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Affaire Lutchmeenaraidoo: À qui profite le «crime» ?

20 mars 2016, 21:00

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Affaire Lutchmeenaraidoo: À qui profite le «crime» ?

 

Un squelette est sorti du placard de l’ancien Grand argentier. Mais qui a ouvert la porte ? Pourquoi ? Qui aurait pu se permettre de prendre le risque de violer le secret bancaire ? Nous avons sorti les explications de l’armoire.

Le crime

A-t-il l’impression d’avoir été poignardé dans le dos ? C’est en tout cas ce que laisse entendre le message de Vishnu Lutchmeenaraidoo. Fait-il allusion à un «criminel» en particulier ? Il ne faut pas avoir un sixième sens pour comprendre que oui, il suffit de lire entre les lignes. Mais à qui donc pourrait bien profiter sa «déchéance» ? Qui aurait intérêt à le «descendre» ? Et à qui, justement, profite ledit crime ? Si les thèses et hypothèses vont bon train, nombreux sont ceux qui s’accordent à dire, dans l’ombre, qu’il pourrait s’agir d’un «collègue», qui aurait peut-être fait preuve de «zèle». À cause du secret bancaire, il ne pouvait pas dénoncer le ministre ouvertement, alors il y est allé par quatre chemins, lâche un vieux routier de la politique.

Deuxième scène de crime: il pourrait s’agir de son «crime» à lui, qui n’en est pas un, bien entendu, selon ses dires, puisque l’emprunt en question n’a rien d’illégal selon Vishnu Lutchmeenaraidoo. Mais ce n’est pas du tout ce que pensent ses détracteurs, pour qui «la faute commise est énorme». Quoi qu’il en soit, la commission anticorruption a ouvert une enquête préliminaire pour déterminer si l’ancien ministre des Finances a bafoué l’article 7 du Prevention of Corruption Act en bénéficiant d’un prêt de 1,1 million euros, accordé par la State Bank of Mauritius (SBM), à un taux d’intérêt de 1,5 %. La loi en question stipule qu’un «public official» ne peut utiliser «son poste ou sa position» pour obtenir une «gratification». Les contrevenants risquent ainsi jusqu’à 10 ans de prison.

Le litige concerne également le fait que le gouvernement est actionnaire majoritaire de la SBM. Et que c’est le ministre des Finances qui représente le gouvernement au sein du board, souligne un avocat.

Le secret bancaire violé

Qu’est-ce donc ? Le secret bancaire désigne, dans son acception première, l’obligation qu’ont les banques de ne pas livrer des informations sur leurs clients à des tiers. Il relève du secret professionnel. Sauf que dans ce cas, ce fameux secret a été violé et le Banking Act transgressé. Le nom du violeur ? Si «tout semble pointer vers une personne, il faudra attendre les témoins et les preuves. Et que les principaux acteurs veuillent bien se mouiller !» ironise un observateur politique. D’ici là, c’est la présomption d’innocence qui prévaut !

Qu’en est-il de la sécurité des données au niveau de la banque en question ? Comment de tels documents ont-ils pu atterrir dans des salles de rédaction ? «La Banque de Maurice pourra sanctionner la banque responsable qui a permis, malgré elle selon moi, que l’on divulgue le contenu des documents en question. Et l’employé ou les employés concernés ne pourront plus travailler dans une institution bancaire», déclare un ancien banquier. Il cite le cas de la HSBC de Genève, où un employé avait diffusé des données concernant des clients offshore sur Internet. De plus, dit-il, la police pourra également initier une enquête criminelle à ce niveau.

Un homme de loi explique, quant à lui, que le Data Protection Act a aussi été enfreint dans le sillage de cette affaire. Car, ces documents rendus publics contiennent les données personnelles d’un individu.

Enough is enough

Profitant de ma maladie et de mon silence, une campagne de calomnies et de mensonges a été orchestrée pour ternir mon image et me déstabiliser politiquement. Posez-vous la question : À qui profite le crime ? Enough is enough ! J’ai décidé de passer à l’action pour rétablir la vérité, demander justice et démasquer complot et comploteurs.

Vishnu Lutchmeenaraidoo sur Facebook

Un air de déjà-vu…

«Li prend loan à ène taux d’intérêts préférentiels. Sa même li condamnable. Li ti capave ale prend sa dans ène lotte la banque, pas dans ène la banque qui sous so responsabilité.» C’est ce qu’avait  déclaré sir Anerood Jugnauth (SAJ) à l’encontre de Vishnu Lutchmeenaraidoo lors d’un meeting, à Flacq, le 7 septembre 1990. Celui ci occupait alors le portefeuille des Finances et avait obtenu des emprunts à des taux d’intérêts préférentiels auprès d’une banque commerciale, qui était sous sa responsabilité. Est-ce à dire que l’histoire se répète ?

