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Surdosage de pesticides: l’impact sur notre santé

18 janvier 2016, 20:58

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Surdosage de pesticides: l’impact sur notre santé

 

Un échantillon sur cinq des produits que nous avons achetés à travers l’île affiche des taux de pesticides allant «au-delà des Limites Maximales de Résidus» fixées par la CEE. Dans les échantillons de carottes (item 6 des 45 que nous avons collectés), on retrouve, par exemple, du Profenodos à plus de quatre fois le taux permis. Ou encore, du Diuron à quatre fois et demie le taux autorisé dans l’ananas (item 15). Les résultats des analyses, effectuées par Quantilab Ltd pour le compte de l’express, révèlent l’existence d’un surdosage de pesticides.

Ce qui nous pousse à nous poser les questions suivantes : ces substances chimiques perturbent-elles le bon fonctionnement de notre organisme ? Ont-elles un impact direct sur nos systèmes neurologique, endocrinien, digestif et reproductif ? Les médecins spécialistes que nous avons consultés ne peuvent l’affirmer en raison d’une absence d’études scientifiques sur le sujet à Maurice. Mais en se basant sur celles réalisées sur des rongeurs et des observations faites sur l’humain à l’étranger, ils concèdent que des liens significatifs ont été établis. Ils estiment que les probabilités que les pesticides aient un impact sur notre santé sont grandes.

Dr Dominique Lam Thuon Mine, neurologue : «Le planteur et le consommateur peuvent être affectés»

Démarrons cette enquête avec le neurologue Dominique Lam Thuon Mine. Dans la pratique, il admet qu’il n’a pas pu établir de lien direct entre les pesticides et un problème neurologique ou un autre lié aux nerfs périphériques. En revanche, il indique que des documentations scientifiques faites à l’étranger l’établissent.

«Dans la littérature scientifique documentée à l’étranger, on fait état d’un lien de cause à effet entre les pesticides et des troubles neurologiques.» Il cite l’intoxication localisée, comme des problèmes dermatologiques survenant après la manipulation de pesticides sans gants, des allergies respiratoires et des perturbations neurologiques pouvant se déclencher après l’inhalation d’émanations de ces substances.

«Au vu de cette documentation, je dirai que le planteur et le consommateur peuvent être affectés.» En sa qualité de neurologue, le Dr LamThuon Mine déclare que l’ingestion de pesticides peut provoquer des maux de tête, des états de fatigue, la somnolence ou des insomnies. Et qu’arriverait-il si l’intoxication était chronique, c’est-à-dire répétée? «Cela peut entraîner des troubles du comportement, un état dépressif, un manque de concentration et des difficultés de mémorisation.»

En fait, poursuit le spécialiste, tout dépendra de la dose et de la durée d’intoxication. «Des tests ont été effectués sur des souris et l’impact a été prouvé. Mais on ne peut pas le faire sur l’être humain.» Toutefois, s’il y a eu une influence sur les animaux, le Dr Lam Thuon Mine ne voit pas pourquoi il n’y en aurait pas sur l’humain. «Surtout chez les personnes qui consomment des légumes ou des fruits contenant trop de pesticides.»

Poursuivant dans cette logique, il est d’avis qu’un être humain, sujet à une intoxication aux pesticides, pourrait avoir la maladie de Parkinson, des cas ayant déjà été décrits à l’étranger. «Cette maladie, caractérisée par des tremblements et des difficultés de mouvements, affecte généralement des personnes âgées. Mais elle peut se manifester chez un sujet plus jeune en cas d’intoxication touchant le cerveau.»

La possibilité que cette intoxication déclenche aussi une démence, comme la maladie d’Alzheimer, n’est pas à écarter, selon le Dr Lam Thuon Mine. «Tout comme elle peut provoquer une atteinte au système nerveux périphérique avec une polyneuropathie qui se manifeste par une faiblesse des forces musculaires et des troubles de la sensibilité. Je crois que tout dépend de la dose et de la durée d’exposition. Si vous dépassez, par exemple, la dose d’un médicament, il devient toxique.»

