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Quatrième arrestation: pourquoi Ramgoolam est-il inquiété dans l’affaire Dufry?

4 juin 2015, 09:30

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Quatrième arrestation: pourquoi Ramgoolam est-il inquiété dans l’affaire Dufry?

L’approvisionnement de la Mauritius Duty Free Paradise (MDFP) en produits de luxe aura finalement valu à Navin Ramgoolam ses neuvième et dixième inculpations. L’ex-Premier ministre (PM) a été traduit en justice ce jeudi 4 juin 2015 pour trafic d’influence et complot en vue de toucher des commissions du groupe suisse Dufry.

 

Le Central Criminal Investigation Department (CCID) accuse le leader du Parti travailliste d’abus de sa position dominante de chef du gouvernement pour que Dufry remplace la société allemande Gebr. Heinemann comme fournisseur attitré de la MDFP. Celle-ci, placée sous la tutelle du bureau du PM, gère les boutiques hors taxes aux aéroports de Plaisance et de Plaine-Corail, à Rodrigues.

 

Commissions de plusieurs dizaines de millions d’euros

 

L’équipe de l’assistant commissaire de police (ACP) Heman Jangi reproche à Navin Ramgoolam d’avoir négocié la venue de Dufry à Maurice bien avant que la MDFP lance son appel d’offres. Et ce, contre des commissions évaluées à plusieurs dizaines de millions d’euros à verser à son amie Nandanee Soornack et à son ancien homme de confiance Rakesh Gooljaury via une société spécialement créée en Suisse, Frydu.

 

C’est, en fait, sur la base des dépositions incriminantes de Rakesh Gooljaury que le CCID a de nouveau convoqué Navin Ramgoolam aux Casernes centrales hier. À la trentaine de questions qui lui ont été posées en présence de ses hommes de loi, Mes Gavin Glover et Shaukat Oozeer, l’ex-PM a observé son droit au silence. Il est arrivé à 10 h 38. Puis il est reparti à 14 h 55, ayant été libéré sur parole.

 

«Li mem ti pé kontrol tou»

 

D’après les détails fournis par Rakesh Gooljaury à l’équipe de l’ACP Jangi, l’ex-chef du gouvernement aurait personnellement planifié la venue de Dufry à Maurice. Le patron de Fashion Style ajoute que Navin Ramgoolam lui a demandé ainsi qu’à Nandanee Soornack d’agir comme des paravents. «Li mem ti pé kontrol tou», a déclaré l’homme d’affaires aux enquêteurs. Ceux-ci l’ont entendu dans le cadre de la préparation du dossier qui sera utilisé pour réclamer l’extradition de la patronne d’Airway Coffee, actuellement en Italie.

 

Rakesh Gooljaury soutient que Navin Ramgoolam a sollicité le Français Laurent Obadia – un ex-salarié de la société française Euro-RSCG qu’il a nommé conseiller économique auprès de l’ambassade de Maurice à Paris – pour des pourparlers avec Dufry. Les négociations, affirme-t-il, ont débuté à Floréal avant de se poursuivre en France et en Suisse.

 

L’homme d’affaires avance que l’ex-PM a rencontré des représentants de Dufry à Paris en compagnie de Nandanee Soornack. De la capitale française, le couple s’était alors envolé pour Londres. Son récit tranche quelque peu avec les personnes dans l’entourage de Laurent Obadia. Ces dernières expliquent que c’est Rakesh Gooljaury qui menait la danse, présentant Nandanee Soornack, connue pour être proche de Navin Ramgoolam, comme sa soeur.

 

Rakesh Gooljaury fait également une révélation de taille : l’appel d’offres de la MDFP a été «tailor-made» pour Dufry. Ce qui explique, dit-il, pourquoi le groupe suisse a été préféré à un autre soumissionnaire. Près de Rs 100 millions, en euros, auront donc été versées au tandem Nandanee Soornack-Rakesh Gooljaury à travers Frydu entre octobre 2012 et novembre 2013. Cette somme représente les 4,2 % du chiffre d’affaires annuel de Dufry sur Maurice sous l’item Agency & Sales Commission Agreement.

 

Selon Rakesh Gooljaury, c’est lorsque le groupe suisse a décroché le contrat de gestion de la MDFP et qu’il a accepté de verser 49 % de ses gains à Frydu – soit Rs 600 millions – que Navin Ramgoolam lui a demandé ainsi qu’à Nandanee Soornack de revendre leurs parts au sein de Frydu à Wigam Holdings. Cette société chypriote est dirigée par Frank Gleesoon, l’Irlandais qui a piloté l’achat de six A350-900 par Air Mauritius auprès de l’avionneur Airbus.

 

Dans le cadre de l’affaire Dufry, l’ACP Jangi devrait déléguer ses hommes à Paris et à Bassel. Ils seront chargés d’entendre Laurent Obadia, des dirigeants de Dufry et l’avocatsuisse Alexander Schwartz du cabinet Fischer & Partner àZug, qui a supervisé la création de Frydu jusqu’à la vente des actions de Nandanee Soornack et de Rakesh Gooljaury à Wigam Holdings.

La note de frais de l’avocat Alexander Schwartz montre qu’il était en contact avec Frank Gleeson et Rakesh Gooljaury, Doomeshwar Gooljaury (DG) pour l’état civil.

 

Le CCID devra aussi déterminer, avec cet homme de loi, quel a été le rôle joué dans toute cette transaction par Laurent Obadia, qui a conseillé Navin Ramgoolam dans le cadre des législatives de 2000. Quand Frydu a été créée, il avait été question, à un certain moment, que le Français soit un des actionnaires. Les enquêteurs devront aussi établir le lien entre les commissions suisses avec les différentes cartes de crédit de Navin Ramgoolam et les Rs 220 millions, dont la moitié en dollars n’a jamais été mise en circulation, retrouvées dans ses deux coffres-forts.

 

L’ex-PM devra comparaître ce matin, soit au tribunal de Port-Louis ou à celui de Curepipe. Ses deux nouvelles inculpations viennent s’ajouter à celles de blanchiment dans l’affaire des coffres-forts et de la Bramer Asset Management ; d’entrave à la justice pour le cambriolage à son campement de Roches-Noires ; de complotet de faux par écrit dansla vente des biens immobiliers de la Bramer Property Fund ; et de trafic d’influence dans l’octroi des terres de l’Etat à son agent politique, son astrologue et l’homme qui a chanté un hymne à sa gloire lors de la dernière campagne électorale

 

Les virements de Dufry à Frydu ont aussi servi à Rakesh Gooljaury à régler les achats de sa société Fashion Style.