Publicité

Géraldine Aliphon: «Un ‘grant public’ si faible est un manque de respect envers les élèves !»

29 mars 2016, 10:19

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Géraldine Aliphon: «Un ‘grant public’ si faible est un manque de respect envers les élèves !»

À l’occasion de la Journée mondiale de l’autisme, le 2 avril, Autisme Maurice alertera l’opinion publique sur les manquements en matière de droit à l’éducation des enfants porteurs de handicaps.

De plus en plus de femmes se plaignent des difficultés qu’elles rencontrent pour concilier vie professionnelle et vie familiale. Pour les mamans qui accompagnent un enfant porteur d’un handicap lourd, comme l’autisme, le quotidien vire vite au parcours du combattant.

Parmi les épreuves : trouver une école spécialisée à une distance raisonnable de la maison et avec des éducateurs compétents pour gérer ce trouble envahissant de développement, négocier avec les chauffeurs de van scolaire jusqu’à dénicher la perle rare qui acceptera de véhiculer l’enfant et au retour au foyer, avoir l’oeil sur lui chaque seconde…

«Certains enfants autistes sont incontinents, d’où la difficulté à trouver un transport scolaire… D’autres autistes comme mon fils, Evans, sont ingérables par une baby-sitter lambda non formée à la prise en charge de ce handicap. Dernièrement, Evans a vidé sa tasse de thé sur le décodeur de la télévision et puis il est sorti avec l’intention de se promener nu dans le jardin. Ce ne sont pas des épisodes ‘rares’, mais plutôt une accumulation de ‘bêtises’ au quotidien.Toutefois, ‘bêtise’ n’est pas le terme exact, puisqu’Evans n’a pas conscience de ce qu’il fait ; il vit dans un autre monde», confie Géraldine Aliphon qui, au fil des années, a développé une grande compréhension à l’égard de son fils, notamment grâce aux formations organisées pour Autisme Maurice.

Une association dont Géraldine Aliphon a été à l’origine avec un groupe de parents, incluant Yasmin Affejee, l’actuelle présidente.

En 2009, l’association est formée comme un groupe de soutien et d’entraide entre parents. Immédiatement, la nécessité de scolariser les enfants autistes avec une prise en charge appropriée fait surface.

En 2012, les premières classes ouvrent leurs portes à Rose-Hill, rue Gabriel Pitot. Aujourd’hui, l’association gère six classes à Rose-Hill, Quatre-Bornes et Montagne-Longue, un atelier pour les adolescents et les adultes autistes de même qu’un centre de diagnostic pourvu de deux équipes de spécialistes. Des réalisations impressionnantes en si peu de temps !

«Je ne suis pas satisfaite à 100 % car nous pourrions encore élargir notre champ d’action, par exemple avec la construction d’une résidence pour les autistes», souligne Géraldine Aliphon, qui est d’un naturel perfectionniste. «Je suis tellement dans la vie de l’association que je prends rarement du recul pour faire un bilan. Mais quand j’entends les échos de nos partenaires à Maurice, à La Réunion ou en France, c’est vrai qu’Autisme Maurice a fait pas mal de choses en quelques années. Même au niveau de la conscientisation.

En 2009, nous, les parents, étions en terrain inconnu ; l’autisme était un handicap totalement inconnu. Aujourd’hui, il y a une meilleure compréhension de la maladie, même parmi le grand public. Ma grande frustration reste toutefois que les droits des autistes ne soient pas respectés, notamment en matière d’éducation ! Nous devrons donc intensifier nos efforts en matière de plaidoyer.»

En termes de prise en charge des personnes handicapées, l’équité voudrait que des moyens humains et financiers plus importants soient investis dans le secteur spécialisé (en comparaison du mainstream), puisque les enfants porteurs de handicaps nécessitent de plus petites classes, donc davantage d’enseignants, du matériel adapté, des bâtiments construits en fonction d’une ergonomie étudiée par rapport à leur handicap..

RS 4 000 PAR AN

«Sans parler d’obtenir l’équité, déjà nous n’avons encore jamais atteint l’égalité ! Si on considère l’allocation du gouvernement (le grant) aux écoles spécialisées, un enfant porteur de handicap coûte environ Rs 4 000 par an à l’État. C’est certain que ce chiffre est bien en deçà de ce qui est investi par le ministère de l’Éducation pour un enfant dans une école du gouvernement !», s’insurge Géraldine Aliphon.

