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Chrisnabelle et Cindy : Les dures réalités de ces «madam ki trase»

3 janvier 2016, 19:00

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Chrisnabelle et Cindy : Les dures réalités de ces «madam ki trase»

On les croise sans les voir parce qu’elles vendent des services sexuels comme d’autres des tapis. Bien que socialement rejeté, ce commerce n’enlève rien à leur humanité. Chrisnabelle, ancienne madam ki trase et Cindy, qui le fait toujours, auraient très bien pu être vous ou moi. Elles réclament une seule chose : le respect.

Les dés étaient pipés d’avance autant pour Chrisnabelle, 21 ans, que pour Cindy, 33 ans. C’est pour oublier le souvenir des coups infligés par son père à sa mère alors qu’elle n’était encore qu’une enfant, la séparation subséquente de ses parents, le déménagement du Morne à Batterie-Cassée, la misère qui colle à la peau comme la lèpre que Chrisnabelle, qui étudie pourtant jusqu’en Form II, accepte d’abord de sniffer de l’héroïne.

N’étant pas devenue accro, elle se croit préservée de la dépendance. C’est ce qui lui fait accepter d’être «piquée» à 15 ans par son petit ami qui lui offre le choix entre le Subutex et l’héroïne. Va donc pour l’héroïne ! «La première fois, on oublie tout», raconte Chrisnabelle dans un français impeccable. Les injections s’enchaînent jusqu’à ce que le petit ami soit arrêté et emprisonné et que sa source d’approvisionnement tarisse. «J’ai commencé à trase à Grand-Baie pour pouvoir acheter de la drogue». Elle se dégoûte après sa première fois. «J’ai même pleuré. Mais le besoin de la drogue était plus fort.» Alors elle recommence.

C’est aussi la misère qui conditionne le devenir de Cindy, orpheline de père à l’âge de six ans. À la maison, il y a sept bouches à nourrir et sa mère qui ne peut travailler, fait la manche. Cindy, qui n’a pas étudié au-delà du primaire, travaille «dan lakour dimounn» avant d’être embauchée dans une fabrique de nouilles séchées. Les horaires épuisants – de 6 à 21 heures – et les gains minces, Rs 900 par mois, finissent par la décourager.

Un énième essai de travail «dan lakaz dimounn» se solde par une tentative d’abus sexuel qui lui fait prendre ses jambes à son cou. Une nouvelle amie lui fait alors miroiter la perspective d’un meilleur salaire à travers le travail du sexe. Cindy croit alors tous ses problèmes réglés.

Autant elle que Chrisnabelle ont un soir rendez-vous avec la violence. C’est quasiment le même scénario. Elles montent en voiture avec un client qui paraît en règle jusqu’à ce qu’il prenne d’autres hommes à bord. Chrisnabelle est passée à tabac et violée avant d’être jetée comme un ballot de linge sale en bordure de route. Cindy subit le même sort et manque d’être étranglée. «Si mo pa ti coopere ek pran li simp, mo ti pou mor», affirme la trentenaire.

Si Chrisnabelle, traumatisée, ne va pas à la police et s’enferme chez elle pendant 15 jours, Cindy a le courage de porter plainte. Bizarrement, l’enquête piétine alors qu’elle a bien décrit ses agresseurs.

«KI SANNLA POU EMPLOY MOI ?»

 

Chrisnabelle décide de raccrocher avec la drogue lorsqu’elle rencontre un homme dont elle tombe amoureuse. «Monn desid monte lor methadone ek li osi.» Le destin frappe encore avec la mort de leur premier enfant emporté par une gastro-entérite aiguë. Quelque temps plus tard, un appel anonyme à la Child Development Unit la prive de Danace, son fils de 16 jours qu’elle ne voit plus que deux fois la semaine. «Mo ena limpression ki zot inn tir mo zenfan ar moi parski zot inn aprann ki mo ti trace ek ki mo ti pran la drog. Mo nepli fer li. Mo kone mo lavi avan pa ti korek. Tou dimounn gaign droit sanze me zis pou moi, l’étiquette reste. Li pa zis. Mo enn humain parey kouma lezot.»

Cindy est toujours dans le business et cela fait plus de 17 ans que ça dure. Elle sait pertinemment que d’autres emplois ne lui permettraient pas de subvenir aux besoins de ses enfants : «Lor mo certificat moralite inn ekrir ki mo rogue and vagabonde ki mo fer raccolage. Ki sannla pou employ moi ou donn moi travay ? Dimounn konn mo figir e zot napa pou le pran moi pou okip zot zenfan. Bann madam pou per mo coquin zot mari», déclare cette mère de trois enfants qui économise sou par sou afin de pouvoir un jour leur offrir un toit.

Chrisnabelle suit désormais une formation en vue d’intégrer Parapli Rouz et être accompagnatrice des autres «madam ki trace, distribue préservatifs ar zot ek fer zot kone ki ena enn centre pou zot ». Cindy n’a plus qu’un rêve fou : quitter le pays pour recommencer à zéro ailleurs. «Bisin respecte dimounn kouma nou. Ou kapav pa kontan seki nou fer. Dir enn bonzour ou enn bonsoir ek pass ou simin. Me napa ziz nou…»


Parapli Rouz : autonomiser et faire respecter ces femmes

Le centre de l’organisation non gouvernementale Parapli Rouz, situé au 38 bis, rue de Courcy à Port-Louis, a ouvert ses portes en janvier mais a été inauguré le 17 décembre. Son objectif est d’autonomiser les travailleurs du sexe par des cours de développement personnel, d’alphabétisation, d’anglais et d’informatique, tout en faisant respecter leur dignité. Cela passe par l’arrêt d’actes violents à leur égard. Le centre opère du lundi au vendredi entre 8 et 17 heures. La coordonnatrice de Parapli Rouz est Sophie Montocchio (photo).