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Rapport nTan sur le groupe BAI: où est passé votre argent ?

30 janvier 2016, 21:00

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Rapport nTan sur le groupe BAI: où est passé votre argent ?

Le rapport nTan commandé par la Banque de Maurice a été rendu public, vendredi 29 janvier. Il s’avère compromettant pour des institutions telles que KPMG, la BDO ou encore la FSC. Ces dernières n’ont toutefois pas été interrogées par nTan lors de la rédaction du rapport ; la société singapourienne ne s’est basée que sur des documents mis à sa disposition.

 

Le rapport nTan fait ressortir que le groupe British American Investment (BAI) avait trois types de business qui tiraient leurs fonds directement du public. Il s’agit de la BA Insurance, du Bramer Property Fund (BPF) et de la Bramer Bank. Le rapport est très critique envers le pôle assurance du groupe ainsi que le fonds d’investissement. Les Singapouriens affirment que ces deux entités offraient des Ponzi-like schemes durant la période 2010-2013.

 

«Les retours sur investissement payés aux détenteurs de polices et aux investisseurs de la BA Insurance et du BPF ont été  faits par l’argent des nouveaux adhérents à la Super Cash Back Gold et aux nouveaux investisseurs», est-il écrit dans le rapport comme explication donnée pour le mode opératoire sous le Ponzi Scheme. En effet, les deux outils principaux ayant servi à renflouer les caisses de la BA Insurance et de la BPF étaient le Super Cash Back Gold (SCBG) et le BPF Preference Shares, respectivement.

 

Ce qui a retenu l’attention des auditeurs de nTan c’est que pour ces deux entités, de gros retours sur investissement étaient proposés avec un minimum de risques afin de «leurrer les investisseurs pour qu’ils y placent leur argent». Dans un schéma très simple, nTan explique comment circulait l’argent des épargnants au sein des deux filiales.

 

Étape 1 : offrir des packages financiers alléchants avec d’importants retours sur investissement et de faibles risques.

 

Étape 2 : rediriger l’argent obtenu durant la première étape vers les anciens investisseurs, puis injecter une partie dans les Related Party Investments avant de payer les dépenses liées à l’opération. Le rapport indique que de 2010-2013, la BA Insurance et le BPF ont injecté Rs 10, 8 milliards et Rs 2, 8 milliards dans les Related Party Investments, respectivement.

 

Étape 3 : Dernière étape, créer une impression de croissance au sein des deux filiales en s’assurant de payer les retours sur investissement à temps, grâce à l’argent des nouveaux investisseurs.

 

«Il n’y a aucun doute que ce mode opératoire a leurré le public et l’a incité à investir davantage», est-il écrit dans le document. En revanche, le rapport indique que les deux entités n’étaient pas viables puisque les retours promis aux investisseurs dépassaient largement les revenus générés par ces derniers. «…the shortfall widened over time until it was too wide to be bridged», indique le document.

 

SCBG : à quoi servaient les investissements ?

Des Rs 51, 6 milliards recueillies entre 2010 et 2013 par la BA Insurance, Rs 45, 8 milliards provenaient des nouveaux détenteurs du SCBG, Rs 1, 6 milliard des dividendes, Rs 600 millions d’emprunts bancaires et Rs 3, 6 milliards de la BA Investment comme capital. Toutefois, comme l’indique le rapport, ce capital n’est pas resté longtemps dans les caisses de l’assurance puisqu’il a été injecté, toujours comme capital, dans le BA Investment. Ce qui s’appelle, en finance, le round-tripping.

 

Rs 31, 2 milliards ont été payées aux détenteurs de polices d’assurance existants, Rs 4, 5 milliards ont servi à payer les dépenses et Rs 5, 1 milliards ont permis l’acquisition de biens. De plus, Rs 7, 2 milliards ont été «investies» dans des Related Parties et Rs 3, 6 milliards ont, à travers le roundtripping été injectées dans la BA Investment pour l’achat de l’hôpital Apollo Bramwell ou encore comme investissement dans la Bramer Bank.

 

BPF : où allait l’argent des investisseurs ?

Selon le document, Rs 6,7 milliards sont entrées dans les fonds du BPF, dont Rs 5,4 milliards provenant des placements des nouveaux investisseurs. Rs 3 milliards ont servi à payer les investisseurs existants, Rs 2,8 milliards sont allées aux filiales et Rs 900 millions ont été utilisées pour payer les dépenses liées aux opérations. Encore une fois, le rapport nTan démontre que le BPF n’avait pas suffisamment de revenus générés pour honorer ses engagements envers les investisseurs.