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Vishnu Lutchmeenaraidoo se retrouve en porte-à-faux avec le Mouvement socialiste militant (MSM). En août 1990, alors qu’il ne voyait pas d’un bon oeil l’alliance entre le MMM et le MSM, l’ex-ministre des Finances avait été expulsé du parti.  Peu après, ses opposants avaient commencé à révéler ses avoirs financiers qui, selon eux, comportaient des irrégularités.

Une situation qui avait poussé l’ex-ministre des Finances à dévoiler tous ses biens, ainsi que ceux de sa famille, devant le Parlement, le 21 août 1990. La déclaration avait été faite de bonne foi et il avait même assuré ne pas avoir de prête-nom. Cependant, cela n’avait pas suffi à faire taire les rumeurs. Il est intéressant de noter au passage qu’entre la «declaration of assets» de 1990 et l’exercice mené par l’express en décembre dernier sur les avoirs des élus, les «assets» de Vishnu Lutchmeenaraidoo n’ont presque pas bougé.

À l’époque, l’ex-ministre des Finances avait contracté un emprunt de Rs 3,2 millions. Interrogé sur la manière dont il pensait rembourser ce prêt avec son seul salaire de député, qui s’élevait alors à Rs 10 495, il s’était contenté de répondre : «Je gagnerai beaucoup plus d’argent dans le secteur privé que je n’en gagnais dans le gouvernement.»

D’autre part, les opposants de l’ancien Grand argentier avaient déclaré, à l’époque, qu’il était «l’homme le plus riche de l’océan Indien». SAJ avait d’ailleurs affirmé que les carreaux céramiques de la maison de Vishnu Lutchmeenaraidoo auraient coûté plus d’un million de roupies… Alors que quelques années auparavant, son ancien ministre était un «lapo touni». À titre d’exemple, en 1982, ce dernier avait une voiture qui tombait «toujours en panne».

SAJ avait, par conséquent, demandé une enquête pour savoir si son ancien ministre payait ses impôts. Pour se défendre, l’ex-Grand argentier avait dit qu’il «menait son action politique contre ses idées et non contre des personnes». Mais il avait toutefois demandé que la famille Jugnauth dévoile également ses avoirs en Angleterre. SAJ avait affirmé ne rien posséder ailleurs.

Se pourrait-il que l’on assiste, dans les jours qui viennent, à une autre manche de cette partie de poker qui a commencé dans les années 90 ?

 

Fac-similé d’un article paru en page 5 de l’express du  8 septembre 1990. SAJ y évoque un emprunt contracté par Vishnu Lutchmeenaraidoo…

Dernière heure

Il a dit: J’ai eu une convalescence difficile avec des risques d’une troisième rechute. Sur avis médical, je serai donc en congé de maladie d’une semaine, et ce à partir de lundi. Merci de comprendre que ma retraite de silence se poursuit. En vue de rétablir la vérité et demander justice, la machine légale a déjà été mise en marche. Vous serez tenus informés. Merci pour tout.

Le nouveau ministre des Affaires étrangères a annoncé, samedi soir, qu’il prenait encore quelques jours de congé maladie…

Le complot

Fin février. Le dossier Yihai Smart City, à Pailles – projet dont le partenaire est la State Investment Corporation Ltd (SIC) –, est référé à l’Independent Commission against Corruption (ICAC) sur ordre du Conseil des ministres. Des soupçons concernant des commissions et des transferts d’argent à l’étranger entachent ce projet jusque-là piloté par l’ancien ministre des Finances et le Board of Investment, institution placée sous la tutelle des Finances. Il convient aussi de relever que la directrice par intérim de la SIC n’est nulle autre que Rita Veerassamy, la soeur de Vishnu Lutchmeenaraidoo.

12 mars. Alors que les célébrations nationales de l’Indépendance vont bon train, c’est la fuite, dans la presse en ligne, d’un document bancaire de la State Bank of Mauritius. Ce document confidentiel en date du 11 septembre 2015 fait état d’un prêt de Rs 44 millions (1,1 million d’euros) accordé au ministre Vishnu Lutchmeenaraidoo à un taux d’intérêt de 1,5 %. Ce qui débouchera sur une enquête de l’ICAC.