En effet, bien en deçà, puisque l’État dépense annuellement Rs 37 155 par élève scolarisé dans une école primaire du gouvernement, selon une source officielle du ministère de l’Éducation (chiffre de 2014).

«Si déjà nous obtenions le même soutien financier que les écoles publiques, nous n’aurions pas besoin de courir après les financements CSR (Corporate Social Responsibility) pour boucler nos fins de mois. Alors que l’État construit des collèges, nous devons louer des maisons et les reconvertir en école, tout cela a un coût !

Du côté du secteur privé, les sponsors ne comprennent pas que le salaire de nos enseignants ne soit pas pris en charge en totalité. Le grant du gouvernement prévoit le remboursement du salaire d’un enseignant pour sept élèves, alors que dans certaines classes, nous avons besoin de trois enseignants pour encadrer cinq enfants autistes.

De plus, la prise en charge du ministère de l’Éducation par employé est insuffisante : Rs 12 000 brutes pour un directeur d’école et Rs 8 231 brutes pour un éducateur spécialisé. Il faut se rendre compte que si on ne leur donnait que ce salaire, les éducateurs gagneraient moins à la fin du mois que le personnel de nettoyage des écoles mainstream !

Je ne dénigre pas le personnel de nettoyage, mais je trouve qu’un grant public si faible est un manque de respect envers les enseignants spécialisés et envers les élèves porteurs de handicaps !», insiste Géraldine Aliphon, avec l’espoir que la cause des enfants en situation de handicap soit enfin mieux prise en considération.



PLAIDOYER REPOSANT SUR DES CONVENTIONS INTERNATIONALES

Pour faire entendre sa voix et avancer le plaidoyer auprès des décideurs politiques, Autisme Maurice compte beaucoup sur le travail en réseau. L’association étant membre du réseau Inclusion, qui rassemble 12 associations mauriciennes investies dans la reconnaissance des droits des personnes vivant avec un handicap intellectuel. Géraldine Aliphon, manager d’Autisme Maurice, est également le référent nommé pour un an pour représenter le Kolektif Drwa Zanfan Morisien. Ce réseau réunit 11 ONG (ANFEN, Autisme Maurice, Caritas île Maurice, Chrysalide, LEAD, Kinouété, Pédostop, PILS, SOS Papa, T1 Diams, TIPA), le Département de Psychologie et de Counselling de l’Institut Cardinal Jean Margéot et deux membres individuels mobilisés pour le respect des droits de l’enfant. Des droits qui reposent sur la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par Maurice en 1990. Quant à la convention relative aux droits des personnes handicapées, le texte a bien également été signé et ratifié par le pays, mais avec des réserves, notamment sur l’article 24. 2. B concernant l’éducation des personnes porteuses de handicap : «Aux fins de l’exercice de ce droit, les États parties veillent à ce que les personnes handicapées puissent, sur la base de l’égalité avec les autres, avoir accès, dans les communautés où elles vivent, à un enseignement primaire inclusif, de qualité et gratuit, et à l’enseignement secondaire.»



À L’AGENDA

1er avril : Portes ouvertes au grand public à l’école spécialisée d’Autisme Maurice, située au 24, avenue Berthaud à Quatre-Bornes. Projection d’un film de plaidoyer et de conscientisation réalisé par Kendy Mungra.

1er, 2 et 3 avril : Levée de fonds pour l’association à travers la quête nationale.

4 avril : Signature à La Réunion d’une convention inter-îles pour des transferts de compétences entre Maurice et les Seychelles notamment, et création d’un Pôle Autisme Océan Indien.



Tous en bleu le 2 avril

Vendeurs ambulants, serveurs, enseignants, femmes au foyer… Autisme Maurice invite les citoyens mauriciens à se vêtir de bleu le 2 avril pour afficher leur soutien aux autistes et à leur famille. Entre amis, entre collègues, il suffit de vous prendre en photo et d’envoyer le cliché à «info@autismemaurice.org». Ces photos seront publiées sur la page Facebook et le site Web de l’ONG.