 

Transactions douteuses entre le BPF et Henessy Capital Ltd

En octobre 2014, après que la Financial Services Commission (FSC) a sommé le BPF de ne plus prendre l’argent des investisseurs, c’est le Henessy Capital Ltd (HCL) qui a remplacé le BPF en prenant des placements. Ce, alors que le Henessy Capital Ltd n’était pas reconnu par la FSC. Ensuite, les fonds recueillis par le HCL, soit Rs 111 millions, ont été reconduits vers le BPF et Iframac (Rs 77 millions) sous forme de dépôts.

 

Les pertes de BPF

En décembre 2014, trois mois avant que le BPF ne nomme des administrateurs, les livres de cette entité affichaient Rs 3,6 milliards d’actifs. C’est en mai 2010 que Seaton Investment, dont BA Investment est une filiale, a emprunté Rs 450 millions en émettant des obligations au BPF. Celui-ci rachetait ces obligations en utilisant les fonds des investisseurs.

 

De son côté, Seaton a utilisé ses fonds pour privatiser la BA Investment (voir plus loin), en 2010. C’est alors que ces obligations rachetées par Seaton sont passées comme ayant été rachetées de Klad Investment, qui détient 85, 80 % des actions de Seaton. À décembre 2014, le montant accumulé d’intérêts sur ces obligations représentait Rs 236 millions. Selon le rapport, il y avait peu d’espoir pour le BPF de recouvrer ces intérêts puisque Klad n’a jamais payé d’intérêts, sans compter que cette société faisait face à de sérieuses difficultés financières.

 

La Bramer Bank

Quant à la Bramer Bank, le rapport affirme qu’il était moins évident pour les responsables de s’engager dans des transactions douteuses puisque l’entité est régulée par la Banque de Maurice. Toutefois, cette banque est parvenue à investir dans les filiales du groupe de 2010 à 2013. Transactions qu’elle a omis de mettre dans ses comptes. Évitant ainsi de démontrer qu’elle allait à l’encontre des règlements de la Banque centrale (BoM).

 

Dans deux cas précis, la Bramer Bank a injecté des sommes conséquentes dans les sociétés soeurs du groupe BAI notamment pour l’acquisition du système de vente à tempérament pour Iframac et du financement pour l’achat de véhicules pour Iframac. Dans la foulée, le rapport précise que la Bramer Bank avait fait la demande auprès de la BoM pour pouvoir recevoir les bénéfices du système de vente à tempérament elle-même. Une autre activité qu’elle rajouterait à ses services bancaires.

 

BA Insurance

Les dettes de BA Investment envers la BA Insurance remontent à 2004. Selon le rapport, le montant de la dette est passé de Rs 300 millions à Rs 6, 4 milliards durant cette période. Au moins Rs 3, 1 milliards provenant des placements des détenteurs du SCBG avaient été avancées à la BA Investment.

 

À décembre 2014, les comptes de BA Insurance affichaient Rs 33, 6 milliards d’actifs dont Rs 27, 8 milliards étaient sous forme d’investissement dans les filiales du groupe. Une autre filiale du groupe Greensboro qui gère Diplomat Gardens devait également de l’argent à la BA Insurance à hauteur de Rs 584 millions, en 2010.

 

La privatisation de BA Investment

Le rapport nTan fait ressortir qu’il est évident que le management du groupe BAI, y compris Dawood Rawat, était au «courant de la situation financière très précaire du conglomérat». Et ce, depuis fin avril 2010.

 

Le document cite un extrait de la Transformation Strategy du Chief Operating Officer du groupe dans lequel on comprend que «le conglomérat fera des pertes de plus de Rs 2, 5 milliards à la fin de 2010, à moins que des mesures soient prises rapidement».

 

Il est aussi mentionné que le COO évoque la nécessité de trouver Rs 4 milliards afin de soutenir les filiales qui dépendent de BA Investment. C’est alors que, selon le rapport, Seaton a démarré les procédures en vue de retirer BA Investment de la Bourse.

 


«Les responsables»

C’est très serein que le gouverneur de la Banque de Maurice (BoM), Ramesh Basant Roi, a rencontré la presse à la mi-journée, vendredi 29 janvier. Accompagné des autres board members, il a expliqué que la BoM a souhaité rendre public le rapport dans un souci de transparence.

 

«Ce rapport est inestimable. L’on ne peut mesurer la crédibilité de la BoM», a martelé Ramesh Basant Roi. Il a également expliqué qu’il serait très «injuste de dire que la BoM n’a pas géré le dossier BAI de façon compétente».