14 mars. Effet boule de neige. Le Premier ministre annonce un mini-remaniement ministériel au sein de son Conseil. Vishnu Lutchmeenaraidoo perd son maroquin des Finances pour se retrouver aux Affaires étrangères. Sir Anerood Jugnauth devient le nouveau Grand argentier.

17 mars. C’est au tour d’InfoZen Consulting, l’entreprise d’Ashwin Lutchmeenaraidoo, un des trois fils de Vishnu Lutchmeenaraidoo, de sortir de l’ombre. La presse fait état des contrats qui lui ont été alloués par au moins deux compagnies appartenant à l’État. Parmi celles-ci, la State Informatics Ltd, qui a signé un contrat de Rs 535 000 «sans appel d’offres» avec InfoZen Consulting mi-2015, pour développer un logiciel pour tablettes dans le cadre d’un projet du ministère de la Santé.

La chronologie des événements est sans doute ce qui fait dire à Vishnu Lutchmeenaraidoo qu’il y a complot. Alors, est-il normal que l’on ait trouvé autant de squelettes dans son placard en si peu de temps ? La théorie du complot est-elle plausible ?

Les comploteurs

Qui sont-ils ? Vaste question. En tout cas, en s’attaquant à certains secteurs, l’ex-ministre des Finances ne s’est pas fait que des amis. En respectant la promesse électorale de l’alliance Lepep, qui voulait s’attaquer à la «mentalité zougader» qui s’était installée à Maurice, Vishnu Lutchmeenaraidoo a joué à la roulette russe avec un puissant lobby, celui de l’industrie du jeu, qui brasse des milliards et qui a des connexions dans les toutes les sphères.

Il y a aussi sa prise de position sur les amendements à l’article 13 du traité fiscal avec l’Inde : «Le DTA indien représente trente-quatre années de bonheur. Mais le monde devient plus transparent. Il faut désormais bâtir le Global Business sur des bases nouvelles du clean business», dira-t-il dans l’express, début mars.

En parallèle, il y a eu le dossier du port et des négociations avec DB World pour sa gestion. Ou encore son coup de gueule concernant les Casinos de Maurice. Dès janvier 2015, il dira : «Si dans une année les casinos ne sont pas rentables, on ne pourra pas continuer à garder un trou qui absorbe énormément d’argent, on sera obligé de tout vendre.»

Vishnu Lutchmeenaraidoo s’est ainsi fait de nombreux ennemis au cours des 14 derniers mois. La question demeure : qui a pu actionner les leviers pour galvaniser les rancoeurs contre un personnage aussi important ? Il se pourrait, en fait, que le loup soit, dans la bergerie, tout près de lui. Des sources dans son entourage affirment que le carnivore aux dents acérées aurait remis les documents relatifs aux prêts bancaires à des journalistes aux dents longues afin de faire éclater toute cette affaire sans qu’il ne soit éclaboussé.

Désormais poussé à bout, l’ancien ministre des Finances donnera-t-il le nom du loup en question ? Dans dix jours (voir ci-dessous), peut-être ?.

Les options

«Je suis dans une phase silencieuse, dans dix jours, je parlerai.» Cette phrase mystérieusement explicite, prononcée par Vishnu Lutchmeenaraidoo face à nos journalistes, vendredi, a donné lieu à toutes sortes de spéculations. La question demeure : et maintenant, que va-t-il faire ? Les possibilités sont multiples. Il peut ainsi rester en poste et travailler tranquillement, en attendant les conclusions des enquêtes initiées par l’ICAC. Autre choix qui s’offre à lui : la démission. Il pourrait rendre son portefeuille de ministre – comme le réclament le MMM et le PTR – et siéger comme député, peut-être même en restant au sein du MSM, enfin si la situation n’est pas trop tendue…

Vishnu Lutchmeenaraidoo peut aussi bien démissionner du MSM et siéger comme ministre indépendant. Comme c’était le cas, d’ailleurs, avant qu’il n’intègre le parti soleil, le 2 février dernier. Reste à savoir si l’état-major du parti acceptera cet affront. L’actuel ministre des Affaires étrangères peut aussi démissionner en tant que ministre et député de la circonscription no7, ce qui provoquerait une élection partielle. Chose que souhaitent ardemment les adversaires politiques du gouvernement. Dernière option et non des moindres : il peut tout bonnement et simplement se retirer de la politique, s’occuper de sa santé et s’adonner à la méditation transcendantale…