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Jacqueline Sauzier,secrétaire générale de la Chambre d’agriculture : «La production bio à l’échelle industrielle est très difficile à Maurice»

7 juin 2015, 09:29

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Jacqueline Sauzier,secrétaire générale de la Chambre d’agriculture : «La production bio à l’échelle industrielle est très difficile à Maurice»

Le projet phare que vient de présenter Jacqueline Sauzier, la secrétaire générale de la Chambre d'agriculture, est la Smart Agriculture, qui vise à rendre la culture vivrière plus durable en réduisant l’utilisation des pesticides. Pour autant, il est pour l’heure impossible de se passer de pesticide, dit-elle.

 

La Chambre d’agriculture tiendra son assemblée générale dans deux semaines. Quels ont été les faits marquants de la Chambre d’agriculture pendant l’année écoulée ?

Nous ferons simplement un point sur ce qui s’est passé durant l’année. Il y a eu la coupe, la grève qui nous a contraints à repousser la coupe au mois de janvier, la reprise des discussions avec la Mauritius Cane Industry Authority (MCIA) pour relancer les Planters’ Funds. Nous aborderons aussi nos relations avec les autorités, notamment avec le nouveau ministre en place et, bien sûr, la Smart Agriculture. L’assemblée est principalement un forum dans lequel tous les membres de l’association s’expriment. C’est l’occasion pour moi de leur parler au moins une fois par an.

 

La Chambre d’agriculture a essuyé des critiques récemment, et non des moindres. Un ancien employé a exprimé des critiques virulentes sur l’importance de la Chambre et affirmant que son rôle n’est pus aussi percutant qu’avant…

Il ne s’est pas arrêté là. Il a exprimé beaucoup plus de critiques. Il est dommage que cet ancien employé ne m’ait pas contacté pour faire part de ses doléances, d’autant plus qu’il a été employé ici pendant 25 ans. Il est donc un peu responsable de la situation qu’il décrit. Mais je passe dessus, car le choix d’être moins visible est un choix délibéré. Auparavant, la Chambre comptait plus de 25 employés, avec un étage complet. Les assemblées étaient sur une plus grande échelle avec des invités de marque. Aujourd’hui, avec la restructuration de l’industrie sucrière, nous nous sommes remis en question, ainsi que nos objectifs et notre action. Nous nous limitons à répondre aux besoins de nos membres et, à ce stade, cela ne demande pas de grande visibilité. Cela ne veut pas dire que la Chambre est moins active !

 

Elle a donc dû s’adapter pour évoluer ?

Oui. Nous sommes passés d’une situation où la production sucrière était de 700 000 tonnes de sucre à 400 000 tonnes. Il y avait 20 propriétés sucrières sur l’île, aujourd’hui il n’y en a que quatre. La MCIA a été créée pour regrouper les service providers. Le marché a changé aussi et nous avons dû évoluer, mais l’objectif est resté le même.

 

Aujourd’hui, quel est le rôle primaire de la Chambre ?

La Chambre est une association privée qui date de 1853. Son rôle a toujours été la promotion de l’agriculture, la défense de ses membres tout en s’assurant que les actions agricoles soient faites dans un cadre qui est bénéfique à tous les acteurs du domaine. C’est un mandat vaste mais qui a le mérite de répondre aux besoins de nos membres. Cela inclut les propriétés sucrières, des individuels et compagnies.

 

La Chambre les épaule pour défendre leurs intérêts ou encore, un dossier spécifique. En gros, nous aidons pour que la vie de nos membres soit plus facile. En marge, nous agissons aussi comme un lobby, lorsque nous jugeons utile d’avoir un encadrement légal ou un encadrement au niveau des certifications, il est de notre rôle de faire en sorte que l’activité se déroule de manière juste tout en répondant aux demandes des membres.

 

Justement, quels sont les demandes et besoins des membres ?

Il n’y a pas de demandes précises ni proéminentes. Il faut qu’on réponde aux demandes de développement de l’industrie sucrière et de la diversification agricole. C’est une politique nationale.

 

Vous avez parlé de Smart Agriculture. Pourquoi la démarche arrive maintenant ?

C’est simplement parce que la demande arrive maintenant, et nous ne faisons que répondre aux consommateurs. Mon engagement environnemental n’est pas nouveau, mais il faut s’en tenir aux faits et non se baser sur ce qui se dit.

 

Sur l’utilisation des pesticides dans les champs de cannes et la pollution de l’eau, par exemple ?

Déjà, il faudrait savoir que les pesticides sont utilisés dans les champs de cannes de manière très minime. Y a-t-il eu des analyses qui ont été faites par des ONG ? Est ce qu’il y a eu les résultats ?

Dans le domaine, il y a beaucoup de on-dit. On dit que les agriculteurs utilisent trop de pesticides.  On dit qu’ils font des cocktails de pesticides et on dit qu’ils vendent leurs légumes le lendemain avec le pesticide encore dessus. Mais en fait, qui est ce «on» ? Est-ce que c’est un agriculteur qui est montré du doigt, ou plusieurs ?

Il faut cesser de stigmatiser une industrie en particulier. Il n’y a ni des méchants ni des gentils. À la Chambre, nous travaillons toujours avec des preuves à l’appui. S’il y a la preuve qu’un problème provient d’une personne, on va le faire changer. Aujourd’hui, les critiques restent trop vagues.

 

Donc, quel est le but de se tourner vers la Smart Agriculture ?

Cela vient de la demandedes consommateurs. Ils veulent un produitdans lequel ils peuventavoir confiance. De ce fait,nous essayons de répondreà cette demande en faisant des recherches, une analysestatistique et fi able pour inspirerconfiance. On n’estpas dans le jeu de l’émotionneldes gens. Je pars duprincipe que le consommateurtrouve l’utilisation depesticides excessive.

