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Roshi Bhadain: «Bien des parapublics n’ont plus leur raison d’être»

26 octobre 2015, 10:29

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Roshi Bhadain: «Bien des parapublics n’ont plus leur raison d’être»

Ministre des Services financiers, de la Bonne gouvernance, de la Technologie, de la Communication et de l’Innovation, Roshi Bhadain évoque la situation à la MBC, sa vision pour Maurice…

 

Vous êtes un ministre hyperactif, présent sur plusieurs fronts à la fois. Quelle est votre priorité?

 

Ma priorité, c’est de formuler une vision et de l’appliquer. Comme lorsqu’une compagnie se dote d’un nouveau management, sa première action est d’élaborer une vision. Je dois définir le cadre dans lequel se fera le développement économique du pays. Il faut opérer un reengineering, revoir les «process» et la méthodologie du développement.

 

Assez avec ces mesures «quick fix» qui consistent à trouver dans l’urgence une solution quand un problème se pose. Il faut une nouvelle façon d’agir, adapter nos lois et nos procédures administratives et bien entendu, changer les mentalités. Il faut penser grand. Si nous pensons petit, nous réalisons de petites choses. Le dernier grand projet réalisé à Maurice, c’est la cybercité. Il n’y a pas eu de vrai projet ces dix dernières années.

 

Il y a bien eu de nouveaux axes routiers, une nouvelle aérogare...

 

Oui, mais avec des problèmes associés à chacune de ces constructions. Les routes s’affaissent, le nouveau terminal fuit, les murs de Melrose sont fissurés, le barrage de Bagatelle ne peut retenir l’eau, etc. Le pays a souffert de la mauvaise gouvernance, des mauvaises pratiques. Ma mission est d’instaurer une bonne gouvernance pour créer les conditions d’un développement durable et offrir des chances égales à tous les Mauriciens. Il nous faut trouver un système d’allocation de contrats où l’argent public est bien utilisé, s’assurer que des commissions ne soient pas versées en Suisse!

 

Comment procédez-vous pour bâtir cette nouvelle vision?

 

Elle est forgée par l’expérience et les leçons apprises. Mon approche est pragmatique. Elle est fondée sur des cas réels et pas sur des modèles théoriques. Il faut s’entourer d’une équipe composée de gens compétents, de professionnels. Je crois au brainstorming avec les opérateurs. J’ai réactivé le Financial Services Consultative Council. Voilà comment j’identifie les problèmes, les opportunités et définis la voie et la stratégie de l’avenir.

 

Un de vos projets en gestation est la création d’une nouvelle ville appelée Heritage City à côté d’Ebène. Quel est le but visé?

 

Ce sera une ville qui abritera tous les ministères, le Parlement et des services publics. Sa conception repose sur deux constats. D’abord, on ne peut passer à l’e-governance tout en travaillant dans des bâtiments construits avant l’ère digitale. Ensuite, pour réaliser une réforme institutionnelle et faciliter l’interaction entre les ministères, il faut réinventer l’espace où travaillent les administrations publiques.

 

Heritage City est un projet du ministère de la Bonne gouvernance qui commence maintenant et qui sera terminé dans deux ans. A partir de 2018, tous les bâtiments seront opérationnels. Les fonctionnaires abandonneront ces lieux archaïques, dont certains datent de l’époque pré-indépendance.

 

Heritage City s’étendra sur 336 arpents et se trouve au sud du centre commercial Bagatelle mais après l’hôpital Apollo en allant vers Bagatelle Dam. Elle s’appelle Heritage parce que c’est l’héritage de sir Anerood Jugnauth (SAJ) au pays. Les cours de justice vont se délocaliser également et se trouveront sur un site situé de l’autre côté de Bagatelle et qui sera géré par le ministère des Finances.

 

Quel est le mode financement du projet Heritage?

 

C’est le Design, Build, Operate, Transfer. Les constructeurs trouvent le financement eux-mêmes, louent les bâtiments à l’État pendant 20-25 ans au terme desquels l’État prend possession des locaux. L’État ne déboursera pas un sou pour cette ville. Pas d’aggravation de l’endettement public donc.

 

Ne craignez-vous pas de déplacer vers Ébène la congestion routière de Port-Louis?

 

En sus des routes existantes, de nouvelles infrastructures routières sont prévues. Les automobilistes venant du Sud emprunteront une route qui sera construite entre Wooton et Ébène. Pour ceux venant du Nord, il y aura de nouveaux accès avec la construction de ENL Smart City du côté de bagatelle. Un tramway reliera Heritage City au centre commercial de Bagatelle.

