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Turquie: Erdogan à nouveau seul à la barre après son triomphe aux législatives

3 novembre 2015, 07:03

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Turquie: Erdogan à nouveau seul à la barre après son triomphe aux législatives
Le président islamo-conservateur turc Recep Tayyip Erdogan a repris lundi seul les commandes de la Turquie au lendemain de la victoire aussi écrasante qu'inattendue de son parti aux législatives, qui a aussitôt ravivé les craintes sur ses dérives autoritaires.
 
Contre tous les pronostics, son Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) s'est largement imposé en obtenant 49,4% des suffrages et la majorité absolue, avec de 316 des 550 sièges du Parlement.
 
Cinq mois à peine après le revers retentissant concédé aux législatives du 7 juin, ce scrutin a sonné comme une revanche éclatante pour M. Erdogan, dont le règne sans partage sur son pays depuis treize ans suscite de plus en plus d'inquiétudes.
 
Symboliquement, l'homme fort de la Turquie a célébré son succès lundi par une prière à la mosquée d'Eyup, comme le faisaient les nouveaux sultans de l'Empire ottoman.
 
Se réjouissant que ses compatriotes aient voté "en faveur de la stabilité", sûr de lui, M. Erdogan, a sermonné ses détracteurs, notamment dans la presse étrangère. "Le monde entier doit respecter la volonté nationale (...) je n'ai pas beaucoup vu ce respect", a-t-il lancé.
 
Son succès a été unanimement interprété comme étant l'expression d'un désir de stabilité dans un pays confronté à la reprise du conflit kurde et à la menace jihadiste, après l'attentat qui a fait 102 morts devant la gare centrale d'Ankara il y a trois semaines.
 
Pendant toute la campagne, le président et son Premier ministre Ahmet Davutoglu se sont posés en garants de la sécurité de la Turquie, agitant le spectre du "chaos".

- Appel au "compromis" -

Ces élections "ont montré le succès de la stratégie d'Erdogan, qui a retenté sa chance dans les urnes, pris des risques pour le pays et fait passer sa priorité de l'économie à la sécurité", a résumé lundi Murat Yetkin, éditorialiste du quotidien Hürriyet Daily News.
 
Sans surprise, les marchés financiers ont salué le retour annoncé du "gouvernement d'un seul parti", gage de stabilité immédiate.
 
La Bourse d'Istanbul a bondi de plus de 5% et la livre turque repris des forces face au dollar et à l'euro. "Reste à voir si l'AKP va s'efforcer de regagner sa crédibilité économique qui s'est lentement érodée ces dernières années", a toutefois mis en garde l'analyste William Jackson, de Capital Economics.
 
L'Union européenne (UE) s'est platement félicitée lundi de "l'engagement fort du peuple turc en faveur des procédures démocratiques" et s'est dite prête à continuer à travailler avec Ankara, notamment sur la question pressante des migrants.
 
Berlin et Paris ont fait de même mais surtout incité le nouveau gouvernement à diriger la Turquie "dans un esprit d'unité nationale et de compromis" ou de "rassemblement".
 
Dimanche soir, M. Davutoglu a lancé un appel à l'unité de son pays. "Les droits des 78 millions de Turcs sont sous notre protection", a-t-il promis. "Nous ne sommes pas le parti de la revanche", a renchéri lundi le vice-président de l'AKP, Ömer Celik.
 
Mais les détracteurs de M. Erdogan se sont de leur côté ouvertement inquiétés de son retour en force.

- "Journalistes arrêtés" -

"Le régime va devenir de plus en plus autoritaire et exercer encore plus de pressions", a ainsi pronostiqué l'éditorialiste Kadri Gürsel, d'al-Monitor, "c'est ce qui s'est passé après les élections de 2011 qu'il avait remportées avec 50% des voix".
 
Les observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont déploré lundi dans leur rapport de clôture le niveau de "violence" de la campagne et l'ont jugée "inéquitable" pour l'opposition.
 
L'OSCE a en outre reproché au camp de M. Erdogan des "interventions dans l'autonomie éditoriale des médias".
 
Quatre jours à peine avant le scrutin, la police a investi de force le siège de deux chaînes de télévision proches de l'opposition visées par une mise sous tutelle judiciaire. Ce raid, en direct devant les caméras, a suscité une forte indignation.
 
Comme pour illustrer les craintes de l'opposition, la police a interpellé lundi deux responsables du magazine Nokta, qui a présenté en "une" de son dernier numéro la victoire de M. Erdogan comme "le début de la guerre civile en Turquie". De nombreux exemplaires de cette revue ont été saisis sur ordre de la justice.
 
Le chef du gouvernement a également appelé dimanche soir à une révision de la Constitution, suggérant que M. Erdogan n'avait pas renoncé à son ambition très contestée d'instaurer une "superprésidence" aux prérogatives renforcées.
 
Fer de lance de la critique du régime actuel, le quotidien Cumhuriyet a qualifié le succès de l'AKP de "victoire de la peur". Dans un éditorial, son rédacteur en chef Can Dündar a regretté l'extrême polarisation de la Turquie, entre "ceux qui sont prêts à mourir pour Erdogan et ceux qui ne le supportent plus".