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Pourquoi La Cambuse divise les milieux écologistes eux-mêmes…

10 novembre 2015, 12:34

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Pourquoi La Cambuse divise les milieux écologistes eux-mêmes…
Un peu comme le débat sur les chauves-souris, celui engagé autour du projet hôtelier du groupe Currimjee génère beaucoup de positions, les unes plus techniques que les autres, les unes moins raisonnées que les autres. A bien des égards, sur un plan purement scientifique, le débat est faussé (comme c’est souvent le cas chez nous). On a tendance à tout mélanger: idéologies, arguments fallacieux, rapports techniques et jargons des experts, permis et campagnes de toutes sortes.
 
A ce stade, le projet a déjà obtenu son permis EIA du gouvernement et son permis de construction par le conseil de district de Grand-Port, mais les travaux n’ont pas encore démarré. Les objections des contestataires ne se calment pas et s’étendent désormais à l’ensemble de l’aménagement côtier, sous le thème «Aret kokin nu laplaz».
 
Faute d’un consensus, l’affaire La Cambuse a été portée devant la justice. Il appartiendra à celle-ci de démêler le vrai du faux. En attendant, voici, selon nous, les principaux points en litige sur lesquels le débat s’enlise durablement, à commencer dans les milieux écologistes. Essayons de voir un tout petit peu plus clair entre le parc marin, les dunes, les ossements de dodo et les prises de position ambiguës, bref entre ces imbroglios…
 

Communiqué de la Platform Moris L’Environman : imbroglio numéro 1

 
Divergences parmi les écolos? Le communique de la Plateforme Moris l’Environman (PML) (http://plateformemauriceenvironnement.asso-web.com) n’a pas été suffisamment analysé. L’express a appris que ce communiqué a pris beaucoup de temps avant d’être rédigé et n’a pas fait l’unanimité parmi les membres.
 
PML, qui réunit selon son site une quinzaine d’ONG, et qui est devenue la voix écologique de notre pays, souligne ceci à propos du projet d’hôtel à La Cambuse: «Sur la question spécifique des enjeux environnementaux de Le Chaland Resort Hotel en ce qui concerne le parc marin de Blue-Bay, PML a recueilli l’avis de scientifiques. L’hôtel du Chaland jouxte le parc marin en raison de l’application d’une zone tampon de 100 m de la ligne de haute marée, incluant un green belt de 50 m de profondeur. Il en est ressorti que le risque d’impact négatif sur le parc marin serait très faible.»
 
PML insiste toutefois pour qu’un suivi soit effectué sur les impacts (soit un monitoring régulier avant, pendant et après la construction et des postes de monitoring supplémentaires dans le parc marin si nécessaire) et que des mesures correctives soient prises si besoin est.
 
PML, qui regroupe entre autres des spécialistes comme ceux de la Mauritius Marine Conservation Society et Reef Conservation, a clairement une divergence avec les contestataires. On peut défendre les mêmes causes sans pour autant raisonner de la même façon. Pour preuve, un ou deux membres, dont Eco-Sud, continuent à militer, avec force et conviction, contre le projet, alors qu’ils ont apparemment signé le communiqué commun. Deux autres experts de PML ont refusé de signer le communiqué car ils sont mêlés au projet comme consultants (ils ont déclaré leurs intérêts et n’ont pas participé aux débats – ce qui est tout à leur honneur).
 
Ces positions sont-elles à la base de la première confusion qui vient compliquer la polémique de La Cambuse ? On ne sait plus qui dit quoi, surtout sur la base de quelles études.
 

Les dunes millénaires: imbroglio numéro 2

 
Quelques voix écologistes s’élèvent contre le danger auquel sont exposées les dunes millénaires. «Si tout le cordon dunaire de l’île date de plusieurs millénaires, à La Cambuse, il existe encore des dunes et des crêtes de dunes qui n’ont pas été rasées comme ailleurs. Une zone de cette dune a été sérieusement impactée par des constructions antérieures / travaux liés à ces constructions (Seconde Guerre mondiale, HMS Mauritius qui avait là son Beach house entre 1969 et 1976)», confie un historien passionné d’écologie.
 
C’est sur cette zone déjà sérieusement impactée que seront construits les locaux publics de l’hôtel. A noter que le rapport EIA présente toutes ces «features» écologiques et donne une analyse détaillée de tous les impacts avec des mesures mitigeantes. C’est-à-dire qu’il est important que la zone dynamique de la dune (la zone dynamique, c’est la partie qui change avec les marées, les cyclones, les storm surges) continue à fonctionner après la construction de l’hôtel. Ce qui sera le cas non seulement en raison du set back de 100 m et du maintien de la zone tampon verte mais aussi en raison de la restauration de l’écosystème de la zone dunaire avec la plantation de plantes endémiques entre autres.
 
«Pour protéger la dune, il a été décidé qu’une forêt endémique sera recréée. On ne parle pas d’un petit jardin d’hôtel, mais d’une vraie forêt avec 10 000 arbres, d’un green belt (…) Cette foret permettra la stabilisation de la dune, c’est son but et cette partie a été recommandée par Pierre Baissac, un des meilleurs géologues mauriciens. C’est une première à Maurice et il se pourrait bien que cela serve d’exemple pour les développements hôteliers futurs. En tous les cas, ce serait souhaitable», fait-on ressortir du côté des promoteurs. Cet argument est rejeté par certains écologistes qui ne veulent pas entendre parler de travaux près des dunes, même si l’érosion nous guette…
 

Mare-aux Songes et nouvelle route : imbroglio numéro 3

 
Les dodos étaient récemment au cœur d’un article du Washington Post par rapport à l’abattage des chauves-souris à Maurice. C’est dire à quel point le symbole des dodos demeure un argument émotionnel de taille, que ce soit sur le plan local et international. Pour revenir à Mare-aux-Songes, ce site d’intérêt paléontologique se situe à 700 m du site de l’hôtel. Il y a trois bassins et celui où les ossements de dodos ont été identifiés se trouve à 250 mètres de la route.
 
