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Salim Toorabally : «C’est un honneur pour moi et l’île Maurice»

26 mars 2016, 14:21

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Salim Toorabally : «C’est un honneur pour moi et l’île Maurice»

 

Vendredi 13 novembre 2015, Paris était frappée par une vague d’attentats sans précédent en plein centre-ville. À Saint-Denis, près du Stade de France, un carnage est évité de peu par la bravoure d’un agent de sécurité, qui a empêché un kamikaze de s’infiltrer au milieu du public   pendant le match amical France-Allemagne. Il s’agit de Salim Toorabally, accueilli cette semaine par l’équipe de France à Clairefontaine et qui a fait la une du journal «L’Équipe». Il s’est confié hier, en exclusivité, à «l’express» sur LSL Radio.

Du jour au lendemain, vous êtes passé de l’anonymat au rang de héros. Vous venez de faire la une de «L’Équipe». Comment vivez-vous cette notoriété ?

C’est un moment agréable. Un journaliste de L’Équipe voulait savoir comment l’équipe de France a vécu ce moment difficile dans le vestiaire. Il a eu l’idée de faire un joueur des Bleus, Blaise Matuidi, m’interviewer sur mon rôle ce jour-là. Blaise est quelqu’un de très gentil, très sympa. En plus, quand il me dit «vous êtes mon héros», ça touche vraiment au fond du coeur.

Moi, j’ai fait mon boulot à fond, je me suis investi à fond pour tout ce qui est secours des victimes et évacuation des 70 000 personnes du stade. Étant un professionnel de la sécurité, je peux dire que j’ai mené ma mission jusqu’au bout.

Les médias français s’intéressent de près à vous. Avant de venir nous parler, vous étiez en direct sur RTL…

Ce matin, j’ai été interviewé autéléphone par un journaliste pourFrance 2. Il y a RTL oui, la 5 hierpour l’émission C’est à vous… Toutle monde veut un peu l’exclusivitéde ce que j’ai vécu avec les Bleus.En ce moment, je suis très sollicité et ça me touche profondément. Moi,j’encourage tous les autres agents de sécurité à continuer dans cette voie.Mais avant d’être un honneur pour moi, c’est un honneur pour mon pays aussi. C’est un honneur pour moi de représenter l’île Maurice au niveau international.

Il y a d’ailleurs des gens ici qui disent que le Premier ministre sir Anerood Jugnauth devrait vous accorder une décoration. Peut-être que ça sera pour plus tard ?

(Un peu gêné.) Oui, oui, ce serait très sympa. En tout cas, je peux dire que j’ai fait passer une bonne image de l’île Maurice à l’international. Avant tout, je suis fier de l’éducation que j’ai reçue à l’île Maurice (NdlR : il est parti vivre en France dans les années 90). Ça me sert  beaucoup au niveau du respect avec les grandes personnes, etc.

Racontez-nous cet instant où vous barrez la route au kamikaze Bilal Hadfi, qui se fera exploser un peu plus tard à Paris, ce fameux vendredi 13 novembre 2015…

J’avais l’habitude de travailler au Parc des Princes et c’est la première fois que je travaillais au Stade de France. Être affecté là pour ce France-Allemagne qui marquait l’Armistice, c’était quelque chose de grand pour moi. Avant le match, on a des consignes du jour et on nous demandait d’être vigilants à toutes les portes qui allaient être filmées en vue du contrat de l’Euro 2016. Donc j’étais vigilant à mon poste.

On a ouvert les portes, les gens sont entrés, tout le monde était content. On entendait des «allez les Bleus». Tout allait bien jusqu’à ce qu’un individu essaie d’entrer sans billet en passant derrière une autre personne. Il était pressé d’entrer. Je l’ai stoppé en lui disant : «Non monsieur, vous ne rentrez pas.» Il me dit : «Il faut que je rentre, il y a quelqu’un qui devait me ramener un billet mais il n’est pas arrivé.» Je lui ai dit : «Non monsieur, ça ne se passe pas comme ça.» J’ai imposé ma loi et je l’ai invité à reculer en lui disant : «Vous attendez derrière. Dès que la personne arrive avec votre billet, vous venez me voir.»

Moi, je savais qu’il voulait tricher et qu’il n’avait pas de billet. Je me disais que c’était un petit jeune qui veut entrer sans billet. Il est resté là à m’observer travailler, à regarder comment le service de palpation travaillait. À un moment, il a voulu entrer par un autre tripode et là, j’ai signalé à mon collègue juste à côté de faire attention car ce monsieur n’avait pas de billet. Il s’est alors évanoui dans la foule.

