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Sharon Lam Po Tang: «Pourquoi ma mère a dû mourir ainsi ?»

3 août 2015, 11:44

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Sharon Lam Po Tang: «Pourquoi ma mère a dû mourir ainsi ?»
L’ex-accusé Sanjeev Nunkoo et son avocat, Me Rama Valayden, réclament la réouverture de l’enquête sur la mort de votre maman, Hélène Lam Po Tang. Soutenez-vous cette démarche?
 
Je n’arrêterai jamais de me poser la question: pourquoi ma mère a dû mourir ainsi? C’était quelqu’un qui vivait sa petite vie sans gêner personne, alors, je me demande, pourquoi cette fin horrible?
 
En ce qui me concerne, bien sûr qu’il faut que l’on continue à chercher la vérité. Ce qui m’embête, c’est pourquoi l’enquête est considérée comme bouclée alors qu’on n’a pas encore arrêté le ou les meurtriers? Sanjeev Nunkoo était accusé de complicité seulement alors, pour ceux qui l’ont accusé de complicité, qui a fait le coup ? Qui peut me répondre aujourd’hui? C’est parce qu’on traduit quelqu’un aux Assises pour complicité qu’il faut dire bravo et que le travail est terminé?
 
Au début de l’enquête, les membres de la MCIT m’ont dit quelque chose comme «ounn vinn dan nou fami aster, nou pou fer tou pou trouv koupab-la». Cela m’a touchée, à l’époque, mais j’attends toujours depuis octobre 2010...
 
 
Les jurés ont, à l’unanimité, disculpé Sanjeev Nunkoo. Sa défense était basée sur l’argument que le travail de la police était bâclé, mal fait...
 
Je suis déçue et triste que presque cinq ans après, on se retrouve à la case départ. Sauf qu’aujourd’hui ce n’est plus un high profile case, donc personne ne s’en occupe avec passion, comme en 2010. On savait que Sanjeev Nunkoo avait acheté un couteau et qu’il était chez mes parents le jour du meurtre. On sait qu’il a vu ma mère. D’une façon ou d’une autre, il est impliqué. Que ce soit à cause de la police (la MCIT) ou de la poursuite si on se retrouve à la case zéro, qu’importe. La question est : que va-t-on faire maintenant ? Quelles leçons va-t-on en tirer pour ne pas refaire les mêmes erreurs – Michaela Harte, Hélène Lam Po Tang... Est-ce que quelqu’un sera puni pour ce crime odieux?
 
Est-ce que, comme votre père, vous avez perdu espoir de retrouver le ou les meurtriers de votre maman?
 
Mon père est un réaliste et il a raison. Cela ne veut pas dire qu’il ne veut pas trouver le meurtrier. Je suis d’accord que plus le temps passe, plus les chances s’amincissent, mais je ne peux pas abandonner espoir qu’un jour quelqu’un me dira pourquoi ce crime a été commis. Je ne veux plus entendre d’histoires et de palabres à sensation. On connaît à fond le «comment», le «où», le «quand», mais il nous reste toujours le «pourquoi». Le «qui» importe moins car quiconque a commis ce crime devrait payer. Au moins une personne sait pourquoi. Et il faut la trouver !
 
Vos relations avec votre père ont-elles changé dans le sillage de cette affaire?
 
Lorsqu’il a été arrêté, mon père m’a dit qu’il n’a rien fait. Je le crois. Il a passé des mois en détention, et on a tous les deux perdu une personne importante dans notre vie, alors forcément on change après tout ça. Aujourd’hui je n’ai qu’un seul parent. Ma relation avec mon père s’est renforcée. On se parle plus souvent.
 
Je pense qu’à travers les informations – souvent fausses et incomplètes – de la presse, le public, qui ne le connaît pas, l’a déjà injustement jugé. On entend des petits bouts de potins ici et là et on saute sur la conclusion qui nous plaît. C’est triste car c’est l’homme le plus généreux que je connaisse. Pourquoi tuerait-il ma mère? Il n’a aucune raison de le faire. Et pensez-vous qu’il puisse me regarder dans les yeux et avoir une relation normale avec moi, sa fille unique, s’il l’avait fait?
 
Connaissez-vous Sanjeev Nunkoo ? Le croyez-vous quand il dit qu’il veut aider votre famille pour faire la lumière sur la mort de votre maman?
 
J’ai rencontré Sanjeev deux fois brièvement. La première fois à la veillée mortuaire, et la seconde fois à la crémation. Je ne le connais pas, mais quand je repense à tout ce qui s’est passé depuis son arrestation, pour moi il a trop changé d’histoire pour être crédible. C’est bien qu’il veuille aider, mais, comme disent les Anglais, the proof is in the pudding.
 
En quoi cette affaire a-t-elle changé votre regard sur Maurice? Comptez-vous venir vous installer au pays avec votre famille?
 
Depuis la mort de ma mère, quand on me parle de mon «beau pays» avec envie, j’évite le sujet. Avant, comme presque tous les Mauriciens établis ailleurs, j’étais ambassadrice de Maurice. J’encourageais mes amis à venir visiter. Aujourd’hui, je ne le fais plus. Moi, je reviens bien sûr, pour mon père, ma famille et mes amis. Mais pour s’y installer, on verra et cela ne dépend pas juste de moi.
 
Au final, qu’est-ce qui vous a le plus marquée dans cette histoire ?
 
À part l’incompréhension devant cette violence, la réaction des gens. D’un côté, le positif : le soutien qu’on a reçu et que même aujourd’hui on reçoit encore a été incroyable. La famille bien sûr, y compris, pour la plupart, celle de ma mère. Des amis aussi, certains perdus de vue depuis longtemps. Du monde entier on a eu des messages d’encouragement, de sympathie, de soutien. Les jours où j’attendais mon père comparaître au tribunal de Mapou, un de ses amis de collège y était aussi. Il prenait le bus à 7 heures du matin et attendait des heures dans l’espoir de voir mon père pendant quelques petites minutes pour lui remonter le moral. Ça, on n’oublie pas.
 
De l’autre côté, la vitesse avec laquelle les opinions négatives se font et les mauvaises langues se sont lâchées m’a étonnée. Sans preuves et sans connaître les faits, pourquoi juge-t-on ainsi ? Dans le même genre, cela m’a beaucoup marquée de voir certains nous tourner le dos très vite.
 
Je veux toujours garder en moi l’image de ma mère dans son jardin, dans sa cuisine faisant ses gâteaux ou ses confitures, en excursion en famille, son sourire et son rire. Et j’espère que ceux qui l’ont connue conserveront aussi cette image de sa vie et non pas les détails de sa mort.