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Protection de l’enfance: «L’institutionnalisation est toxique»

30 mai 2015, 00:33

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Protection de l’enfance: «L’institutionnalisation est toxique»

 

 

À Maurice, faute d’un organisme compétent pour les adoptions (pour renseigner les parents biologiques, pour évaluer les candidats à l’adoption, pour apparenter les enfants adoptables avec leur nouvelle famille), les candidats à l’adoption tentent de devenir familles d’accueil, avec l’espoir de pouvoir adopter légalement l’enfant après quelques années. Le projet «de vie» n’étant pas le même entre l’adoption et le «fostercaring », recommanderiezvous de dissocier les deux procédures ?

Quand on considère l’avenir de n’importe quel enfant, qui ne peut pas vivre avec sa famille biologique, il est essentiel que cela se fasse à travers une évaluation individuelle de l’enfant et de ses besoins. Ce qui prime c’est l’intérêt supérieur de l’enfant. Le but ultime est de lui apporter une solution permanente, incluant la première possibilité, à savoir que l’enfant puisse retourner vivre dans sa famille biologique, avec un soutien apporté à celle-ci.

 

Il y a beaucoup de similitudes entre l’adoption et le placement en famille d’accueil, mais l’adoption est une alternative qui engage l’enfant et les adoptants de manière permanente, avec des conséquences à vie. Le placement en famille d’accueil est une mesure temporaire, pendant laquelle une solution durable pour l’enfant est trouvée (soit retour dans la famille biologique, soit adoption).

 

La mission est différente. Même si en bonne partie l’enquête sociale est la même dans les deux cas, les adoptants doivent prouver qu’ils seront les bonnes personnes pour assurer l’avenir de l’enfant sur le long terme en prenant en compte leur âge, leur santé, leur stabilité sociale, leur style de vie, leurs valeurs. Ils seront donc apparentés précisément avec un enfant ou une fratrie.

 

En vue de travailler sur le nouveau projet de développement du service de famille d’accueil, mon opinion est qu’il faudrait aussi créer un système efficace pour l’adoption locale (d’enfants mauriciens par des Mauriciens). Les deux fonctionneront en tandem : ensemble ils pourront apporter une solution à la fois temporaire (fostering) et permanente (adoption) pour les enfants privés de leur famille biologique.

 

Je comprends qu’actuellement des candidats à l’adoption se proposent comme famille d’accueil. S’ils deviennent ensuite adoptants, sans une bonne évaluation propre au système de l’adoption, cela peut ne pas être dans le meilleur intérêt de l’enfant. Pour Maurice, je recommanderais certainement le développement d’un service d’adoption suivant les dispositions de la Convention de La Haye.

 

Les candidats pour devenir famille d’accueil à Maurice sont souvent à la recherche d’un bébé. Le système de famille d’accueil ne doit-il pas se limiter à ce profil ?

Tout à fait, un fostering service doit être développé enfonction des besoins des enfantsréférés pour un placementalternatif (en dehors deleur famille biologique). Le service de famille d’accueil doit donc être développé en fonction des données collectées sur une base nationale etcentré sur les besoins des enfants,et non pas sur les souhaits des adultes.

 

S’il y a un bébé ou n’importe quel enfant, qui a besoin d’un placement en attendant qu’une  solution permanente soit trouvée, il est impératif qu’il soit placé en famille d’accueil et pas en institution (shelter…). Une prise en charge familiale est mieux pour n’importe quel enfant.

 

Mais les postulants à la mission de famille d’accueil doivent être soigneusement évalués sur leur motivation. Cela doit être clair que ce n’est pas le chemin vers l’adoption, sauf si c’est dans le meilleur intérêt de l’enfant et si ces candidats correspondent pleinement aux critères requis pour devenir adoptants.

 

Je comprends que beaucoup de gens qui ne peuvent pas concevoir d’enfant cherchent différentes voies pour devenir parents. Cependant, être famille d’accueil n’est pas le chemin.