Recherche volontaires

Malgré ses 250 membres, Autisme Maurice est à l’affût de quelques compétences supplémentaires, pour faire avancer la cause. Seraient les bienvenus des volontaires avec des profils spécifiques comme des avocats, des étudiants en droit, des médecins, des cadres de la santé publique, des comptables, des chargés de communication et des spécialistes des réseaux sociaux.. Tél. : 465 31 20

Boutique solidaire

À la fin du mois d’avril, Autisme Maurice ouvrira un magasin d’objets de seconde main sur la route principale, à Curepipe. Cette friperie proposera en plus des vêtements, sacs et autres paires de chaussures, des livres, de la vaisselle, des jouets.et des meubles, uniquement sur photos. Un des objectifs de la boutique est de donner de l’emploi à deux mamans qui ont besoin d’horaires flexibles pour veiller sur leur enfant. Les objets de seconde main et les meubles en bon état des particuliers et des entreprises feront le bonheur de l’association ! La boutique d’Autisme Maurice s’inscrit dans le cadre d’un projet de plus grande envergure soutenu par la State Bank of Mauritius. S’étalant sur trois ans, il est au bénéfice des familles touchées par l’autisme. Différentes formations seront financées pour les mamans, en fonction de leur centre d’intérêt – agriculture, artisanat, couture –,.en partenariat avec des ONG dont le Mouvement pour l’autosuffisance alimentaire ou encore Magic Fingers.



Appel aux fonds pour le Centre de diagnostic

Fin 2015, Autisme Maurice a réussi à mettre sur pied et former une deuxième équipe au sein du Centre de diagnostic (CEDAM) pour réduire les délais d’attente, qui étaient auparavant d’un an. Un an d’angoisse pour les parents, puisque ce service de détection de l’autisme est unique à Maurice. Aucun dispensaire, aucun hôpital, aucune clinique, ne le proposent actuellement. Et ce service accessible à Autisme Maurice, rue Gabriel Pitot à Rose-Hill, est très demandé.

«Depuis la création du CEDAM en 2012, nous avons reçu 265 personnes pour un premier screening et suite à cela, nous avons mené 140 évaluations. Parmi elles, 102 ont débouché sur une confirmation d’un trouble du spectre autistique», précise Joffrey Bodet, superviseur du CEDAM.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, la prévalence internationale officielle de ce trouble du développement est de 1%. Ramenée à la population mauricienne, on peut donc estimer qu’environ 12 000 personnes sont concernées par l’autisme. «Et tous les ans, des bébés naissent avec ce trouble. Avant l’âge d’un an et demi, c’est compliqué de diagnostiquer avec certitude un trouble du spectre autistique, mais c’est primordial de ne pas perdre plusieurs années avant de venir au CEDAM, car plus le diagnostic est posé tôt, plus il est possible d’orienter rapidement l’enfant vers une prise en charge adaptée et un suivi approprié. Au niveau individuel, c’est mieux pour l’enfant car il aura plus de chance d’acquérir de l’autonomie. Et pour la société, une meilleure prise en charge des autistes se traduirait par un moindre coût pour l’économie sur le long terme».

Actuellement, la majorité des enfants qui sont examinés au CEDAM ont entre quatre et six ans, mais des adultes se présentent parfois. Une équipe de diagnostic (composée d’un psychologue, d’une éducatrice spécialisée, d’une orthophoniste et du superviseur) s’est aussi rendue à Rodrigues l’an passé. «Quarante-huit enfants ont bénéficié d’un premier rendez-vous, huit du diagnostic complet et une douzaine sont sur liste d’attente. C’est pourquoi nous recherchons un sponsor pour que l’équipe puisse retourner ponctuellement à Rodrigues», précise Géraldine Aliphon.

La pérennité du Centre de diagnostic à Maurice est également menacée. Un appel pressant au secteur privé est lancé pour financer ce service et assurer les salaires des professionnels, à partir du mois de juillet. Tél. : 465 31 20

Smeeta Beeharry, psychologue, Laetitia Cuennet, éducatrice spécialisée, Joffrey Bodet, psychologue et superviseur du CEDAM et Divya Bissessur, orthophoniste.