 

Espérons qu’on n’y retrouvera pas un trafic aussi chaotique qu’à la cybercité.

 

A Ébène, la façon de gérer de l’ancienne direction de BPML était atroce.

 

Parlons de la MBC. Elle est confrontée à deux problèmes : la situation financière et la mentalité ambiante. Laquelle des deux vous inquiète le plus?

 

Surtout la mentalité. Quant à l’aspect financier, pratiquement toutes les institutions parapubliques font face au même problème que la MBC. Vous savez, sous Ramgoolam, il n’y a eu aucun gros projet, donc pas de création d’emplois productifs. Ils ont créé d’innombrables emplois fictifs sous un système à peine plus sophistiqué que celui du «Quatre jours à Paris» de sinistre mémoire.

 

Comme si les 300 managers d’Air Mauritius ne plombaient pas suffisamment les ailes de la compagnie, ils ont créé Air Mate pour absorber encore de la main-d’œuvre inutile. Aux Casinos, à la Cargo Handling Corporation, c’est le même scénario d’effectifs en surnombre. Même les régulateurs n’ont pas été épargnés. 70 personnes ont été recrutées à la FSC avant les élections, ce qui porte le total de ses effectifs à 268. La MBC emploie 898 personnes alors qu’elle ne devrait pas en compter plus de 150 ou 200. C’est de l’inefficience aux frais des contribuables.

 

Vous en train de faire un procès sévère aux parapublics.

 

C’est ma mission, la bonne gouvernance. Au départ, les parapublics avaient été créés parce que les structures des ministères étaient trop lourdes et la bureaucratie ralentissait leur fonctionnement. Au fil des années, des parapublics ont fini par employer plus de gens que leur ministère de tutelle. Beaucoup des parapublics n’ont plus de raison d’être. Il faut revoir le modèle car ils ne servent aucun but. Sir Anerood Jugnauth m’a expliqué qu’il avait le même problème en 1982. Il a pris des décisions courageuses pour redresser la situation. Ces institutions sont retombées dans l’inefficience aujourd’hui. Il est temps de repenser le concept au nom de la productivité et l’efficience. Il faut arrêter le gaspillage. Lindustri kokin bizin fermé mé lindustri gaspiyaz osi bisin arété.

 

Revenons à la situation financière de la MBC.

 

La dette financière de la MBC s’élève à Rs 1,2 milliard. Un de créanciers, Mauritius Telecom, doit des centaines de millions. Entre les Ramgoolam Boys, Sarat Lallah et Dan Callikan, il y a eu des complicités, j’imagine. Vous croyez qu’ils se préoccupaient du bon fonctionnement de leur institution ou plutôt de leur mission politicienne? Avec une gestion efficiente, la situation financière sera redressée.

 

Et la mentalité qui sévit à la corporation?

 

Alors là, le défi est énorme. Il faut trouver un directeur général très fort pour changer la mentalité de servilité envers non seulement les ministres mais aussi tous ceux qui occupent des postes de direction. Il faut un directeur général qui comprend l’audiovisuel mais aussi comment on gère les ressources humaines. Bien sûr, il y a des gens compétents à la MBC, mais que peuvent-ils faire au milieu de tant de bons à rien? Ceux qui ont de bonnes idées sont étouffés. La MBC est devenue partiellement dysfunctional.

 

La solution ?

 

Un nouveau management avec à la tête une personne forte.

 

Comme Jean Claude de l’Estrac?

 

Je pense que oui. Il possède les compétences pour ce poste.

 

Où en sont les négociations avec lui?

 

Il n’y a pas de négociations. Le conseil d’administration étudie le dossier de l’appel à candidatures. Si l’exercice n’aboutit pas, il faut effectuer un head-hunting.

 

Les ministres Duval et Collendavelloo disent qu’ils ne sont pas satisfaits de la MBC. C’est un désaveu pour vous?

 

Ils ont dit qu’avec le personnel en place, ils ne sont pas satisfaits. Je vous rappelle que personne n’a été recruté depuis décembre 2014. Ce personnel dont on se plaint est en poste depuis longtemps. Cela fait douze semaines seulement que j’ai la MBC sous ma responsabilité. Croyez vraiment qu’en douze semaines, j’ai pu la transformer en Bhadain Broadcasting Corporation!

 

Justement pourquoi Bhadain est-il le punching ball des opposants ?

 

Parce que je travaille vite. Mon modèle, c’est SAJ. Le travail, la discipline et l’aptitude à convertir en actions concrètes des décisions. Si à l’âge de 85 ans, il travaille à ce rythme, moi à 44 ans je suis obligé de faire mieux. Je suis en train d’innover, de changer la manière de faire les choses. Les gens disent que je suis arrogant. Moi, j’appelle cela de la confiance en soi. La bonne gouvernance que je veux instaurer va changer le fonctionnement de Maurice. Je brise les tabous.

