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Tahar Ben Jelloun: «Vivre ensemble, ce n’est pas gommer les différences»

12 mars 2016, 16:22

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Tahar Ben Jelloun: «Vivre ensemble, ce n’est pas gommer les différences»

Mauriciens et Marocains ont le métissage en partage. Serions-nous des «cousins» ?

L’île Maurice est plus métissée que le Maroc. Pendant des siècles, c’est vrai, juifs et musulmans ont vécu pacifiquement dans le même creuset d’une entité nationale : le Maroc. Ils étaient Berbères, exilés d’Espagne, ou Arabes. Ils se sont rencontrés, se sont reconnus, ils ont échangé leurs différences et ont participé à la même histoire, laissant à leurs enfants un patrimoine culturel commun. À Maurice, le métissage est plus visible, plus coloré. Surtout, j’ai ressenti un pays en harmonie avec lui-même. Une île paisible où il fait bon vivre.

Entre mauricianisme et communalisme, notre société se cherche encore. Quel sens donner à ces deux forces en tension ?

Aucune coexistence, même pacifique, n’est un fleuve tranquille. Vivre ensemble, ce n’est pas gommer les différences mais savoir comment les surmonter. Des heurts, des tensions, il y en aura toujours. Ne serait-ce que parce que les partis politiques les attisent en jouant sur les peurs. Des pays surmontent ces peurs et font échec à l’ignorance. D’autres n’y parviennent pas et sombrent. L’île Maurice n’en est pas là. Vous avez une disposition naturelle, visible, au vivre-ensemble.

Pourtant, certains se demandent encore si nous sommes une nation…

Je pense que la nation mauricienne existe. C’est quoi, une nation ? Un héritage et des buts communs, un désir de faire des choses ensemble. Vous êtes, comme le Maroc, une vieille nation ballottée par l’histoire. Pourquoi en douter ? Il n’y a pas de contradiction entre l’attachement à ses racines et l’appartenance à la nation, l’un n’exclut pas l’autre. Nos origines, nous les portons en nous et nous ne sommes pas disposés ni capables de les dissimuler, encore moins de les nier. C’est une question réglée. Mais cela ne veut pas dire que la nation reste à construire.

La nation n’est jamais finie. Comment la consolider ?

Il faut des grands hommes qui savent rassembler et convaincre. Ça passe aussi par la culture, au sens large, pas seulement la littérature. La culture ne peut pas tout mais sans culture on ne construit rien.

Le 12 mars est le jour où chacun reconstruit et clame sa «fierté» d’être Mauricien. Dans «Être Marocain», vous écrivez que cette question de fierté vous agace. Pourquoi ?

On doit être fier d’être marocain. OK. Je suis fier, mais à quoi ça sert et est-ce que ça fait avancer les choses ? Avant d’être fier, soyons vigilants et critiques. Pour moi, être fier de ceci ou de cela, c’est douter de son identité. Quand on sait qui l’on est, quand on est sûr de soi et de son identité bien ancrée dans l’histoire, on n’a pas à être fier.

Que mettez-vous derrière ce mot «identité»?

Je vois l’identité comme une sorte de sécurité interne. Savoir qui je suis et à quoi je sers dans ce monde, dans ce pays. Si je sens qu’il n’a pas besoin de moi, s’il ne me reconnaît pas, je vais le quitter et me radicaliser.

Vous écrivez et cela a une résonance chez nous : «Ceux qui souffrent d’un problème d’identité parce que l’histoire les a maltraités ou niés passent leur vie à rechercher leurs racines».

Je pensais au drame de l’Algérie, dont l’identité reste vacillante après quatre siècles de présence ottomane et cent trente ans de colonisation française suivis d’une guerre terrible. L’identité algérienne est meurtrie, elle se cherche encore.

Vous ne serez plus à Maurice pour les festivités de l’Indépendance, vous les imaginez comment ?

Comme un moment heureux puisque vous vous êtes débarrassé, ce jour-là, de la mainmise anglaise sur votre pays.

Comme le Maroc s’est débarrassé des Français en 1956… ?

Le Maroc était sous protectorat, ce qui est un peu différent. Et puis, il a fallu se battre pour que les Français s’en aillent.