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Bhooshan Ramloll,Managing Director de Ramloll Bhooshan Group of Companies: «Il est important que le gouvernement se recentre sur ses priorités»

27 mai 2015, 13:05

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Bhooshan Ramloll,Managing Director de Ramloll Bhooshan Group of Companies: «Il est important que le gouvernement se recentre sur ses priorités»
 
 
 
On dit souvent que lorsque la construction va, tout va. Or, le constat est que ce secteur passe par une phase de décroissance depuis trois ans et que la reprise n’est pas pour demain Quelle est votre évaluation de la situation ?
Vous avez raison de souligner que ce secteur a connu une décroissance moyenne de 9 % ces trois dernières années et tout laisse croire que malgré l’annonce de l’ouverture de certains chantiers, 2015 risque de connaître une nouvelle phase de décroissance. Une situation visiblement grave pour le pays, vu que ce secteur emploie 10 % de la population active et contribue entre 6 % et 7 % au produit intérieur brut (PIB).
 
Bien entendu, il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, je note que tous les gros projets d’infrastructure lancés par le gouvernement il y a quelques années sont arrivés à terme ; ensuite, il y a les opérateurs privés qui sont épuisés financièrement et qui n’ont plus la capacité financière d’investir dans de nouveaux projets fonciers et immobiliers.
 
Or, alors que dans une telle situation, le secteur public aurait dû prendre le relais, tel n’a pas été le cas. Au contraire, la politique a pris le dessus et le gouvernement a dû mettre au frigo plusieurs projets. Je pense notamment aux logements sociaux et à la Centrale thermique du Central Electricity Board (CEB).
 
Entre-temps, il y a un changement de gouvernement et c’est tout naturellement que les nouveaux dirigeants vont prendre un certain temps avant de trouver leur rythme et imposer leur marque. D’ores et déjà, ils ont déjà annoncé qu’ils vont lancer de nouveaux projets pour donner une nouvelle impulsion au secteur de la construction. Il faudra attendre.
 
Vous pensez à la construction des «smart cities» ?
Tout à fait. C’est une nouveauté qui redessinera l’industrie du bâtiment. C’est un nouveau concept de ville intelligente où tout est relié à votre poste de travail, à votre résidence ou encore à vos lieux de loisirs, comme il en existe à Bangalore, aux États-Unis, en Israël et à Dubayy. Bien évidemment, un promoteur sera appelé à investir dans ce projet s’il sait qu’à la fin de la journée, il engrangera des retours importants sur investissement. Mais une chose est sûre : ces smart cities seront une réussite si le gouvernement décide de les mettre sur «fast track» et s’il arrive à attirer des multinationales comme Google et Apple pour les infrastructures Informatiques.
 
Ces «smart cities» auront une importante composante informatique. Dans quelle mesure les contracteurs mauriciens en tirerontils profit ?
Il est faux de dire que les smart cities graviteront essentiellement autour de l’informatique. Car comprenons-nous bien que ces villes intelligentes s’appuieront sur d’autres structures dont celles privilégiant l’écologie.
 
Il est clair que nous n’avons pas l’expertise dans ce domaine mais rien n’exclut que l’on établisse des partenariats avec des sociétés étrangères qui nous donneront ce savoirfaire pour nous impliquer dans ce projet.
 
Depuis l’annonce budgétaire de ce projet phare, nous n’avons rien entendu sur les mesures prises pour son exécution. Au contraire, le gouvernement est activement sollicité pour gérer une cascade de crises, les unes plus explosives que les autres. Êtes-vous confi ant que ces «smart cities» seront une réalité dans le délai souhaité ?
Tout dépendra de la rapidité avec laquelle le gouvernement mettra en place les mesures pour leur exécution. Il est évident que ce n’est pas un projet qui est réalisable à court terme, vu la nature hautement technique et complexe de sa réalisation.
 
Certes, on ne peut que se réjouir de la décision du gouvernement d’y avoir pensé car il ouvre de nouvelles pistes pour dynamiser le secteur de la construction. Il témoigne aussi de l’ambition du gouvernement de passer à une autre étape de son développement qui, au passage, a permis de créer un «feelgood factor» parmi les opérateurs économiques.
 
Malheureusement, il y a eu l’éclatement de plusieurs crises qui ont dû mobiliser les énergies des principaux ministres du gouvernement. Je pense particulièrement à l’affaire BAI qui nécessite actuellement l’intervention du gouvernement au plus haut niveau. Ce qui fait que les priorités budgétaires ont dû être reléguées au second plan.
 
Et quelle serait la solution, selon vous ?
Il faut urgemment réfl échir à l’avenir économique du pays et se dire que si on ne le fait pas actuellement, on sera demain au centre d’une crise sociale. Il est ainsi important de refocus sur les priorités du moment et de prendre des mesures pour atténuer la tourmente sociale.
 
Je ne dis pas qu’il faut mettre un frein au grand ménage enclenché par le gouvernement depuis son installation au pouvoir en décembre dernier. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’il y a parallèlement des mesures à prendre pour redresser le pays. Car il va de soi que les pertes d’emplois vont continuer à perdurer et qu’il faudra «think out of the box» pour identifier des secteurs susceptibles de créer de nouveaux emplois.
 
