Publicité

Journée de la langue maternelle : ki pozisyon kreol ?

21 février 2016, 23:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Journée de la langue maternelle : ki pozisyon kreol ?

Zourne internasional lalang maternel pe selebre zordi, 21 fevriye. Anou fer ene tour dorizon de pozisyon de nou lalang kreol.

Les nouvelles expressions

 

Connaissez-vous le mot «royos» ? (NdlR, un équivalent de voyou, voire même de drogué). Arnaud Carpooran, linguiste et universitaire qui a deux éditions du Diksioner Morisien à son actif, avoue que c’est tout récemment qu’il a rencontré ce mot.

La troisième édition du Diksioner Morisien est en cours de réalisation. Il est à paraître vers septembre-octobre 2016. «Une nouvelle édition se justifie quand il y a 10 % de changements par rapport à la précédente.» La seconde édition comportait 20 000 mots. Quelque 2 000 nouveaux mots  devraient y faire leur entrée. «Nous avons déjà travaillé sur 1 200 à 1 300 mots», assure Arnaud Carpooran.

Dev Virahsawmy distingue deux types de créativité linguistique : celle, populaire, des «gens qui créent pour satisfaire des besoins de communication courante». Ensuite, il y a la création d’écrivains. «On oublie souvent que les écrivains sont les auteurs de la langue. Peu de gens savent que 10 % du vocabulaire de Shakespeare est constitué de ses inventions.» 

Citant sa propre production littéraire, Dev Virahsawmy a transformé One swallow does not make summer en De trwa petal rouz pa fer banané. Sous sa plume, l’expression «ne pas mélanger les torchons et les serviettes» est devenue pa melanz kalchoul. Et pour décrire les mouvements d’une chenille, il a mélangé les verbes «glisser» et «grimper» pour obtenir glipé.

Simplification de l’orthographe

 

Les modifications de l’orthographe des mots, au nom de la simplification, proposés par l’Académie française, font polémique en France. Sommes-nous à l’abri de ce type de débat ? «Nous avons le grand bonheur à Maurice d’avoir une graphie qui établit un lien direct entre le son et l’alphabet», affirme Dev Virahsawmy. Rejoint en ce sens par Arnaud Carpooran, qui explique qu’il n’y aura pas de «crise linguistique parce que les critiques ont été prises en compte par l’Akademi Kreol Morisien». C’est elle qui a défini la graphie officielle du kreol morisien.

IL Y A BEAUCOUP DE GENS QUI NE SONT PAS ENCORE PRÊTS POUR CELA, MAIS LA LANGUE KREOL, ELLE, EST PRÊTE.

Des portes encore fermées

 

Officiellement, le kreol n’a pas droit de cité à l’Assemblée nationale. Cela, bien qu’il soit utilisé à l’occasion par les élus. «Il y a beaucoup de gens qui ne sont pas encore prêts pour cela, mais la langue kreol elle, est prête. Le blocage n’est pas au niveau de la langue», estime Arnaud Carpooran. Pour lui, il faut laisser faire le temps pour que le kreol devienne un médium d’enseignement. Pour l’heure, il est une matière optionnelle au niveau primaire.

«Dan lekol nou ti krwar li pa pou rant zame.» Aujourd’hui, les écoliers qui ont choisi le kreol comme matière optionnelle sont arrivés en Standard V, note le linguiste. Et la première cuvée d’étudiants en BA Hons French and Creole Studies à l’université de Maurice obtiendra son diplôme l’année prochaine. Les préparatifs pour que le kreol entre au collège comme matière optionnelle sont en cours.

Méthodique, Dev Virahsawmy estime qu’il est urgent de faire du kreol, «langue de 90 % de la population et deuxième langue des 10 % restants», le médium d’enseignement à l’école. L’objectif : développer la «littératie», l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. «Nous avons les ressources pour faire de Maurice une république de gens lettrés, ce qui manque, c’est la volonté politique.» 

Dans un deuxième temps, il s’agira, selon lui, d’adopter une loi pour faire du morisien et du rodriguais des langues nationales. «C’est là que l’on devrait songer à les faire entrer au Parlement.» Dev Virahsawmy maintient que «ceux qui disent qu’il faut faire cela tout de suite se trompent parce que la standardisation n’est pas complète». D’abord les élus ne «maîtrisent pas la langue à l’écrit, un problème pour consigner les discours dans le Hansard».

Par ailleurs, le processus de standardisation implique, selon lui, l’enseignement des techniques littéraires, les styles, la rime et le rythme aux écrivains et aux aspirants écrivains. «La transcription du parler est insuffisante.»

Les emprunts, un danger ?

 

Perdons-nous notre kreol à force de le frotter au français et à l’anglais ? Non catégorique d’Arnaud Carpooran. «Le kreol est une langue naturelle. Si ou rod fors li, li pou réfizé», affirme-t-il. «Il va se développer selon sa nature.» Dev Virahsawmy soutient, pour sa part, qu’il ne faudrait pas tomber dans le purisme et écarter les emprunts. «Il faut surtout encourager la créativité, pour trouver des équivalents à ce que nous empruntons.»