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Gerald Lincoln, Managing Partner, Ernst & Young: «Maurice ne fait pas assez pour attirer les étrangers»

3 octobre 2015, 10:45

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Gerald Lincoln, Managing Partner, Ernst & Young: «Maurice ne fait pas assez pour attirer les étrangers»

 

Gerald Lincoln, Managing Partner d’Ernst & Young, estime que l’Economic Mission Statement d’Anerood Jugnauth est venu rassurer les opérateurs économiques. Au passage, il qualifie de «malsaine» la démarche visant à publier les honoraires des comptables

 

Les dernières statistiques des National Accounts publiées par Statistics Mauritius à la fin de la semaine dernière  montrent que la croissance économique a été révisée à la baisse pour 2015, passant à 3,6 % contre 3,8 % en juin dernier. Or, l’estimation  budgétaire  de mars 2015 était de 5,3 % pour juin 2016 et de 5,7 % pour juin 2017. Manifestement, on est loin du compte…

Il faut comprendre que l’année 2015 a été une année de transition, avec un nouveau gouvernement à la tête du pays. D’ailleurs, l’alliance Lepep est arrivée au pouvoir avec l’idée de nettoyer le pays, ce qui a mobilisé une grande partie  de son énergie et de son temps. Résultat des courses : nous n’avons pas  eu droit à des nouveaux projets et, par ricochet, à de nouveaux chantiers.

 

Il a fallu attendre le 23 mars, date de la présentation du premier budget du nouveau gouvernement par le ministre des Finances et du Développement économique, Vishnu Lutchmeenaraidoo pour connaître la vision économique du régime actuel et son ambition de réaliser le deuxième miracle économique. Avec notamment des projets phares dont les smart cities et les investissements dans les infrastructures portuaires. Ils sont en eux-mêmes des vecteurs de croissance pour le pays.

 

Pour le moment, il n’y a pas de lancement de nouveaux projets. On espère que ce sera fait en 2016, ce qui devrait théoriquement donner un boost au secteur de la croissance, aujourd’hui en décroissance.

 

Il y a aussi eu la gestion de l’affaire British American Insurance (BAI) ?

Certainement. Car cette affaire a monopolisé l’attention de la population pendant des mois. Il est évident  que lorsqu’on assiste à des arrestations, à des enquêtes, à des révélations les unes plus surprenantes que les autres, ou encore à des saisies de biens, la population est en droit de se poser des questions sur l’impact de cette affaire sur l’économie du pays. D’autant plus que cela n’a rien à faire avec les projets d’avenir qu’un nouveau gouvernement est censé proposer pour le pays.

 

En même temps, il faut comprendre qu’il y a deux façons d’aborder toute la problématique liée à l’affaire BAI. Il y a la façon négative de voir l’affaire BAI, celle qui consiste à dire qu’on a perdu beaucoup de temps parce qu’on pensait que le groupe était «too big to fail».

 

L’autre façon, plus positive, est de dire qu’il y avait urgence à mettre bon ordre au sein de ce groupe où deux compagnies étaient malades, la défunte Bramer Banking Corporation et la British American Insurance, connue aujourd’hui comme la National Insurance Co. Ltd.

 

Pour ma part, je persiste à dire qu’il faut voir le verre à moitié plein et non à moitié vide. Car lorsque deux entités des services financier et bancaire (BAI et Bramer Banking Corporation) n’opèrent pas en conformité avec les deux régulateurs, la Financial Services Commission et la Banque de Maurice, il y a urgence à agir vite afin d’éviter le pire.

 

Certes, la gestion de cette affaire, qui a pris presque six mois, a forcément influé négativement sur le mood de la population. Mais depuis la présentation de l’Economic Misssion Statement le 22 août, un sentiment de «feel-good» s’est installé au sein de la population.

 

Si la croissance n’est pas au rendez-vous en 2016, il faudra oublier notre objectif en termes de création d’emplois, d’autant plus que, toujours selon les dernières statistiques, le taux de chômage passera à 8 % en 2015, contre 7,8 % en 2014. Est-ce une situation préoccupante ?