 

Des exemples de ce qui a changé déjà.

 

Les coffres-forts contenant Rs 220 millions ont marqué les esprits. On a compris maintenant qu’il y a des politiciens qui vous font du charme mais qui dissimulent des centaines de millions dans leur maison. Au niveau international, ils ont compris que we mean business.

 

Autre changement significatif: l’affaire BAI va transformer les habitudes des Mauriciens par rapport aux moyens de placer leur épargne. Ce ne sera plus jamais fait de manière irréfléchie. On découvre chaque jour de nouvelles supercheries par rapport au Super Cash Back Gold (SCBG). Les agents de la BAI demandaient à certains épargnants de placer leur argent à la Banque des Mascareignes tout en leur expliquant qu’ils recevraient les intérêts à travers la BAI. Maurice était infestée de Ponzi Schemes, White Dot, Sunkai, Je t’aime Marketing, Vacoas Multi Purpose, etc. Cette culture de Ponzi disparaît.

 

On vous a déjà posé cette question. Je vous la pose quand même. Pouvez-vous donner la garantie que les victimes du SCBG ne seront pas remboursées à partir des fonds publics?

 

Absolument. Je suis confiant. Prenez les actions de Britam au Kenya. Beaucoup de personnes disaient que nous n’allions pas pouvoir obtenir plus de Rs 2,5 milliards pour ces actions. Aujourd’hui, nous les vendons à plus de Rs 4 milliards.

 

Comment cela a été fait? C’est du «Freewheeling opportunism». On saisit les opportunités quand elles se présentent. Pour le remboursement du SCBG, nous trouvons les fonds en créant de la valeur avec la National Insurance Company (NIC). Cette compagnie génère déjà Rs 1,5 milliard par an et contrôle 32% du marché de l’assurance-vie. Dans l’éventualité d’un trou à combler, nous vendrons des actions de la MauBank. En aucun cas donc, nous ne puiserons des caisses publiques.

 

Etes-vous déçu par le manque de professionnalisme des cabinets d’experts-comptables?

 

Je revois entièrement le fonctionnement du Financial Reporting Council. La rotation sera imposée aux cabinets maintenant. Il y trop de familiarité qui se développe entre les CEO des compagnies et les auditeurs qui restent à leur service trop longtemps. L’indépendance des auditeurs est alors difficile à maintenir.

 

Vous avez été critiqué pour votre décision de ne pas insister sur le maintien des acquis lors des négociations sur le traité fiscal indien.

 

Aux opérateurs je leur dis : il est vrai que vous avez fait beaucoup d’argent sur la base des traités qui ont été signés, mais Maurice ne peut pas rester bloqué sur une vision fondée sur les traités préférentiels. Ne continuez pas à traire une vache qui est mourante. We cannot remain beggars, we have to be leaders. Il fallait avoir de l’audace pour revoir la situation et préconiser une vision qui ne s’appuie pas sur les traités. La décision du G20 de mettre en place le plan BEPS m’a donné raison. Réveillons-nous, l’ère de l’argent facile réalisé sur le dos des traités, c’est fini.

 

Décrivez-nous en deux mots la nouvelle vision.

 

Le Global Business, c’est seulement 3% du PIB. Il ne compte que pour 6% des revenus fiscaux du pays. Le pays n’obtient pas de grands bénéfices de ce secteur actuellement. Seules quelques personnes sont devenues méga riches. Moi, je ne veux pas d’un secteur for the few but for the many.

 

Prenez Dubayy. 1500 compagnies opérant dans l’offshore emploient 15 000 personnes. A Maurice, les 15 000 compagnies détenant une licence de la FSC emploient 3 000 personnes. Au centre de Dubayy, il y a au moins 40 cabinets de juristes de grande réputation. Qui a empêché ces grosses sociétés d’investir ici ? Ces prime dons qui veulent tout accaparer…

 

Notre vision, c’est de créer ce qu’il fallait faire depuis 15 ans : un centre offshore avec plus d’activités physiques, tangibles, réelles à Maurice. Je vais légiférer pour que certaines catégories de compagnies bénéficiant d’une licence GBL1 emploient une ou deux personnes. Cela fait un potentiel de 20 000 nouveaux jobs. Nous invitons les fonds d’investissement qui ne dépendent pas des traités à s’installer ici. Les grosses sociétés étrangères sont encouragées à établir leur siège à Maurice.

