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Keyu Jin, Associate Professor à la London School of Economics : «Maurice a tout à gagner à s’inspirer du modèle de développement israélien»

20 décembre 2014, 21:21

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Keyu Jin, Associate Professor à la London School of Economics : «Maurice a tout à gagner à s’inspirer du modèle de développement israélien»

Invitée par la Mauritius London School of Economics Society Trust Fund, Keyu Jin, ressortissante chinoise, apporte un nouvel éclairage sur la crise chinoise et soutient que le ralentissement économique de ce pays n’affectera pas sa stratégie africaine.

 

On connaît votre intérêt pour l’économie chinoise, étant donné que vous avez consacré plusieurs ouvrages et articles de presse à ce sujet. C’est du moins un de vos sujets de recherches. Qu’est-ce qui, selon vous, a débouché sur la crise chinoise. Est-ce en raison de la surchauffe économique liée à sa forte croissance ? Il y a actuellement une mauvaise conception autour de la croissance économique chinoise. Celle-ci a tourné autour de 10% depuis 1990 et se monte aujourd’hui à 7 %. On s’est beaucoup interrogé sur ce taux de croissance facile de 10%, insistant sur le fait qu’il a été tiré par des investissements massifs injectés dans certains secteurs économiques et une accumulation de capitaux au cours de cette longue période. C’est une interprétation erronée de la situation économique chinoise. Cela relève carrément du mythe. Ce qu’il faut dire, en revanche, c’est que cette forte croissance économique est liée elle-même à une croissance élevée au niveau du taux de productivité enregistré ces dernières années. Couplé à cela, est le ralentissement du taux d’investissement. Mais il faut en même temps relativiser cette situation. Car si on compare ce taux de productivité – qu’on qualifie d’élevé – à celui affiché actuellement aux ÉtatsUnis, la Chine n’est qu’à 14 % selon les normes américaines. Ce qui est assez bas et qui montre que ce pays a encore un long chemin à parcourir. Une autre raison du hard landing de l’économie chinoise est une démarche délibérée de la part de son gouvernement de ralentir sa croissance et d’assurer que celle-ci ne soit pas tirée uniquement par des investissements massifs dans des projets d’infrastructure.

Aujourd’hui, l’économie chinoise est dans une période de transition où son modèle de croissance est en train de changer d’orientation. Celleci privilégiera une croissance tournée vers le secteur privé, vers le développement des services ou encore par le biais d’une chaîne de valeurs.

 

Partant de cette analyse, quelles pourraient être les conséquences de cette crise sur l’économie mondiale ?

Aucun effet, a priori. En fait, vu que la base même du secteur manufacturier chinois, un secteur porteur de croissance, n’est pas en train de se développer rapidement comme les autorités de ce pays l’auraient souhaité, la croissance liée à la demande pour les ressources naturelles et les matières premières sera relativement faible. En revanche, il y a aura une demande pour d’autres produits et services de consommation. Je pense particulièrement aux produits hautement technologiques car il y a une frange importante de la population qui peut se permettre de voyager et de consommer des produits et autres services sophistiqués. Je prévois un change- ment dans la structure d’importation et d’exportation de la Chine car la manière de consommer des Chinois sera appelée à changer au fil des mois.

 

La dépréciation du yuan chinois de 3 % par rapport au dollar US aura été une surprise pour le marché financier et les spécialistes monétaires. Dans quelle mesure cette décision influera-t-elle sur le marché de change ?

 

Aucun effet. Cette dépréciation de 3 % est trop minime pour influencer le marché des changes. L’effet sera davantage au niveau de la perception du marché, c’est-à-dire comment il réagira par rapport à des décisions économiques et monétaires prises par le gouvernement chinois. Ce qui est censé ajouter de la volatilité au marché.

 

Certains spécialistes pensent que la dépréciation du yuan est une démarche visant à rendre les exportations chinoises plus compétitives tout en se positionnant par rapport aux devises des pays émergents, qui ont déprécié ces temps-ci. Partagez-vous cette analyse ?