 

Le rapport nTan se concentre sur la période où la BAI a commencé à faire des pertes, soit de 2010 à 2013. L’année 2014 n’a pas été prise en considération, faute de temps. La chute du groupe BAI aurait-elle pu être évitée ? Les régulateurs financiers et les firmes d’experts-comptables ont-ils bien fait leur travail ? Autant de questions qui sont évoquées dans le rapport nTan. L’express revient sur ces éléments du rapport qui indiquent que la situation actuelle aurait pu être évitée si les autorités avaient tiré la sonnette d’alarme à temps…

 

Interrogé à ce sujet, Ramesh Basant Roi est catégorique : les firmes d’experts-comptables présenteraient plusieurs lacunes. «Le rapport en parle mais nous avons des documents supplémentaires. Ils sont confidentiels mais nous pouvons les présenter en justice s’il y a lieu.» Voici, dans les grandes lignes, ce que nTan reproche à…

…DAWOOD RAWAT

Le rapport nTan indique avoir identifié des sommes d’argent qui clairement ont été octroyées à Dawood Rawat ainsi qu’à ses proches. Cependant, étant donné le manque de temps et d’informations, nTan n’a pas été en mesure de déterminer si une partie des fonds d’au moins Rs 17,3 milliards, ayant transité par la BA Insurance, le BPF et la Bramer Bank, a au final été payée à Dawood Rawat ou à ses proches. Mais nTan indique clairement des transactions où il est fortement soupçonné que de l’argent est parvenu à Dawood Rawat et ses proches. 

 

Le rapport avance que jusqu’à avril 2015 du moins, au moins Rs 1 milliard semble avoir transité par de nombreuses compagnies du groupe BAI jusqu’à Dawood Rawat et ses proches. 

 

De BA Investment, de 2008 à 2014, Rs 387 millions ont été versées dans le Chairman Current Account. Cette somme a été utilisée notamment pour l’achat de biens immobiliers à Rs 16,9 millions. Des avances de Rs 577 millions ont été faites sans aucune raison précise.

 

En 2010, BA Investment était cotée en Bourse et appartenait presque totalement à Seaton, qui à son tour appartenait à Klad. Selon nTan, Seaton ne fonctionnait pas et il semblerait que tous les avances/ paiements aient été effectués à Dawood Rawat et ses proches. De 2010 à 2014, des avances de Rs 280 millions ont été allouées.

 

«Il y a de forts doutes que les technical fees payés par BA Investment à BA Holding auraient été des paiements à Dawood Rawat et ses proches», peut-on lire dans le rapport. La somme totale des technical fees de 2009 à 2014 s’élève à Rs 98 millions.

 

Logandale, une compagnie très proche du Groupe BAI, n’avait aucune activité à son compte. Selon nTan, les transactions semblent avoir été effectuées uniquement afin d’encourager les intérêts du groupe BAI et de Dawood Rawat.

 

Le 14 novembre 2014, nTan met en évidence des transactions, effectuées successivement, qui ont permis à Dawood Rawat d’empocher Rs 50 millions. En effet, BA Insurance injecte Rs 50 millions dans Logandale qui transfère la somme à BA Investment. Et BA Investment renvoie la somme à Dawood Rawat. Selon le rapport, ces transactions semblent faire partie d’un scheme et ont des objectifs douteux.

 

…LA BDO

Le 31 décembre 2009, Rs 36 milliards ont transité de BA Investment à BA Insurance. Cet argent a ensuite été investi dans Acre Services Ltd, Bramser Services Ltd et ILSAT Ltd avant de retourner chez BA Investment. Toutes ces transactions ont été effectuées en un seul jour. «Étant donné que ces transactions considérables ont eu lieu en un seul jour, BDO, qui était l’auditeur, aurait dû les détecter pendant l’audit. Si BDO les avait notées, il était attendu qu’elle en informe la BoM», peut-on lire. Concernant le Road Map soumis par le BPF début 2014, nTan trouve que l’analyse de BDO n’est pas claire. «L’on note que BDO a émis une opinion favorable sur les déclarations financières de BPF en 2014.»

 

Selon le rapport nTan, malgré les transactions douteuses effectuées par BPF, BDO n’a émis que des opinions favorables lors des audits. Rien qu’en mars 2015, moins de deux semaines après que BPF a été mis en administration, BDO a émis une autre opinion d’audit favorable sur les finances de BPF pour l’année 2014. À la fin du rapport, nTan estime que si BDO n’avait pas émis uniquement des opinions «clean», cela aurait peut-être permis à BA Insurance de ne plus se tourner vers le public pour récolter des fonds.

 

…LA FSC

Le rapport nTan explique que les anomalies décelées au niveau de BA Insurance étaient connues de la FSC depuis 2007-2008. «La manière dont la BA Insurance a pu avancer n’est pas claire», indique nTan. Et de se demander si ce ne serait pas parce que la FSC a trop compté sur le nom BAI et les garanties qui vont avec ?