Dr Mario Ng Kuet Leong, gynécologue : «Un lien entre les pesticides et la diminution des spermatozoïdes»

Il est catégorique : il y a un lien significatif établi entre les pesticides et la diminution des spermatozoïdes chez l’homme. Le Dr Mario Ng Kuet Leong, directeur de la clinique du St Esprit et pionnier de la Fécondation in vitro à Maurice, cite d’ailleurs des études menées notamment par l’American Congress of Obstretricians and Gynecologists. Il souligne que la science, d’un point de vue général, a établi que les produits chimiques ont des effets néfastes sur l’organisme humain. Dans ces conditions, il estime logique que les pesticides soient nocifs à la santé.

Les premières études scientifiques ont été effectuées dans les années 90 mais l’échantillonnage était si sélectif qu’il était impossible de parvenir à une conclusion probante. Il a fallu attendre les dix dernières années pour que des recherches sérieuses prouvent que l’exposition adulte aux pesticides pouvait influer sur la fertilité masculine.

«À l’époque où je me spécialisais en gynécologie-obstétrique, la norme pour le sperme était de 60 millions par ml. Aujourd’hui, la norme acceptable est de 20 millions par ml.» Pas moins de17 études, ajoute-t-il, menées entre 2007 et 2012 sur la manière dont les expositions environnementales et professionnelles affectaient la qualité du sperme, ont été revues. Les résultats de cette révision, publiés en 2013 dans la revue Toxicology, ont révélé que sur 5 d’entre elles, il y avait des liens significatifs entre l’exposition aux pesticides et une baisse de la qualité du sperme.

Le Dr Ng Kuet Leong indique que ce lien ne date pas d’hier. Il cite l’exemple classique du Nemogen ou di-bromo-chloro-propane, fabriqué par la société américaine Dow, en Californie, et qui a rendu stérile aussi bien les employés que les planteurs de bananes au Nicaragua où ce pesticide a été utilisé. Il a aussi été prouvé que l’exposition à d’autres pesticides tels que l’atrazine ou le diazinon mine la viabilité du sperme.

Ainsi, le directeur de la clinique du St Esprit pense que les pesticides doivent aussi jouer un rôle dans le retard accusé dans la conception, même si on ne peut encore établir de lien direct. «Il faut aussi tenir compte des autres produits chimiques se trouvant dans l’air, l’eau et l’alimentation qui peuvent non seulement affecter les hormones mais aussi entrer par l’épiderme.»

Le plus inquiétant, dit-il, est que de récentes études, en Espagne et à Washington par exemple, ont prouvé que l’exposition à certains produits chimiques pouvait altérer l’ADN foetal et occasionner des malformations. «Si ces produits chimiques affectent les structures chromosomiques, ces malformations peuvent se perpétuer dans la prochaine génération.»

Qu’en est-il du dosage de ces pesticides ? Pour le Dr Mario Ng Kuet Leong quel que soit le dosage, ce qui tue un insecte doit forcément être nocif à l’Homme.

Dr Farouk Bholah, chirurgien gastro-entérologue : hausse des cas de cancer gastro-intestinal ces dernières années

 

Un constat : les cancers gastro-intestinaux – ceux de la bouche, de l’oesophage, de l’estomac, du côlon, de l’intestin, du rectum, du pancréas, du foie et du système biliaire – sont en hausse depuis les 20 dernières années. Mais le Dr Farouk Bholah, chirurgien gastro-entérologue à l’hôpital SSRN, a noté une accélération au cours des dix dernières années. S’il ne peut dire, avec certitude, que le surdosage de pesticides en est la principale cause, il estime, toutefois, qu’il y a un lien entre les cas de cancer décelés et l’alimentation des patients.

Après avoir écarté le terrain génétique, le Dr Bholah avance comme principaux éléments déclencheurs de ces cancers le tabagisme et la consommation excessive d’alcool. Ou encore, l’obésité, attribuable à la malbouffe et à la sédentarité. Par malbouffe, il sous-entend de la viande cuite à haute température – qui transforme les molécules de protéines en agents cancérigènes –, de la charcuterie et une insuffisance de fibres alimentaires.

