Publicité

En Inde, les travailleurs du sexe veulent sortir de la clandestinité

22 juillet 2015, 10:08

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

En Inde, les travailleurs du sexe veulent sortir de la clandestinité
Assise sur une dalle de béton froide, Sunita Devi applique du rouge à lèvres avant de retrouver ses clients dans une maison close miteuse d'une grande artère malfamée de New Delhi. 
 
"Nous n'allons pas vers les hommes, ce sont eux qui viennent à nous. Nous voulons vivre dignement, comme n'importe quelle autre profession", dit Devi, habillée d'un salwar-kameez traditionnel crème et vert, à l'AFP.
 
Comme des millions d'autres travailleurs du sexe, Devi, 35 ans, attend impatiemment la décision de la Cour suprême indienne qui doit clarifier le statut juridique de cette profession.
 
Le racolage, le proxénétisme et la tenue d'une maison close sont illégaux en Inde mais la loi, qui remonte à l'ère coloniale britannique, est floue sur la prostitution elle-même.
 
Les travailleurs de ce secteur espèrent que la plus haute instance judiciaire indienne obligera le gouvernement à dépénaliser cette activité. Ils expliquent être harcelés par la police et envoyés en maison de correction où les conditions sont pires qu'en prison.
 
Quelque 2.800 femmes et 4.800 hommes ont été arrêtés en 2013, selon les dernières statistiques officielles. Le taux de condamnation est de 35% mais nombre d'affaires se perdent dans les méandres de la justice indienne.
 
"Ne nous regardez pas comme des criminelles et s'il-vous-plaît, n'arrêtez pas nos clients", dit Devi, devenue prostituée après avoir été vendue à un homme pour 50.000 roupies (750 euros) par son petit ami qui s'est mis en cheville avec un proxénète.
 
Devi a choisi de rester dans la maison close où elle gagne "un bon 500 roupies (7,50 euros) par jour ou plus" sans devoir "travailler trop dur".
Clandestinité forcée
L'Inde compte pratiquement trois millions de travailleurs du sexe, selon Havocscope, un observatoire d'activités illégales.
 
La plupart se prostituent par choix, n'ont pas été victimes de trafiquants et devraient avoir les mêmes droits que les autres travailleurs, estiment de nombreux militants favorables à la dépénalisation de la prostitution.
 
"La loi est très ambigüe. Qui exploite qui? La femme qui est payée ou celui qui vient chercher du plaisir", dit Tripti Tandon de l'ONG Lawyers Collective. "La loi postule que tous les travailleurs du sexe sont des victimes et ne leur reconnaît pas le droit de gagner leur vie. Mais ils ne se considèrent pas comme des victimes, aussi pourquoi le décider pour eux?"
 
Les spécialistes de santé publique veulent que cette profession sorte de l'ombre, arguant que le statut actuel les oblige à se cacher et rend difficile la prévention des maladies sexuellement transmissibles.
 
Mais les ONG de lutte contre le trafic d'être humains estiment que légaliser cette activité alimenterait son essor et par conséquent le trafic vers les maisons closes, avec comme victimes principales les femmes pauvres des campagnes et les enfants.
 
Saisie d'une requête il y a quatre ans, la Cour suprême a formé une commission pour enquêter sur ce secteur et étudier d'éventuelles modifications de la loi.
 
Elle a aussi demandé à chaque Etat indien d'évaluer combien de travailleurs du sexe seraient prêts à se reconvertir s'ils le pouvaient.
'De bons revenus'
Vêtues de saris criards et de jupe, certaines prostituées postées le long de la sordide GB Road à Delhi se disent toutefois réticentes à l'idée de changer de métier, craignant d'y perdre financièrement. 
 
"Nous avons beaucoup de liberté et les revenus sont bons", dit Kusum, qui gagne environ 20.000 roupies (250 euros) par mois. Cet argent va à son mari et ses trois enfants, qui vivent dans un village de l'Etat voisin de l'Uttar Pradesh.
 
"Je peux offrir une meilleure vie à mes enfants avec l'argent que je gagne. Je pense que mon travail est moins fatigant que beaucoup d'autres", explique cette femme de 36 ans devenue prostituée sur les conseils d'une amie.
 
Son mari, qui s'occupe des enfants, croit qu'elle est infirmière.
 
Si beaucoup de prostituées veulent la fin de la criminalisation de leur métier, elles sont sceptiques sur l'idée de copier des pays tels que les Pays-Bas ou la Nouvelle-Zélande où l'exercice de la prostitution est soumis à l'octroi d'une licence. En Inde, un tel schéma renforcerait leur stigmatisation, estiment-elles.
 
"Mettre en place des licences fonctionne peut-être en Occident mais en Inde, où les prostituées sont ostracisées, ce serait compliqué", dit Amit Kumar, coordinateur national du collectif All India Network of Sex Workers.
 
La commission nationale des femmes, un organisme fédéral, a un temps défendu une légalisation de cette activité avant de changer d'avis un an plus tard.
 
Pour Kumar, la justice et les organismes publics doivent comprendre que maintenir la prostitution dans la clandestinité est une perte de temps. "Nos politiques et nos tribunaux refusent de trancher depuis trop longtemps. Or la prostitution est le plus vieux métier du monde et n'est pas près de disparaître."