 

Des résultats concrets ?

 

Plusieurs compagnies sont déjà arrivées. Old Mutual, spécialiste mondial de réassurance, a eu sa licence pour établir une plateforme basée à Maurice pour toutes ses opérations en Afrique. De même pour Cooper Gay Swett and Crawford, cinquième plus gros mondial du reinsurance broker. Ils avaient décidé d’aller à Dubayy. Nous les avons convaincus de l’avantage d’être à Maurice. Axa/Lloyds va commercialiser les produits A-Rated de Loyds en Afrique à travers un centre basé ici. Vous avez vu les avis dans la presse pour les 300 jobs qu’elle crée.

 

Il y a aussi la société allemande Aton gmBH engagée dans les mines et les travaux d’ingénierie qui mèneront leurs opérations offshore à partir de Maurice. Care Ratings, deuxième agence indienne de notation, va créer 600 à 700 emplois. Le Dolberg Impact Fund qui investissait au Népal va le faire dans des projets d’infrastructures à Maurice. Les négociations avec Prudential sont en cours. Notre argument, c’est que Maurice possède un centre financier propre et transparent et nous avons une main-d’œuvre qualifiée et bilingue qui est disponible. Le climat politique est stable.

 

Mais la BOI a organisé des dizaines de road shows pour vendre ces mêmes atouts sans grand succès.

 

Le BOI a été un échec total, en particulier dans le secteur des services financiers. Moi, je ne crois pas aux road shows. Ma stratégie est différente. Je sollicite des entretiens en tête-à-tête avec les patrons de grandes sociétés. Dorénavant, c’est la FSPA qui s’occupera de la promotion des services financiers.

 

Les désinvestissements étrangers en Bourse vous inquiètent?

 

C’est une goutte d’eau dans l’océan. Beaucoup d’entre nous s’arrêtent à cela parce que nous avons pendant longtemps eu une tunnel vision. Moi, je pense aux multinationales, pas à la boutique du coin. Nous n’allons pas attendre que des fonds d’investissement viennent à la Bourse. Nous avons d’autres centres d’intérêt : le hedging, les instruments financiers qui contiennent des dérivés en devises, les marchés financiers de matières premières, etc. Nous avons signé un accord avec la Bourse de New Delhi pour que les actions cotées en Inde puissent être vendues à Maurice également.

 

J’ai créé quelque chose de nouveau. La National Stock Exchange de l’Inde et la SEM conjointement peuvent faire du hedging avec toutes les devises africaines. «The whole is greater than the sum of its parts.»

 

 

Vous annoncez votre entrée en politique le 17 décembre 2013 et déjà votre nom est cité parmi les Premier ministrables. Avez-vous des aspirations secrètes d’être Premier ministre?

 

Catégoriquement non. Aucune aspiration. J’entretiens avec Pravind Jugnauth des relations extrêmement sincères et loyales et je sais qu’il sera Premier ministre un jour. Je serai à ses côtés en toutes circonstances. En fait, nous sommes complémentaires.

 

Si pour une raison quelconque, il ne peut prétendre à ce poste ?

 

Je ne serai pas candidat au poste de Premier ministre. Je ne sais même pas si je serai candidat aux élections de 2019. Je prendrai la décision en temps voulu. J’ai quatre ans et la plateforme qu’il me faut pour faire tout ce que j’ai rêvé pour mon pays.

 

Le projet de loi sur le Good Governance and Integrity Reporting sera un «game changer» selon votre propre expression. Pourquoi?

 

L’ICAC existe pour mener des enquêtes et recommander des poursuites au pénal. La nouvelle loi prévoit qu’un ordre de saisie des richesses inexpliquées sera émis par un juge civil de la Cour suprême. Rien à faire avec les enquêtes criminelles. C’est un changement majeur que nous apportons. Prenons le cas d’un trafiquant de drogue qui est poursuivi. S’il épuise tous les recours juridiques possibles, il peut jouir de ses biens mal acquis pendant une dizaine d’années ou plus. La nouvelle loi va supprimer ce déséquilibre dans notre système. Même les politiciens vont devoir s’expliquer.

 

Pour conclure, le deuxième miracle économique, c’est pour quand?

 

Quand je vois tout ce qui est enclenché déjà, le port, Heritage City, les smart cities, etc, je crois qu’en 2017, le résultat sera visible. Sur le plan de l’emploi. Ce sera un vrai miracle. Je vous donne un exemple. Pour chaque emploi créé dans le port, quatre emplois indirects sont créés dans d’autres secteurs. Nous le ferons parce que nous avons la culture du résultat.