S’il est difficile pour lui d’établir un lien de cause à effet entre le surdosage de pesticides et les cancers, il estime, cependant, qu’il doit y avoir nocivité à long terme. «Des experts à l’étranger ont établi ce lien. En France, l’Institut de veille sanitaire a confirmé le lien pesticides-cancers et autres maladies comme celle de Parkinson et l’asthme.»

Et au vu des cancers gastro-intestinaux, dont le centre diagnostique environ trois à quatre cas par semaine, on ne peut pas, selon lui, affirmer qu’il n’y a aucun lien avec l’environnement et l’alimentation. «Outre les pesticides, les hormones et les antibiotiques utilisés dans les élevages peuvent causer le cancer, surtout s’ils sont utilisés dans des cocktails. Ils font des dégâts surtout sur les groupes à risques, comme les foetus, les bébés et les enfants en croissance.»

Dr Yovan Mahadeb, endocrinologue :  quatre pesticides décelés ont eu un impact sur des rats de laboratoire

Il est difficile d’établir un lien direct de cause à effet entre la perturbation des hormones et les pesticides sur l’être humain. C’est du moins ce qu’indique le Dr Yovan Mahadeb, endocrinologue du secteur public, affecté à la région de Flacq.

Cela ne l’empêche pas pour autant d’être formel : les pesticides peuvent avoir un impact sur les systèmes neurologique et reproductif. «Les perturbateurs endocriniens influent sur le développement de certains organes, notamment reproductifs. Cela a surtout été prouvé chez l’animal.»

D’ailleurs, quatre des pesticides retrouvés dans les légumes, fruits et autres produits analysés par Quantilab Ltd ont eu un impact sur des rats de laboratoire. À titre d’exemple, les rongeurs qui avaient consommé de l’hexaconazole, trouvé en excès dans l’échantillonnage de laitues (item 1), présentaient une malformation de la thyroïde.

Ceux qui avaient absorbé de l’Hexaconazole, sous forme de cocktail avec le Profenofos, présent en surdose dans les petits piments (item 7) et les carottes (item 6), présentaient des anomalies aux testicules et dans leur production de spermatozoïdes. Le Diuron, excédentaire dans l’échantillon d’ananas (item 15), a montré un effet cancérigène sur la vessie et les reins de ces rongeurs.

Autant le lien de cause à effet est direct chez ces animaux, chez l’être humain, il est plus difficile à établir. Et ce, bien que des études épidémiologiques aient révélé que dans certaines familles agricoles brésiliennes, il y a une tendance de naissances de bébés ayant un poids inférieur à celui d’autres nourrissons. Chez les femmes présentant un cancer du sein influencé par les hormones, on a trouvé un taux anormalement élevé de pesticides. Tout comme une étude danoise a démontré que le quotient intellectuel des enfants nés de femmes enceintes dont les urines contenaient un taux élevé de pesticides était plus bas que les autres enfants nés de femmes dont l’urine n’avait pas une trace de pesticide.

«Le tout est de savoir si les mêmes doses ingérées par les rats de laboratoire auront le même effet sur l’Homme.» Chez l’être humain, souligne le spécialiste, il y a des périodes de vulnérabilité comme la période foetale, la petite enfance et la puberté. Dans sa pratique de la médecine, il affirme avoir noté un retard dans la puberté chez les garçons mauriciens, c’est-à dire qu’ils présentent des caractères sexuels secondaires vers 14-15 ans au lieu de 11-12 ans.

Or, dit-il, on ne peut pas établir de lien de cause à effet avec les pesticides. Y aurait-il alors un effet anti-androgène induit par des pesticides retrouvés dans les aliments ? «Difficile à dire. Il faudrait plusieurs études rigoureuses pour le prouver et surtout pour établir un lien de cause à effet sans équivoque.»

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