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Le tailleur sous toutes les coutures

20 février 2016, 11:50

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Le tailleur sous toutes les coutures

Au fil de sa longue carrière de plus d’un demi-siècle, il a vu défi- ler des milliers de clients. Des «gran palto», des étrangers, des dames soucieuses de leurs toilettes, des jeunes qui veulent«glasé enn kout». Rencontre avec Farouk, le tailleur qui file un bon coton.

Au milieu de ses patrons, le patron : Farouk Nurmahomed, 67 ans, des cheveux à peine grisonnants. À Beau-Bassin, dans son atelier de couture, au style à la fois moderne et ancien, les clients défilent. Plus rarement qu’autrefois, certes, mais assez pour qu’il tire son épingle du jeu, dit-il

Fil conducteur : chaque mois, son métier de tailleur, qu’il exerce depuis 52 ans maintenant, lui rapporte environ Rs 15 000, parfois plus. «Kan tir lwayé, lalimier, délo, pa res bel zafer, zis asé pou manzé», confie-t-il, en mode résigné. Mais, même s’il y contribue, l’argent ne fait pas le bonheur, rappelle Farouk, qui ne se laisse pas embobiner. Il ne troquerait son tablier, taillé sur mesure, pour rien au monde.

Surtout qu’il lui a été transmis par son papa, son modèle. «C’est lui qui m’a appris tout ce que je sais. Je suis fier d’avoir perpétué la tradition.» Et la relève dans tout ça ? Quelle est la tendance ? Les jeunes acceptentils d’endosser le costume de tailleur, de se retrousser les manches ? Des questions qui lui filent des boutons.

«Non. Travayer mem mo péna…» Ce métier ne leur sied plus, constate-t-il. «Avan, kan ou ti pé fel CPE tousala, bann paran ti pé avoy ou aprann enn travay. Aster, bizin atann 16 an. Sa laz-la, zénes anvi gagn larzan fasil.» Qu’en est-il de ses enfants ? Ressentent-ils l’appel du tissu? Farouk tombe la chemise. «Mo trwa tifi non. Mo garson ti pé aprann, li konn koud, mé li pé travay CID aster.» Qu’importe, l’important c’est d’aimer ce que l’on fait et de filer droit, souligne le tailleur, nullement froissé par leur décision.

Se faufilant dans le dédale de ses souvenirs, il se remémore la belle époque. Celle où sa machine à coudre de la marque Brother, 32 ans au compteur, tournait à plein régime. «Li ankor bon sa masinnla, zamé li pa finn les mwa tombé. Momem fer so servicing.» Alors que les ciseaux – de la taille de cisailles – ont, eux, plus de 40 ans. Quant au fer à repasser, il s’agit d’un ancien modèle à vapeur, qui dépend d’un bidon d’eau accroché au plafond pour ne pas avoir le «gosier» sec.

Repassons au temps d’antan. Après son apprentissage, de fil en aiguille et alors qu’il avait 15 ans, les choses sérieuses ont démarré pour Farouk. Puis, un beau jour, il a ouvert son atelier. «Il était situé à Rose-Hill, en face de l’ancien Gool. Mais il a pris feu en 1998. Alors j’ai bougé ici, à Beau-Bassin.» Depuis, il y est toujours.

Parmi ses clients : des «grand palto», dont des députés, des fidèles, mais aussi des étrangers. Un de ses souvenirs les plus marquants, c’est la fois où il a dû confectionner des costumes pour les danseurs d’un corps de ballet français. «Zot kostim diféran, li bizin pa zenn zot kan zot dansé. Zot ti bien kontan séki mo ti fer pou zot.»

Justement, combien cela coûte-il si l’on veut se faire tailler un costard, littéralement parlant ? Chez Farouk, cela revient à Rs 3 500. Pour ceux qui n’ont pas le temps de faire du lèche-vitrines, ils peuvent choisir parmi la panoplie de rouleaux de tissus exposés dans la sienne. Et le temps de confection ? Joue-t-il au «chas» et à la souris avec les clients ? Non. Dépendant du lot de travail, cela prend trois ou quatre jours. Pour une robe, sans fioriture, cela prend entre deux et trois heures

Son dé à coudre, Farouk l’en- file toute la semaine, dès 8 h 30 du matin. Ses aiguilles, il les repose à 18 h 30. «Pa kapav travay ziska tar azordi zour. Létan bien danzéré, pa an sékirité.» Le compte en banque aussi passe par une période incertaine. «Dan mwa desam ek zanvié gagn travay korek, mo gagn iniform tousala. Mé a partir févriyé, travay koumans tonbé.»

Mais il parvient toujours à dénouer les fils. Et même si les clients ont filé à l’anglaise au fil du temps, qu’il est parfois sur le fil du rasoir, Farouk, lui, reste attaché à sa machine à coudre. Chic alors.