 

Le Bramer Property Fund Roadmap, qui est un plan soumis par le BPF en 2014, ne correspondait pas aux règlements de la FSC. Malgré cette discordance, la FSC n’a pas questionné le BPF ni Bramer Asset Management Ltd (BAML). «La FSC a-t-elle analysé le BPF Roadmap ?» se demande-t-on dans le rapport nTan, bien que la FSC soit le régulateur de BAML. À la fin du rapport nTan, l’on se demande si la FSC a fait usage du pouvoir qu’elle a pour examiner comme il se doit tous les documents financiers appropriés.

 

…KPMG

Le rapport nTan explique que la firme KPMG avait identifié quelques-unes des difficultés auxquelles faisait face la BAI. Dès 2012, par exemple, KPMG avait mis en évidence que BA Insurance roulait à perte. Cependant, nTan note que malgré tout, KPMG a émis une opinion «clean» sur les déclarations financières de BA Insurance au lieu de les rapporter à la FSC. «Comment KPMG a pu se satisfaire d’émettre une opinion favorable ?» lit-on dans le rapport nTan.

 

Le rapport avance que vu que c’est dès 2010 que des anomalies ont été décelées par KPMG, il est fort regrettable que des actions correctives n’aient pas été prises. «Si KPMG avait adopté une position plus stricte, comme informer la FSC des problèmes identifiés, la FSC aurait pu intervenir plus tôt et empêcher plus de détenteurs de polices d’assurance de se retrouver dans le scheme», peut-on lire.

 

Bien que KPMG note que pour l’année 2012, le groupe BAI a fait des pertes de Rs 3,4 milliards et que les liabilities dépassent le nombre total d’assets par Rs 9,2 milliards, la firme continue quand même à émettre des opinions favorables pour les compagnies du groupe BAI. C’est du moins ce qu’avance nTan.

 

Pour nTan, si KPMG avait émis des opinions défavorables, «peut-être» que cela aurait pu empêcher BA Insurance ou encore le BPF de recueillir de nouveaux paiements du public.

 

POINTS FORTS

 

  • «In other words, if the BAI group had closed down on either 31 December 2010 or 31 December 2013, successfully sold all its assets of the values recorded on its balance sheets and tried to pay off its liabilities, there would have been a shortfall of some Rs 1.2 billion or Rs 12 billion respectively»
  • “BA Insurance and BPF were operating Ponzi-like schemes for the larger part of the Review Period. The instruments used in these schemes were the Super Cash Back Gold policies and BPF Preference Shares offered by BA Insurance and BPF respectively, which promised high returns at low risk to lure investors to put their funds in these financial products”.
  • “BA Insurance was successful in raising funds through the sale of its insurance products. Its most popular insurance product was the Super Cash Back Gold policy. It was marketed as ‘excellent value for money’ and the promised returns were significantly higher than the prevailing bank deposit rates”.
  • “BA Insurance’s Audit Committtee and KPMG were clearly aware of the recoverability issues concerning the amount owing by BA Investment, as is apparent from KPMG’s FY 2010 and FY 2012 Presentations to the Audit Committee. Surprisingly, KPMG’s observations on the questionable recoverability of the amount owing by BA Investment did not seem to deter BA Insurance from advancing more cash to fund BA Investment..”
  •  “Yet, despite the declining price of the Bramer Bank shares from Rs 9.50 at the initial public offering in FY 2012 to Rs 7.98 at the end of FY 2013, BA Insurance continued to recognise interest income on the BramCorp subsidiaries’ debentures and did not provide for any impairment.”
  • “In August 2013, BA Insurance acquired the Apollo Bramwell Hospital (ABH) from the British American Hospital Enterprise Ltd (BAHEL) for Rs 2.5 billion. The purchase was funded by way of BA Insurance: (1) taking over the existing bank loans of BAHEL in the amount of some Rs 678 million, (2) making cash disbursement of Rs 300 million to BAHEL and (3) netting of some Rs 1.5 billion owed by BA Treasury to BA Insurance”.
  • “Bramer Bank had sought and received BoM’s approval to acquire Iframac’s hire-purchase receivables as part of its banking business. Based on the terms of the transaction as proposed to BoM, Bramer Bank was expected to make a profit”.

LAINA RAWAT REMONTÉE

«Many people have expressed their concern for our safety in the next 24 hours therefore I am making a declaration here, should anything happen to my family and our children - the responsibility will lie with the press and the govt officials who have been taking steps to incite public hatred towards my family.» 

 

C’est ce qu’a indiqué Laina Rawat sur sa page Facebook, vendredi 29 janvier, à quelques heures de la conférence de presse du gouverneur de la Banque de Maurice, Ramesh Basant Roi. La fille de Dawood Rawat s’élevait contre la publication du rapport nTan qui est «un outil visant à convaincre le public que nous sommes coupables...» dit-elle.