 

D’après votre formation, le système de famille d’accueil a beaucoup à apporter aux enfants porteurs de handicaps ou montrant des troubles du comportement ?

Une attention familiale de qualité est le meilleur environnement possible pour le développement humain. Cependant c’est difficile de trouver des familles d’accueil pour les mineurs les plus âgés ou très «perturbés», qui ont été marqués par leur famille biologique ou/et par leur séjour en institution.

 

Les postulants à la mission de famille d’accueil spécialisée doivent être évalués selon leur maturité et leur expérience. Peut-être faut-il sélectionner des professionnels qui ont déjà travaillé dans des institutions et ont compris les besoins profonds de ces enfants.

 

Et ce système de famille d’accueil spécialisée ne fonctionnera que s’il est largement soutenu par diverses aides : matérielles, mais pas uniquement. Je pense aux conseils et formations, au soutien psychologique, à l’appui d’une équipe de travailleurs sociaux, à la possibilité de placer temporairement l’enfant en «respite care» pour soulager la famille d’accueil de temps en temps…

 

Il n’y a aucune raison justifiant que les enfants porteurs de handicaps ne puissent pas être adoptés, ni placés en famille d’accueil. Tout dépend de la manière dont le cas de l’enfant est présenté et du soutien qui est garanti aux parents adoptifs ou à la famille d’accueil.

 

Pourquoi le placement en famille d’accueil est-il une meilleure option que le placement en institution ?

Il a été prouvé que l’institutionnalisation est toxique pour le développement de l’enfant parce qu’elle échoue du point de vue de l’attachement. Pour le développement correct de l’enfant, un attachement émotionnel intense (à deux ou trois adultes, souvent les parents ou les grands-parents) est essentiel. Et cela quelles que soient les conditions matérielles : des familles pauvres qui aiment leurs enfants parviennent à élever des enfants emotionally healthy.

 

Un enfant securely attached apprend à faireconfiance aux autres et celalui permet de tisser des relations sociales, tout au longde sa vie. En institution, lesenfants privés de cet attachement,de ce socle fondamental,peuvent rencontrerdes problèmes au niveau de leur développement nerveux et physique, montrer des comportements agressifs, antisociaux, distants, voire suicidaires (dans des cas extrêmes).

 

Les enfants grandissant dans des familles biologiques dysfonctionnelles peuvent aussi être négligés sur le plan émotionnel et présenter les mêmes comportements. Le meilleur environnement pour un enfant privé de sa famille biologique est une famille d’accueil appropriée qui peut créer un attachement fort et chaleureux. Une famille de relais, qui sera un modèle de relations humaines appropriées. Dans ces conditions, les dommages provoqués dans la petite enfance peuvent se rattraper.

 

Créer un système de familles d’accueil spécialisées à Maurice va nécessiter de mettre en place une campagne de communication, une procédure de recrutement, de former les officiers et les familles. Est-ce un challenge réalisable ?

Oui. Le Service Social International (SSI) est convaincu que le dispositif de famille d’accueil peut apporter une vraie réponse, en accord avec les recommandations des Lignes directrices de l’ONU sur les mesures de protection de remplacement qui visent entre autres à privilégier les options de types familiales pour les enfants sans soutien parental.

 

La mise en place d’un tel dispositif pour des enfants avec des besoins spécifiques est effectivement un challenge et ne se fera pas du jour au lendemain. Toutefois ce projet est à la portée de tout pays tant qu’il y a une volonté politique et un engagement dans ce sens.

 

Le SSI accompagnera ces prochains mois le ministère de l’Égalité du genre et du développement de l’enfant qui en a exprimé le besoin en renforçant le système de famille d’accueil déjà existant. Il s’agira également de proposer une assistance technique ainsi que des formations pour initier un dispositif pilote de quelques familles spécialisées pour accueillir des enfants porteurs de handicap ou avec des histoires de vie difficile et trop communément appelés «children beyond control».