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Des Mauriciens amoureux du divorce

9 août 2015, 20:11

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Des Mauriciens amoureux du divorce

Les chiffres ne trompent pas. Entre des milliers de Mauriciens et le mariage, la rupture est consommée. En témoigne un rapport du bureau central des statistiques rendu public fin juillet, qui démontre que le nombre de divorces est passé de 1 584 en 2013 à 2 262 en 2014, soit 678 cas de plus. Question: pourquoi le pire prend-il le dessus sur le meilleur dans la vie conjugale?

 

Direction Vacoas, pour lever en partie le voile sur ce «mystère». Cela fait plusieurs années déjà que Chloé, 42 ans, s’est «libérée de ses chaînes». Le nom du coupable qui a brisé son couple? L’incompatibilité. «Au début de la relation, c’était différent. On se voyait pendant quelques heures. Cela ne vous permet pas de voir le vrai visage de quelqu’un.» Mais les masques sont vite tombés, quand le couple a dû se côtoyer 24h/24. Là, oui, là, les manies plus qu’agaçantes, les défauts plus qu’irritants ont fait surface. La lune de miel s’est alors transformée en lune de fiel.

 

En 2008, après trois années de mariage, cette chargée de relations publiques au sein d’une compagnie privée a fini par plier bagage. Elle a sauté de l’avion en activant le siège éjectable pour éviter d’autres zones de turbulences. Elle a demandé le divorce en 2013. Hormis le manque de respect «dans ses paroles et dans ses actes» et les scènes de ménage récurrentes, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est l’épisode de la brosse à dents, raconte Chloé, en serrant la mâchoire. «Nous avions chacun notre salle de bains. Une fois, je suis allée dans la sienne pour me brosser les dents, puisqu’il y avait un problème avec ma douche. J’ai laissé ma brosse dans son gobelet. Le lendemain, je l’ai retrouvée à la poubelle!» Elle en avait assez des «conneries», alors elle a décidé de s’en laver les mains.

 

«Les gens n’ont plus envie de se prendre la tête» 

 

Qu’est-ce qui incite de plus en plus de couples à divorcer? «Les gens, surtout les femmes, n’ont plus envie de se prendre la tête. Nous sommes aujourd’hui dans une position où nous n’avons plus à supporter les caprices de l’autre.» La vie est trop courte, martèle la quadragénaire, pour accepter, comme les aïeux, d’être la cinquième roue de la charrette. «Avant, on avait peur du qu’en-dira-t-on, maintenant, c’est causes toujours, tu m’intéresses!»

 

D’autre part, les femmes sont aujourd’hui plus exigeantes, poursuit Chloé. «On veut de l’attention, de la considération, on veut qu’on nous aide dans les tâches ménagères. Ce n’est pas la peine de rester si l’on est malheureux, que ce soit sur le plan affectif ou sexuel.» Le but n’est plus de survivre, ajoute-t-elle, mais de vivre...

 

Shamini a elle aussi voulu changer de vie, après dix années «infernales». Une relation stérile, lors de laquelle les infidélités de son époux étaient légion. Après les humiliations, les réconciliations et les interrogations, la jeune femme de 30 ans a préféré prendre une «sage décision». Car elle voulait rester maîtresse d’elle-même. «À chaque écart, il me demandait pardon. Mais à la fin, je n’y tenais plus, l’amour s’est transformé en haine.» Cerise sur le gâteau de mariage: «On voyait rarement la couleur de son argent à la fin du mois. Il dépensait ses sous je ne sais comment et avec je ne sais qui! Mwa ki ti pé roul lakwizinn, pey dét.»

 

«Elles oublient d’exister»

 

Si elle a tenu aussi longtemps, c’est à cause d’Aryaan (prénom modifié), qui est très attaché à son père. «Le divorce a été prononcé l’année dernière. Mon fils avait sept ans. Je lui ai expliqué la situation et il l’a plutôt bien pris.» Et malgré la garde alternée, la pension alimentaire qui arrive au compte-gouttes, les prises de bec au sujet de l’enfant et quelques fins de mois difficiles, elle savoure sa liberté retrouvée. «C’était un mariage arrangé, mais je peux dire avec le recul que c’est surtout mes parents que cette union arrangeait», lâche cette habitante de St-Pierre, qui exerce la profession de vendeuse.