 

Absolument pas ! Il est invraisemblable qu’une dépréciation aussi minime de la monnaie chinoise puisse avoir un quelconque effet sur le secteur d’exportation en le rendant plus compétitif vis-à-vis d’autres pays. Il faut dire que la libéralisation du marché des changes était en cours depuis quelque temps déjà et qu’il a fallu se donner le temps pour que cette politique soit effective, ce qui a permis de réduire notamment l’écart entre le taux de change intermédiaire et celui du marché.

 

Il n’y aura pas de guerre des devises ?

Bien sûr que non, cela d’autant plus que le yuan chinois a dévalué que contre le dollar américain.

 

Revenons maintenant à l’axe Chine-Afrique ? Estimez-vous qu’avec le ralentissement économique en Chine, les investisseurs de ce pays seront appelés à revoir leur agenda africain en termes d’investissements sur le Continent noir. D’autant plus que la présence chinoise est très marquée et visible dans certains États africains ?

À mon avis, c’est le contraire qui se produira. La Chine sera appelée à transférer une partie de ses opérations manufacturières, voire industrielles, en Afrique vu certaines contraintes structurelles auxquelles elle est confrontée actuellement. Je pense particulièrement au coût de la main-d’œuvre sur le Continent noir, qui est encore à bon marché. Le potentiel de développement en Afrique est donc immense et la Chine ne peut arrêter un processus qu’elle a enclenché depuis plusieurs années. Elle est condamnée à poursuivre sa stratégie d’investissement en Afrique.

 

La croissance africaine est liée en grande partie aux investissements chinois dans des secteurs se rapportant aux infrastructures, au développement minier ou aux services financiers. Estimez-vous qu’avec le ralentissement économique chinois, cette prospérité économique tant attendue en Afrique pourrait être compromise ?

Je ne crois pas qu’il faut lier directement la croissance économique africaine aux flux d’investissements chinois dans certains États du Continent noir. Certes, il y a un apport mais ce n’est pas ce qui est le plus important pour assurer la prospérité économique africaine. Les investisseurs chinois vont toujours investir en Afrique dans des secteurs économiques où le retour sur l’investissement est significativement élevé. Les relations commerciales et économiques se développeront comme dans le passé car il est hors de question de penser qu’une légère baisse de croissance va remettre en cause la stratégie africaine de la Chine.

 

En même temps, la Chine reste une grosse consommatrice de minéraux et des produits pétroliers des producteurs africains. Ne pensez-vous pas que la chute des cours des minéraux et du Brent y est pour quelque chose ?

 

La Chine est effectivement une grosse consommatrice de minéraux et de produits pétroliers mais elle n’est pas la plus grosse. Ce sont les États-Unis qui se classent en première position avec 60 % des produits pétroliers provenant du continent africain. Maintenant, à faire croire que le ralentissement économique chinois a fait chuter des cours des minéraux ou du Brent sur le marché mondial, cela relève d’un argument qui ne tient pas la route. Tous les spécialistes savent que la chute des prix du carburant ou des matières premières est liée à la géopolitique au niveau international. Ce sont des facteurs globaux qui influencent ces prix.

 

Parlons d’économie mauricienne. Quelle évaluation en faites-vous ?

 

Maurice souffre des caractéristiques d’un pays à revenus moyens. Soit d’un accès limité à des investissements étrangers et dont l’impact pèse négativement sur une croissance qui peine à décoller. Bien sûr, qui dit croissance limitée dit également contraintes à la création d’emploi. Or, aujourd’hui le passage obligé de Maurice pour atteindre un statut de pays à revenus élevés implique l’ouverture à l’expertise étrangère car le pays a besoin de «human capital» pour l’aider à faire ce saut qualitatif. Mieux, l’accès à des nouvelles technologies et à des capitaux est jugé crucial pour s’imposer dans ce nouveau rôle. Il faut s’inspirer du modèle singapourien qui a pu vaincre sa petite taille pour devenir une référence dans les services financiers. Parallèlement, nous avons Israël qui est sorti d’une longue guerre civile pour s’imposer comme une réussite sur le plan industriel et en matière de recherches technologiques, avec notamment une culture entrepreneuriale largement développée dans le pays. Maurice a tout à gagner à étudier le modèle de développement d’Israël.