La (nouvelle) route d’accès à la plage publique et à l’hôtel pourrait impacter sur le site si elle passait à une distance inférieure aux 30 m réglementaires. Or, selon les calculs des opposants au projet, la distance serait de 29 mètres. Est-ce qu’un géomètre indépendant pourrait trancher ce litige qui porte sur… un mètre ?
 
Ajoutons que la nouvelle route découle d’un accord entre le gouvernement, Omnicane et le groupe Currimjee car le terrain sur lequel la nouvelle route d’accès à la plage publique sera construite se trouve sur le terrain qui appartient à Omnicane et le groupe Currimjee (il se trouve sur le balisage entre les 2 terrains). La nouvelle route sera proclamée route publique à l’achèvement des travaux.
 

Un rapport culturel pas environnemental : imbroglio numéro 4

 
Il y a eu beaucoup de bruit autour du rapport Heritage Research Indian Ocean (HRIO) qui est un Cultural Heritage Assessment et présenté comme «déterminant». Or, le HRIO avait pour mission d’établir la valeur historique/culturelle du site (pas l’impact géologique ou écologique).
 
Les personnes qui ont travaillé sur le projet ont des compétences en archéologie et en paléontologie. Quand elles ont soumis le rapport, elles ont affirmé que l’endroit où l’hôtel des Currimjee sera construit est le même où que celui où se situait le premier Le Chaland (construit en 1962). Ainsi, disent-elles, le site a une valeur historique. Sauf que quand cette affirmation est vérifiée, il se trouve que ce n’est pas le cas. Les experts se seraient trompés sur ce point et ont fait une recommandation sur cet aspect en se basant sur un «wrong finding».
 
Selon une scientifique approchée par l’express, «le rapport HRIO contient des approximations, des inexactitudes et des erreurs grossières d’une méthodologie des plus défaillantes (…) même dans leur domaine de compétence, soit le Cultural and Heritage Impact Assissent (CHIA) leur méthodologie défaillante les a conduits à conclure que le site fait partie du site du premier hôtel balnéaire de Maurice, Le Chaland de Mauritius Hotels. Or, une simple consultation de plans au ministère des Terres et aux Archives aurait suffi à montrer que ceci n’est pas du tout exact».
 
Par la suite, les promoteurs ont fait appel au couple Summers (Dr Geoffroy et Françoise) pour faire un nouveau CHIA. Les Summers, qui ont conduit des recherches sur le sud-est de Maurice (y compris l’île de La Passe), concluent que le site n’est pas celui du premier hôtel balnéaire de Maurice; le site a été utilisé pendant la Seconde Guerre mondiale – l’aéroport de Plaisance a été construit pendant cette guerre et, les ruines ayant un intérêt archéologique et historique ont été identifiées et leur conservation recommandée à usage éducatif (une des conditions du permis EIA est que à des dates recommandées par le National Heritage Fund, l’hôtel permette la visite de ces ruines).
 

Idéologie vs arguments scientifiques : imbroglio numéro 5

 
Dissidente de PML (du moins une partie?), la plate-forme Aret Kokin Nu Laplaz se tourne vers la justice. Ce qui est une bonne chose car les arguments pourront être soupesés pour ce qu’ils valent. C’est dommage, eu égard à ses succès et expérience passés, que PML ne s’associe pas à ce débat d’ordre juridique car sa mission était précisément «de développer une entente collaborative afin de mieux faire avancer les différentes causes défendues, à travers la coordination, l’entraide et le partage d’information». D’autant que les ONG de la plateforme sont actives dans différents domaines, comme la préservation des écosystèmes marins et terrestres, la préservation de la faune et de la flore endémiques, le combat contre la pollution sous toutes ses formes, la conscientisation sur le danger de l’utilisation abusive de pesticides, l’érosion des sols et des régions côtières, la gestion durable des déchets, la préservation du patrimoine, la prise en compte des aspects environnementaux et sociaux dans le processus de développement – qui sont tous des enjeux cruciaux lorsqu’on parle du projet de La Cambuse ou d’autres projets de développement qui nous concernent tous.
 
Est-ce le fait que les risques d’impact seraient «faibles» qu’on n’entend plus PML? Enfin, il est important de séparer l’idéologie – par exemple discuter sereinement de la nécessité ou non qu’il faut «dire non à tout nouveau projet d’hôtel quel qu’il soit» (car il y en a déjà trop, selon plusieurs?) – d’un débat scientifique comme celui du projet hôtelier de La Cambuse. Les amalgames sont tentants et faciles, mais ils ne nous poussent pas vers le progrès auquel nous aspirons, mais davantage vers la démagogie et le populisme – qu’il nous faut combattre, d’où qu’ils viennent, au nom de la lucidité scientifique… Et dans ce combat il est important de rechercher un consensus, surtout parmi ceux qui présentent des arguments scientifiques. Il y va de l’intérêt général et de la compréhension des enjeux par le public.