Et ensuite ?

Pendant le match, à la première explosion, après 15 minutes de jeu,j’hésitais entre un pétard et un fumigène en espérant que ce n’était pas quelque chose de grave. Il n’y avait pas grand monde, ils étaient tous dans le stade. La deuxième explosion était beaucoup plus violente, j’ai senti vibrer tous les organes de mon corps. Il y avait une odeur de soufre, de brûlé qui montait.

J’ai alors pris la décision de quitter mon poste pour demander aux collègues qui étaient à l’extérieur du stade de se mettre à l’abri. Il se trouve que je suis diplômé pour le secours de victimes au niveau 2, ce qui est l’équivalent des sapeurs-pompiers de Paris. Ça m’a bien aidé face à une telle situation. J’ai couru, j’ai croisé trois personnes blessées que j’ai mises en position latérale de sécurité (PLS). Je suis resté jusqu’à la fin pour aider à évacuer les 70 000 personnes.

Vous apprenez ensuite que l’homme que vous aviez refoulé au stade était en fait un terroriste…

Je suis rentré chez moi vers 2 heures du matin. J’étais fier de mon travail quand même. Lundi, je reçois un appel de la police judiciaire de Bobigny et je me disais que ce n’était pas important. J’y suis allé mercredi. Je leur ai expliqué comment j’ai porté secours aux blessés. Puis, je me suis souvenu que j’avais bloqué l’accès à un individu que j’ai ensuite identifié sur des photos…

Mardi, on a revu des scènes d’horreur. Le terrorisme a encore frappé sournoisement du côté de Bruxelles cette fois. Le cauchemar continue, Salim…

Le cauchemar continue. À chaque fois qu’il y a des événements tristes comme ça, ça me fait mal au  coeur. Ça me fait revivre ce que j’ai vécu au Stade de France. Le monde entier, que ce soit en France ou à Maurice, doit rester solidaire face à une telle situation. On doit être prêt à aider les gens.

Hier Paris, aujourd’hui Bruxelles, craignez-vous que le terrorisme frappe un jour l’île Maurice ?

Non, je ne pense pas qu’on va en arriver là à l’île Maurice. Récemment,j’étais très inquiet quand j’ai entendu qu’il y avait eu une alerte à la bombe sur le bâtiment de Rogers.Je ne pense pas qu’à Maurice on arrivera à une telle situation.

Depuis ces attentats à Paris, est-ce que vous trouvez qu’il y a plus d’insécurité aujourd’hui ? Est-ce que ça a changé le regard des gens ?

Oui. Moi je travaille dans le milieu de la sécurité à Paris, je suis tous les jours dans le domaine et je trouve qu’il y a une grande solidarité entre les gens. Le ministre de l’Intérieur, monsieur  Caseneuve, a mis des moyens dans toutes les zones fréquentées, avec la fouille des sacs, etc., à l’entrée des centres commerciaux. Les citoyens participent bien. Ce n’est pas une obligation mais plutôt une prévention.

Salim, vous avez été invité par l’équipe de France cette semaine à Clairefontaine, comment avez-vous vécu cette expérience en tant que fan de foot ?

Ça a été un grand honneur pour moi car je suis un fan du PSG et surtout de Liverpool. J’ai été très content de rencontrer le Parisien Blaise Matuidi et aussi le défenseur des Reds Mamadou Sakho. C’était un grand moment !

Que pensez-vous de la saison de Liverpool et de l’effet Jurgen Klopp ?

La saison de Liverpool n’est pas si mal. Depuis que l’entraîneur allemand est arrivé, pas mal de choses ont changé. D’ailleurs, on a réussi à battre Manchester United en Europa League, ce qui est déjà quelque chose ! (Rires) Je vais vous raconter une anecdote… Ma fille de 15 ans, qui adore le foot, est supportrice de Manchester United et moi de Liverpool. Vous vous rendez compte de l’ambiance chez moi tous les jours ?

L’Euro 2016 aura lieu en France du 10 juin au 10 juillet. Faut-il le jouer compte tenu du risque d’attentats potentiels dans les Fan Zones où vont se retrouver des milliers de personnes ?