 

Pour Shamini, si le divorce a le vent en poupe, c’est parce que les mœurs ont changé, les mentalités aussi. «Les gens n’ont plus peur de divorcer.» Si certaines personnes restent en couple même si elles sont malheureuses, c’est parce qu’elles ne sont pas autonomes, qu’elles ont «tout misé sur le couple et la famille, elles oublient d’exister».

 

Mais aujourd’hui, les femmes se sont émancipées à la fois financièrement, intellectuellement et moralement, fait valoir la jeune maman. Contrairement à sa mère à elle, qui, un jour en rentrant à la maison, a découvert son époux en compagnie de son amante. «Elle l’aimait quand même malgré so bann fraka! Ils sont toujours ensemble et mon père s’est assagi avec l’âge.» Mais il n’était pas question pour elle d’attendre «ki tiyo mo bolom rouyé pou li arét fer plombié!»

 

Ranjoy, lui, n’est pas de ceux qui aiment jouer à Super Mario, assure-t-il. «C’est elle qui m’a quitté, elle disait qu’elle n’était pas heureuse...» confie le comptable de 31 ans. Just divorced, il réapprend à vivre seul après quatre années de mariage. «Elle me disait que je la prenais pour ma maman. C’est vrai que j’aime bien qu’on me materne, peut-être n’ai- je pas fait les choses correctement.»

 

Les divorces sont en vogue aujourd’hui, selon lui, à cause du manque de communication, du stress, de la course aux biens matériels, quitte à en oublier l’essentiel. «Nous travaillions jusqu’à fort tard tous les deux et à la fin de la journée, nous étions exténués.» La pénible routine a fini par prendre le dessus. Les crises de jalousie ont fait place aux crises de nerfs. «Des choses ‘bénignes’, comme une chaussette sale, déclenchaient des tempêtes. La situation était devenue invivable.» Et le temps et les disputes ont signé l’arrêt de mort de l’amour. Petit à petit, sans qu’on s’en rende compte, le «nous» devient «moi», parfois bien malgré soi, conclut-il.

 

Chez le psy

 

Interrogé sur le pourquoi du comment, le Dr Mahendrenath Motah, psychologue, n’y est pas allé par quatre chemins. Pour lui, ce qui tue les mariages, c’est la promiscuité. «L’occasion fait le larron», lâche-t-il, laconique. Et de nos jours, ce ne sont pas les occasions qui manquent, selon lui, bien que l’infidélité, les tentations fassent partie de notre nature. «L’être humain est toujours à la recherche d’extase, de sensations fortes, il adore être confronté à l’interdit...»

 

Merci pour les cours de psychologie, mais concrètement, ça veut dire quoi? Pourquoi les gens divorcent-ils aujourd’hui plus qu’hier? «J’en reviens à l’extase! Les hommes, aujourd’hui, ne prennent plus le temps de faire l’amour. C’est la saison des coqs et des poules, ça monte, ça descend!» Et puis, poursuit le psychologue, être infidèle, c’est presque un phénomène de mode. «Quand les hommes surtout se rencontrent entre eux, on parle de maîtresse, de 35 et autres.»

 

Les valeurs, comme l’amour, la tendresse, la déférence, sont aussi en voie de disparition, fait valoir le Dr Motah. Et d’ajouter: «Les divorces sont nombreux certes, mais il ne faut pas oublier ceux qui vivent en concubinage pendant des années et qui finissent par se séparer.»

 

Quid de l’émancipation de la femme? Est-ce un facteur à prendre en compte? «Pas du tout ! Ma grand-mère travaillait aussi, je vous signale !» Par contre, le rôle de la femme a été dévalorisé au fil des ans, déplore-t-il. «Avant, elle était la gardienne des valeurs, c’est elle qui les transmettait aux générations futures, ce qui n’est pas forcément le cas aujourd’hui.»