas. On a lancé le projet du donjon Saint-Louis, où il faut nettoyer à nouveau.

C’est votre circonscription ?

Le ministre Alain Wong et son équipe avaient nettoyé l’an dernier mais le site a été à nouveau envahi par la végétation. Nous cherchons une solution à long terme.

Le NHF Act doit être amendé. Quels seront les changements majeurs ?

 C’est une refonte complète de la loi. On espère que ces amendements seront votés avant la fin de la présente session parlementaire. La loi actuelle parle davantage de bâtiments. Avec la nouvelle loi, on s’intéressera au patrimoine intangible. Les fonctionnaires deviendront l’équivalent de warden de police. Tout comme il y a l’Environmental Impact Assessment, nous viendrons avec le Heritage Impact Assessment. Cela a déjà été fait dans certains projets, comme celui de La Cambuse.

À côté de La Cambuse, il y a Mare-aux-Songes, où ont été trouvés des ossements de dodos. Quel est votre rôle dans la préservation de ces terrains privés qui font partie de la smart city d’Omnicane?

Dans le projet d’Omnicane, il y a un parc d’attraction Dodoland qui préserve le site.

Vous en êtes convaincu ?

Pour l’instant, on n’a pas le projet sous les yeux. Aujourd’hui, le projet de La Cambuse est au point mort. Les activistes disent que le développement à La Cambuse va abîmer Mare-aux-Songes. Mais tant qu’il n’y a rien à La Cambuse, il n’y a rien à Mare-aux-Songes.

Que faites-vous de l’association Dodo Alive, qui a tiré la sonnette d’alarme au sujet de Mare-aux-Songes?

 Ce scientifique hollandais, qui est venu creuser chez nous, a pris des ossements de dodo en emprunt et ne les a pas encore rendus. Ce que dit Dodo Alive ne fait l’objet d’aucune affaire en cour.

C’est vos munitions contre l’association Dodo Alive ?

Non. Ce que je dis, c’est qu’actuellement, il y a des ossements du dodo qui sont classés mais qui ne sont pas à Maurice.

Qui lui a donné l’autorisation de les sortir du pays ?

 Le NHF a donné son accord pour l’emprunt, mais le propriétaire des ossements c’est Omnicane. C’est Omnicane qui a donné les ossements en emprunt à un musée en Hollande. Et le contrat pour l’emprunt est éternellement renouvelé. Il n’y a aucune loi qui nous donne le droit de mettre un terme à ce contrat. Mais quand le Dodoland sera concrétisé, vous verrez, les ossements reviendront. Ce sera le point central du Dodoland.

Au final, le parc d’attraction sera une bonne chose pour Mare-aux-Songes?

 Oui, ne serait-ce que pour le site paléontologique. Avec Dodoland, il y a aura une préservation autofinancée du site. Si Omnicane abîme Mare-aux-Songes, il dit au revoir aux profits. C’est une équation intéressante pour la préservation.