Après le 13 novembre, il devait y avoir une grande conférence internationale à Paris sur les changements climatiques, la COP21, et j’y ai moi-même travaillé. Tout le monde disait qu’il fallait l’annuler mais je trouve que tout s’était bien passé au niveau de la sécurité. Je crois que ce sera pareil à l’Euro. Il faut faire confiance à monsieur Caseneuve, le ministre de l’Intérieur, qui va déployer d’importants effectifs chez les forces de l’ordre pour que tout se passe bien.

Je crois qu’il faut aller de l’avant, ne pas reculer et ne pas donner raison à ceux qui commettent de mauvais actes. Il faut continuer sur notre voie. Ça ne va pas nous empêcher de sortir, d’aller au cinéma, d’aller voir un match de foot en famille ou aller au restaurant. Si on en arrive là, on n’aura pas de vie et ce sont eux qui remporteront la victoire.

Salim, le 13 novembre dernier, vous avez stoppé un individu sans billet. La prochaine fois, les terroristes seront peut-être plus malins et achèteront leur billet. Vous pensez à ce genre de choses quand vous travaillez dans un stade désormais ?

Oui, mais je pense qu’aujourd’hui tout le personnel sera vigilant. Il y aura un gros effectif pour la fouille. Je fais confiance à la sécurité intérieure du pays quand même. Je pense que les opérations coups de poing qui sont menées porteront leurs fruits.

Et où serez-vous pendant l’Euro 2016 ?

Je travaillerai au Stade de France.

On compte sur vous pour qu’il n’y ait pas de grabuge alors…

Bien sûr !

On termine sur une note  plus positive… Jusqu’où ira l’équipe de France dans cet Euro selon vous ?

Jusqu’en finale. Il n’y a que trois ou quatre pays qui peuvent aller loin. Je vois bien la France et l’Allemagne.

 

 

 
 
Le héros national (indiqué par la flèche) récompensé
lors d’une cérémonie aux Invalides en janvier.
 
 
Notre compatriote mis à l’honneur
dans le journal anglais «Daily Mail».
 
 
Le fan de Liverpool en vacances
à Maurice en décembre.
 
 
L’agent de sécurité en une
du célèbre quotidien sportif.
 
 
 

Vu par des mauriciens de France: «une immense fierté»

En France, Salim Toorabally a la cote. Il suffit d’écouter les commentaires des Mauriciens de la diaspora, à l’instar de Fabien Arunasalom, qui a fondé le groupe PSG Île Maurice sur Facebook et qui étudie en France et en Angleterre : «L’île Maurice est aujourd’hui très fière de toi : le Mauricien Salim Toorabally, héros du Stade de France, invité chez les Bleus.» Voir un Mauricien en une du quotidien sportif français «L’Équipe» a eu son petit effet au sein de la diaspora. «C’est génial de voir un Mauricien nous faire honneur comme ça. En plus en couverture de mon journal préféré ! En ces temps tristes où on n’entend que de mauvaises nouvelles tous les jours, je trouve qu’il amène de l’espoir», estime le Parisien Ziad Akbar. La simplicité du personnage séduit également. «Un gars simple, humble et honnête comme des milliers de Mauriciens qui vivent, travaillent et contribuent au rayonnement de la France depuis toujours. Pourtant, ces valeurs ne sont pas acquises de fait. C’est une immense fierté de le voir là aujourd’hui, lui qui n’a fait que son travail le 13 novembre», dit Fabien Arunasalom.

Revue de presse:  «Hero guard who ‘saved France’»

Après l’hebdomadaire mauricien «Star», le «Daily Mail» est  le premier média étranger qui a frappé à la porte de Salim Toorabally au lendemain des attentats  du 13 novembre 2015. Au départ, le Mauricien nous avoue sa réticence à parler aux médias. Il avait peur pour sa sécurité. Il avait peur pour sa famille.

«Hero guard who ‘saved France’», titre le tabloid anglais «Daily Mail». «Paris attacks: Muslim guard blocked suicide bomber from entering stadium», relate «The Express Tribune» alors que «Paris Match» lance : «Salim, le gardien héroïque du Stade de France».

Mais au fil du temps, la vie reprend son cours et Salim nous dit qu’il vaut mieux vivre sa vie que rester caché. Ensuite, «c’est le destin qui décidera». Depuis qu’il a fait la une de «L’Équipe» jeudi et que les attentats de Bruxelles ont remis le terrorisme au-devant de la scène médiatique, notre compatriote devient un client que les médias français s’arrachent : BFMTV, France 2, RTL… Son téléphone s’affole, son emploi du temps ressemble à celui d’un ministre mais il répond toujours avec la même modestie.