Effectivement. Mais en même temps, il faut souligner que pour créer des emplois, il faut impérativement qu’on arrive à générer de la croissance dans le pays. Là, il faut comprendre qu’il y a des secteurs qui créent des emplois sans qu’il y ait en contrepartie une forte croissance ou encore de gros investissements financiers. Je pense en particulier au secteur des services, comme les Technologies de l’information et de la communication, le Business Process Outsourcing ou encore le Global Business qui peuvent potentiellement se développer pour absorber des jeunes diplômés, malheureusement au chômage.

 

En revanche, il y a d’autres secteurs, comme celui de la construction, qui ont besoin d’investissements dans les infrastructures pour absorber des ressources humaines. Ce qui m’amène à dire que tout dépend de la stratégie de développement et des projets qu’on va lancer en priorité l’année prochaine.

 

Le secteur de la construction est toujours en décroissance – 2,6 % en 2015, contre une contraction de 8,5 % l’année dernière. Or, tout  laisse croire qu’il n’y aura pas de revirement de situation de sitôt, vu le temps que le gouvernement prendra pour mettre en oeuvre les projets de «smart cities»…

Si je peux me permettre, j’établirai un parallèle avec La Réunion. Vous savez, quand le projet de la Route de Tamarin s’était achevé, le secteur de BTP( Bâtiments et Travaux publics) était en croissance négative. La raison étant que ce projet phare avait mobilisé énormément de ressources, humaines et autres. C’est le même constat qu’on dresse actuellement à Maurice. Tous les gros projets liés à la construction des routes et au développement des infrastructures aéroportuaires sont terminés. Du coup, le secteur de la construction roule au ralenti.

 

Il n’y a pas mille solutions. Il faut que le gouvernement lance de nouveaux projets tels que les smart cities ou les travaux d’infrastructures portuaires pour faire de Maurice un vaste chantier. Les compagnies n’attendent que ça. Et vous connaissez aussi bien que moi l’adage qui dit que «quand la construction va, tout va».

 

La réalisation de ces projets n’est pas pour demain...

Bien évidemment. Je comprends qu’entre l’annonce d’un projet et l’appel d’offres, il faut compter plusieurs mois. Dans le cas de ces projets, ils relèveront essentiellement des investissements publics.

 

Le montant des investissements étrangers au 30 juin 2015 s’élevait à Rs 4,7 milliards, presque 30 % de la totalité des investissements engrangés pour 2014. Selon les spécialistes, le montant total pour cette année ne dépasserait pas 50 % de celui de l’année dernière. Cela constitue naturellement une source d’inquiétude pour le gouvernement qui table sur les investissements étrangers pour stimuler l’économie...

C’est effectivement une source d’inquiétude. Tous les pays sont à la chasse au Foreign Direct Investment. À l’échelle mondiale, Maurice ne pèse pas lourd. En même temps, nous n’avons besoin de capter qu’un infime pourcentage du flux d’investissements qui transite dans cette partie du monde pour doubler facilement le montant du FDI qui est crucial pour le développement du pays. Il suffit d’attirer deux gros projets étrangers.

 

Cependant, qui dit FDI dit également ouverture du pays aux étrangers. Or, sur ce sujet, nous constatons qu’on ne fait pas assez pour attirer les étrangers qui devraient être un maillon important dans la chaîne des valeurs nécessaire, à l’étape actuelle de notre développement.

 

Pourtant, nous avons tous les atouts pour faciliter l’intégration des étrangers dans le pays : des appartements de luxe, des infrastructures de communications, de grands shopping malls, la stabilité politique, bref tous les avantages que l’on peut trouver dans un pays comme Singapour. Ce pays, justement, a pris le pari en s’ouvrant aux professionnels étrangers et bénéficie aujourd’hui des fruits de cette ouverture en termes d’entrée de devises et de transfert de technologie.

 

Où il y a blocage…

Nous avons toujours des blocages par rapport à l’acquisition de terrains par les étrangers. Ce n’est pas normal qu’un professionnel qui a travaillé durant 15 ans ne peut pas légalement devenir propriétaire d’un bien immobilier.

