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Éric Mangar: «L’absence de matières organiques et de vers est un bon indicateur de l’état réel du sol»

8 février 2016, 12:43

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Éric Mangar: «L’absence de matières organiques et de vers est un bon indicateur de l’état réel du sol»
Que donnons-nous à manger à nos enfants? Dans le cadre de la série d’articles réalisée par l’express, la parole à Eric Mangar, directeur du Mouvement pour l’autosuffisance alimentaire.

 

 

Vous avez travaillé pendant huit ans comme agronome au sein d’une propriété sucrière et 27 ans pour le compte du Mouvement pour l’autosuffisance alimentaire (MAA). Quel constat faites-vous de l’état des terres agricoles à Maurice ?

Si on devait interrompre l’utilisation de produits chimiques dans l’agriculture en général, à titre d’exemple, on ne verrait plus d’étendues de cannes verdoyantes. L’utilisation de pesticides ou d’herbicides, qu’elle soit dans les normes ou pas, n’est pas sans conséquences pour l’état du sol et l’environnement immédiat du site où des produits chimiques ont été utilisés. Le meilleur indicateur de l’état du sol et de l’environnement, c’est de rechercher l’existence de prédateurs naturels tels que les guêpes, les bactéries ou les vers sous la terre.

Certains insectes font de la résistance aux produits chimiques. La posture de certains agriculteurs consiste à composer des cocktails de produits chimiques pour plus d’efficacité. Le recours à ces produits crée une situation irréversible. On ne fait qu’aggraver une situation déjà explosive.

L’étude réalisée par l’express a apporté des preuves qu’il y a un problème au niveau de l’utilisation des produits chimiques dans le secteur agricole. Le ministère de l’Agro-industrie devrait régulièrement publier les résultats des tests réalisés pour repérer les cas d’utilisation abusive de produits chimiques.

Comment reconnaître un sous-sol complètement dépourvu de ses substances naturelles ?

L’absence totale de matières organiques et de vers est un bon indicateur. Un sous-sol avec des matières organiques qui n’ont pas été contaminées par des produits chimiques est de couleur tirée sur le noir. Il est bien structuré sous la forme de granulés qui assurent aux plantes des conditions maximales de croissance.

Avec votre diplôme de l’Academy Klaussenhof d’Allemagne, et votre maîtrise de l’université de Wales/Swansea en main, vous étiez promis à un bel avenir dans l’industrie sucrière. Qu’est-ce qui a motivé votre départ?

C’était pour mettre ma compétence au service des personnes qui vivent dans des poches vulnérables de la société. Ma maîtrise s’articulait autour de l’administration des services communautaires. Elle m’a aidé à mettre en place une structure qui promeut une approche agricole différente.

En quoi consiste cette approche agricole différente ?

L’idée était de démontrer que l’absence de larges étendues de terre ne devrait pas constituer un handicap à l’agriculture intégrée sans recourir à des produits chimiques. On peut produire du compost maison et planter ses légumes dans des bacs. La dépendance aux produits agricoles dont la croissance a été favorisée par des produits chimiques n’est pas irréversible. Les familles peuvent prévenir les risques associés à la consommation de produits dopés par des produits chimiques en développement leur propre jardin intégré.

Quelle est votre méthode pour respecter le cycle de la nature pour ce qui est de l’élimination des prédateurs nuisibles à la plante ?

Nous évitons de consacrer de larges portions de terre à la culture d’un type de plant spécifique. On cultive plusieurs types de produits sur une même plate-bande. Ce qui contribue à rompre le cycle de propagation d’insectes prédateurs nuisibles à la culture.

Dans quelle mesure cette approche a-t-elle fait son chemin chez les personnes auprès desquelles vous vouliez vous engager ?

Grâce à l’organisation non gouvernementale K Force Foundation, quelque 1 500 familles de Barkly et de Chebel produisent des légumes à la maison. L’idée a fait son chemin dans les écoles primaires. Grâce à Airports of Mauritius Ltd, nous avons pu toucher une douzaine d’écoles dans le Sud. Une dizaine d’écoles primaires des zones 1 et 2 l’ont été dans le cadre d’un programme de sensibilisation développé avec la contribution d’Emtel. Nous avons déjà mis en place un projet de ferme intégrée dans les écoles primaires de Cascavelle, de Bambous A et de cité Briqueterie.

Comment un projet de ferme intégrée se décline-t-il ?

L’institution qui veut œuvrer avec nous doit trouver une superficie pour aménager le projet. Nous fournissons le compost, une trentaine de bacs, des semences et des outils tels des arrosoirs et les condiments dont la menthe, le persil, le «cotomili» et le «brède Tom Pouce». L’institution a pour responsabilité de remplir les bacs de terre. Notre programme d’action prévoit également la distribution de plantes et de semences à une centaine d’écoliers ou d’élèves afin de sensibiliser les parents à la nécessité de produire leurs propres légumes selon des méthodes naturelles.

Avez-vous tenté l’expérience auprès des grosses entreprises du secteur privé ?

Il est réconfortant de constater qu’Omnicane a été favorable à une ouverture vers une approche agricole qui s’articule autour du respect et de la conservation de la biodiversité. Nous y avons développé un jardin intégré. L’autre initiative qui mérite d’être évoquée est celle réalisée conjointement par le MAA et Harel Mallac. Nous avons créé un jardin sur le toit d’un de ses bâtiments à Port-Louis. Ce programme a été développé dans le cadre de son Corporate Social Responsability. On peut imaginer ce qu’on pourrait faire si les propriétaires pouvaient développer un jardin intégré sur le toit de leurs bâtiments à Port-Louis.

Quelles sont les conditions indispensables pour étendre davantage le concept d’une approche agricole qui respecte les lois de la nature ?

Le recours éventuel à une approche agricole intégrée pourrait potentiellement contribuer à prévenir contre les maladies qu’on associe à tort ou à raison aux effets d’une utilisation abusive de produits chimiques. Il faut sensibiliser les étudiants en agriculture sur cette approche. À eux de choisir dans quelle filière ils s’engageront professionnellement. L’enseignement de l’agriculture comme matière devrait être inscrit au cursus scolaire. Pourquoi ne pas en profiter dans le cadre de la réforme du système éducatif du pays? Cette initiative permettra de développer chez l’enfant le respect de la terre et de ses produits. Les architectes peuvent apporter une contribution considérable sur ce plan. L’architecture des maisons devrait tenir compte de la possibilité de créer des espaces en vue d’aménager des jardins intégrés.

 

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