La Chambre, à partir de là, va essayer de démontrer si c’est avéré ou pas. Ce que je veux faire, c’est commencer par un état des lieux. Cela me permettra de dire qui produit des légumes. En fonction de cela, il sera possible de parler des pratiques des agriculteurs. Cela se fera sur un échantillonnage statistiquement fiable qui me permettra de donner une analyse juste et représentative du milieu.

Cela permettra de définir le format type d’un agriculteur, ce qu’il produit et son mode de production. Il sera aussi possible de définir sa contribution au marché. On définira aussi ses pratiques culturales et savoir quel est le volume de produit chimique utilisé. Ce n’est qu’à partir de là qu’on va se rendre compte –ou pas – que ce volume de pesticide est nécessaire à la production de ce type de légume.

 

Et le consommateur ? Où se situe-t-il dans le processus ?

Là aussi, il faut définir son comportement. Est-ce qu’il voudra d’une carotte de travers, d’une tomate piquée ou d’un chou-fleur avec des vers ? Si le producteur ne vend pas, qui est fautif dans l’histoire ? Le producteur qui n’utilise pas de pesticides ou le consommateur qui demande à ne pas utiliser de pesticides mais qui n’achète pas car il n’est pas satisfait ? Tout est une question d’équilibre et de sensibilisation des consommateurs sur l’importance de l’utilisation de certains produits.

 

Dans ce cas, pour arriver au 100 % bio, y a-t-il des concessions à faire ?

Nous vivons dans un climat tropical et humide qui est propice au développement de diverses bactéries et de virus. À l’échelle industrielle, il est impossible de dire que nous allons nous passer de l’utilisation du pesticide. Nous en aurons toujours besoin. L’idée est d’atteindre un niveau rationnel et juste des produits chimiques. Pour les petits par contre, il y a énormément d’initiatives pour les pousser vers le bio selon les règlements internationaux. Déjà, il y a une volonté chez eux de changer.

 

Vous allez donc réguler son utilisation ?

Nous ne sommes pas un organisme régulateur. Nous pouvons proposer des alternatives et faire des recommandations aux producteurs. Des bio-agresseurs par exemple. Par exemple, pour un parasite qui attaque les tomates, il peut exister un insecte qui attaque le parasite en question. Nous proposerons ce type d’alternative pour diminuer et non mettre un terme à l’utilisation des pesticides. En marge de cela, nous travaillerons de concert avec les autorités pour la mise en place d’une régulation et certification pour qu’il y ait une cohérence dans le projet. Un producteur qui travaille sur cette méthode avec son voisin qui utilise des pesticides à outrance, cela ne servirait à rien.

 

Quand atteindrons-nous les 50 % de production bio annoncée par le ministre des Finances ?

Vu l’état actuel du secteur de l’agriculture, ce n’est pas pour tout de suite, mais au moins, nous avons un objectif vers lequel travailler. Nous surfons sur cette volonté qui existe au niveau des autorités pour transiter de l’agriculture traditionnelle à une agriculture bio. Il faut une phase de rationalisation des produits chimiques.

 

Mais tous les producteurs ne sont pas membre de la Chambre d’agriculture. Qu’en est-il de ceux-là ? Vont-ils suivre les recommandations ?

Personne ne peut les obliger. Mon but, c’est de démontrer qu’il existe la possibilité de mes membres. Lorsque la cartographie sera prête et que l’agriculteur type sera identifié, on va identifier ceux qui auront la volonté d’aller vers cette phase de transition. Cela se fera dans la phase pilote du projet, avec des membres de la Chambre aussi bien que les indépendants volontaires. La preuve par l’exemple est la meilleure manière de procéder. Si on réussit à démontrer le succès de la transition, les autres suivront automatiquement.

 

Et ce projet verra la diversification de l’agriculture aussi ? Car il y a des écoles de pensées qui, à tort ou à raison, pensent que l’industrie sucrière n’est plus viable et se basant sur cela, ils prônent le «phasing out» de la canne…

Absolument pas. Au contraire. Je prône le développement de l’industrie cannière tout autant que l’industrie vivrière. Je n’ai aucune raison de réduire l’importance de l’industrie cannière dans le pays puisque c’est le core business de nos membres. Nous faisons tout en collaboration avec la MCIA et les autorités pour aider les planteurs qui ont des plantations de canne à perdurer. En parallèle, nous avons en vue les terres abandonnées pour les transformer en terrains agricoles dans un souci de sécurité alimentaire.

 

Et vous vous attendez à un retour positif ?

Pour l’instant, nous nous sommes basés sur la demande des consommateurs et le but est de redonner confiance dans le légume. Il faudra établir, en amont, une cartographie des terres agricoles. Il est probable qu’à la fi n du projet, on se rende compte que l’utilisation de pesticide correspond à la superficie des terres cultivées. Il y aurait, à ce moment-là, un objectif moins ambitieux de réduire car la possibilité de changer la méthode sera plus compliquée. Par contre, si l’utilisation est au-delà des normes, l’objectif sera plus important. On en saura plus après avoir établi une carte des planteurs, et c’est prévu pour début janvier. C’est un projet qui s’étale sur des années.

 

Mais au final, le bio n’est-il pas un effet de mode qui passera? Peut-on penser que les consommateurs n’y penseront plus dans quelque temps ?

Absolument pas. C’est une tendance mondiale. Il y a un shift dans la manière de penser qui a entraîné un changement dans la manière de produire. Pourquoi ne pourrait-on pas le faire à Maurice ? La prise de conscience est là, la volonté politique aussi. Nous sommes en train de revoir nos méthodes de consommation, et le bio en fait partie.