 

Il n’a échappé à personne, et pas à vous, que le ministre des Finances ne souhaite pas, depuis quelque temps, commenter les chiffres. Est-ce qu’il est normal que le locataire du Trésor public puisse dire ouvertement qu’il n’est pas intéressé à se livrer à cet exercice ?

Écoutez, il faudra comprendre dans quel contexte il a fait cette déclaration. Probablement, ce qu’il a voulu dire, c’est qu’il voit son rôle beaucoup plus dans l’identification, voire dans la définition de la stratégie économique. Et que pour l’interprétation des chiffres, il la laisse aux techniciens de son ministère. Je crois qu’il veut qu’on le voie davantage comme quelqu’un qui décide de l’orientation économique du pays, qui inspire la population et qui fait rêver les jeunes.

 

Brièvement, quelle évaluation faites–vous de la gestion économique du pays ?

Je reste optimiste et positif par rapport à la gestion économique. Je suis expert-comptable de formation, donc je regarde les chiffres pour me faire une idée de la santé économique du pays.

 

Or, sur la base des résultats financiers des entreprises pour la période se terminant au 30 juin 2015, j’ai été favorablement impressionné par la résilience et la capacité de certains groupes à produire d’excellents résultats. Je pense particulièrement aux Groupes Ciel et ENL, et ce, dans un contexte économique difficile.

 

Beaucoup de nos entreprises ont su se réinventer, comme Ciel Textile, en se diversifiant géographiquement tout en gardant le savoir- faire mauricien.

 

Estimez-vous que le «feel good factor» qui était visible au début de l’année est toujours présent, même après l’éclatement de l’affaire BAI ?

Je ne crois pas que le feel good factor dont vous faites mention était présent en janvier. Je crois plutôt qu’il y avait un sentiment de «wait and see» de la part de la population, vu qu’il y avait un changement de régime après 14 ans. Les gens n’étaient pas particulièrement optimistes.

 

Il a fallu attendre le mois de mars, avec la présentation du Budget pour rassurer la population et la communauté des affaires. Entre-temps, il y a l’affaire BAI qui a matraqué l’opinion publique pendant quatre mois. La population avait commencé à oublier le Budget tellement elle était concentrée sur cette affaire.

 

Ensuite, on a eu droit, le 22 août, à l’Economic Mission Statement du Premier ministre sir

Anerood Jugnauth et, depuis, on sent dans le pays le retour d’un feel good factor.

 

Son message a visiblement rassuré les opérateurs économiques et la population en général. En clair, il a dit qu’il est en train de jeter les bases d’un deuxième miracle économique et que tous les stakeholders doivent s’y mettre pour réaliser cet objectif. À commencer par les fonctionnaires qui doivent agir comme des facilitateurs et ensuite les opérateurs qui doivent oser investir et prendre des risques.

 

Ceux qui étaient présents ont vu en Anerood Jugnauth les qualités d’un leader, celui qui sait inspirer et donner confiance.

 

Revenons aux Big Four dont vous êtes un représentant. On a constaté un sentiment de malaise parmi vous. Il nous a semblé que vous êtes à couteaux tirés. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?

Les cabinets d’audit ne sont pas à couteaux tirés. Il y a eu une situation qui a été créée, mais pas par les Big Four. Car entre nous, nous sommes très respectueux l’un vis-à-vis de l’autre ; on ne se tire pas dans les pattes. Entre confrères, nous avons des relations professionnelles. En même temps, on évolue dans un environnement concurrentiel. Nous travaillons tout en respectant les règles et l’éthique de notre métier.

 

Est-ce éthiquement correct qu’on étale publiquement les honoraires d’un cabinet ?

Je trouve cela plutôt malsain. C’était pareil quand on avait introduit les codes de bonne gouvernance dans les entreprises ; à l’époque on avait commencé à publier dans la presse le montant des rémunérations des directeurs. Cela, isolé d’autres facteurs et sans une comparaison avec ce que touchent les directeurs dans d’autres pays.

 

Pour revenir à votre question, je pense qu’il faut plutôt voir ce que les comptables peuvent apporter en termes de valeur à la compagnie et leur rôle par rapport au marché des capitaux dans le pays.