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«Teacher»: rencontre avec celui qui enseigne l'anglais aux présumés pirates somaliens

6 mars 2016, 19:45

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«Teacher»: rencontre avec celui qui enseigne l'anglais aux présumés pirates somaliens

Dix heures. C’est le temps que passe Suraj Motur chaque semaine avec les 12 Somaliens accusés de piraterie et détenus à la prison de Beau-Bassin. Après avoir enseigné six ans au cycle primaire, ce trentenaire à la carrure imposante, mais au sourire facile, apprend, depuis janvier 2014, à lire et à écrire aux prisonniers. Il n’y a pas que des Mauriciens. Mais aussi des Chinois, des Indiens, des Moldaves, des Hongrois, des Allemands et, surtout, des Somaliens. Ce qui fait de ce père de deux enfants l’une des rares personnes – avec les gardiens de prison, le responsable de la prison et les avocats commis d’office – à côtoyer de près les présumés pirates somaliens incarcérés au pays depuis le 25 janvier 2013. «Une opportunité», estime le principal concerné, qui lui permet d’acquérir une expérience «très particulière». Sachant que, poursuit-il, c’est la première fois que Maurice abrite ce genre de prisonniers.

Ainsi, chaque après-midi, du lundi au vendredi, Teacher, comme l’appellent les Somaliens, donne des cours d’anglais à la New Pirate Wing. Construite en 2014 par l’office des Nations unies contre la drogue et le crime, cette aile située dans l’enceinte de la prison de Beau-Bassin est dédiée uniquement aux 12 Somaliens accusés de piraterie. Aucun autre détenu n’y accède.

La première fois que Suraj Motur y met les pieds, à la demande du responsable de la prison, c’est le choc. Face à lui, 12 étrangers efflanqués qui ne parlent que le swahili. À tel point que les services d’un interprète sont indispensables. «Vous vous imaginez ? Chez eux, ils n’ont jamais été à l’école !» fait ressortir l’enseignant en fronçant les sourcils.

Loin de se décourager et déterminé à accomplir sa tâche, Suraj Motur demandera, peu de temps après, à l’interprète de le laisser seul avec les Somaliens pendant les deux heures de cours au quotidien. «C’était la seule façon de les faire sortir de leur cocon.»

TRÈS APPLIQUÉS ET CALMES

Très vite, en classe – «une salle moderne et propre dotée d’un tableau» –, notre interlocuteur découvre en ses nouveaux élèves, des gens «très appliqués et calmes contrairement à ses autres élèves à la prison». L’un des 12, un jeune d’une vingtaine d’années, parle même un peu l’anglais et l’hindi. Comment ? «Je n’en sais pas plus que vous», rétorque Suraj Motur, qui précise que sa mission s’arrête à leur apprendre à communiquer. «Ce qu’ils ont fait avant de débarquer ici et le déroulement de leur procès ne me regardent pas.»

Pareil, ajoute-il, pendant les heures de classe, les présumés pirates ne pipent mot sur comment ou pourquoi ils ont été arrêtés avant d’être embarqués pour être traduits devant la justice mauricienne. Le peu qu’il dit avoir appris en discutant avec les Somaliens, c’est que chacun est issu d’une tribu différente et qu’ils habitent des villages éloignés de la capitale Mogadiscio et des principales villes du pays.

«Avant d’arriver ici, ils ne connaissaient pas l’existence de Maurice. Aujourd’hui, à la prison, ils regardent la BBC et les séries alors qu’ils n’avaient même pas de télé chez eux», raconte Teacher. D’ailleurs, un des épisodes qui a marqué Suraj Motur, c’est la fois où il leur a posé la question «pourquoi il pleut ?» et qu’il a eu comme réponse «It’s God». C’est là qu’il leur a expliqué le cycle menant à la pluie. Une explication qui, dit-il, a émerveillé les Somaliens.

C’est tout fier que l’enseignant raconte le progrès accompli par ces élèves particuliers au bout de deux ans. Ils sont aujourd’hui familiers à l’anglais et même le kreol. «Ça a pris du temps. Ils ne savaient pas comment utiliser un cahier. Voire, ils demandaient, à quoi servent les lignes dans un cahier. Aujourd’hui, ils ont vraiment évolué. Physiquement, car ici ils ont à manger à des horaires réglés mais le changement se voit surtout dans leur attitude», confie-t-il.

Cependant, Suraj Motur avoue que le film Capitaine Phillips – basé sur la prise d’otages, près des côtes somaliennes, du navire de la marine marchande américaine Maersk Alabama en 2009 –, qu’il a regardé il y a un mois sur l’insistance de son père, pousse à réfléchir. «Surtout si ça s’est déroulé comme dans le film, avec trois, quatre Somaliens dans une petite pirogue s’attaquant à un gros navire...»


 

Nouveau procès, nouvel acte d’accusation 

Après leur acquittement en novembre 2014, un nouveau procès est intenté, depuis le 24 février, aux 12 Somaliens accusés de piraterie en haute mer. Les juges Ah Foon Chui Yew Cheong et Asraf Caunhye ont trouvé, dans un jugement en appel rendu le 18 décembre dernier, que les magistrats de la cour intermédiaire ont failli à apprécier les preuves présentées par la poursuite lors du procès. Dans son appel, le DPP a avancé 18 raisons contre le verdict d’acquittement des 12 Somaliens. L’acte d’accusation a été modifié depuis : “On or about the 5th day of January in the year 2013, on the high seas, around 240 nautical miles off the Somali coast (…) willfully and unlawfully committed an act of piracy, to wit an illegal act of violence for private ends by the proof of a private ship directed against the MSC Jasmine, a Panama flag merchant vessel which was proceeding from Salah/Oman to Mombasa/Kenya.”

C’est le 25 janvier 2013 que les 12 présumés pirates somaliens, âgés de 20 à 45 ans, ont débarqué à l’aéroport de Plaisance à bord d’un avion militaire français en provenance d’une base militaire de Djibouti. Plus tôt, le 5 janvier, ils avaient été arrêtés en haute mer, à quelques kilomètres de Mogadiscio, capitale de la Somalie, par un groupe de commandos américains, avant d’être confiés à l’équipage du navire français Le Surcouf, qui faisait route vers Djibouti. Ces présumés pirates sont accusés d’avoir, ce jour-là, attaqué le MSC Jasmine, à coups de feu, en haute mer, à bord d’un skiff.

Depuis, ils sont incarcérés à la prison de Beau-Bassin. Chaque jour, dès l’ouverture des cachots à 6 h 30 et ce jusqu’à la fermeture à 17 heures, les pirates somaliens s’adonnent aux cours d’anglais, à l’artisanat, à la couture, à la télé, la radio et aux jeux de société. Les responsables du pénitencier les décrivent comme des «détenus coopératifs et responsables». À l’exception de Teacher, du prêtre chaque vendredi et de leur avocat respectif, les Somaliens ne reçoivent aucune visite.