Le secteur de la construction avec ces «smart cities» ?
Par exemple… mais il faut souligner que le type d’emploi recherché dans ces smart cities sera d’un tout autre niveau, lié forcément à plusieurs secteurs. Il faudra bien entendu trouver les compétences nécessaires. Là, il faudra une synergie entre le privé et le public, car il s’agit d’un projet novateur de taille qu’on ne veut pas rater.
 
Le premier budget de l’Alliance Lepep donne la possibilité à la diaspora mauricienne de retourner au pays avec, en contrepartie, un certain nombre d’avantages fiscaux. Il va de soi que ce sera une aubaine pour les promoteurs immobiliers…
Je pense que oui. Car le retour de la diaspora mauricienne relancera la demande pour des appartements et dynamisera le secteur foncier. Ils sont nombreux à souhaiter acquérir une résidence de luxe ou investir dans l’achat d’un terrain. Ce qui donnera du coup un nouveau boost au secteur de la construction tout en permettant à l’économie du pays de bénéficier d’un apport conséquent en FDI (Foreign Direct Investment).
 
Il ne faut pas oublier que la résistance s’était organisée dans le passé contre le retour de la diaspora mauricienne vu qu’elle fera monter le prix de l’immobilier…
Il y a certes ce risque mais il faut faire un choix car il est évident que ce projet a nécessairement des avantages qui sont beaucoup plus importants qu’un ou deux désavantages.
 
Selon vous, le secteur de la construction demeurera-t-il encore un secteur générateur de croissance et d’emplois ?
Il n’y a pas de doute, à condition toutefois que le gouvernement nous donne des incitations. Mais il ne faut pas avoir les yeux braqués uniquement sur Maurice. Il faut aller au-delà du territoire mauricien et viser le continent africain où les possibilités dans le secteur de la construction sont immenses.
 
D’ailleurs, notre groupe y est engagé depuis quelque temps déjà, notamment en Tanzanie et au Sénégal où nous avons des projets en partenariat avec les promoteurs de ces deux pays dans le foncier et dans l’immobilier.
 
Je reste persuadé que l’Afrique représente des opportunités illimitées pour l’industrie du bâtiment. Toutefois, vu que c’est une terre inconnue pour les promoteurs mauriciens, il faut au préalable connaître les réalités des pays de ce continent et avoir impérativement le soutien du gouvernement.
 
Pour ma part, j’encouragerais les compagnies de construction à se tourner vers l’Afrique où les perspectives de croissance sont visiblement énormes, entre 6 % et 7 %. Du reste, je compte personnellement accroître la présence de mon groupe sur ce continent et y réaliser au moins 50 % de mon chiffre d’affaires d’ici cinq ans.
 
La perception, c’est qu’aujourd’hui le coût de construction est relativement élevé, ce qui n’encourage pas beaucoup de familles souhaitant construire ou agrandir leurs maisons à le faire, avec pour résultat que la construction résidentielle connaît également un ralentissement ?
Disons que c’est le coût de la main-d’oeuvre qui est venu augmenter le coût final de la construction. Savezvous qu’aujourd’hui, un maçon peut réclamer jusqu’à Rs 1 000 pour une journée de travail. Et dans bien des cas, il manque de compétence et de performance.
 
Aujourd’hui, toutes les compagnies de construction souffrent d’une main-d’oeuvre locale peu performante, pas suffisamment formée et qui est en plus confrontée à d’autres mauvaises pratiques inhérentes à ce secteur. Soit les absences répétées les lundis et le refus de travailler les samedis parce que les employés de ce secteur ont développé une culture de «zougader». Sans compter que les jeunes ne sont pas intéressés à se joindre à cette industrie.
 
Résultat des courses : nous sommes obligés d’avoir recours aux travailleurs étrangers qui sont disposés à travailler 7 jours sur 7. Aujourd’hui, ce sont ces travailleurs étrangers – j’emploie une centaine de Bangladais – qui nous permettent d’achever nos chantiers à temps et de respecter nos engagements vis-à-vis de nos clients.
 
Quand je parle de travailleurs formés, il faut aussi souligner le fait qu’avec le projet de migration circulaire, nous assistons au départ de nos meilleurs maçons, charpentiers, plombiers et autres ouvriers qualifiés vers des pays comme le Canada, sans qu’il y ait en contrepartie des actions prises pour remplir notre réservoir de main-d’oeuvre.
 
Pour revenir à la question initiale par rapport au coût apparemment élevé de la construction, il faut aussi mentionner que la plupart des entrants dans ce secteur, outre les matériaux de construction (blocs, sable de roche, macadam et autres produits fabriqués localement), sont assujettis aux fluctuations du taux de change, du fret et à d’autres facteurs qui sont hors de notre contrôle.
 
On parle beaucoup d’endettement dans le secteur de la construction. Quelle est la situation en réalité ?
Aujourd’hui, toutes les compagnies de construction souffrent d’un niveau d’endettement qui devient à la longue insoutenable. La raison, elle est simple : elle est liée à l’incapacité de nos clients à respecter leurs engagements financiers, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas payé à temps, pour diverses raisons, les travaux qu’un contracteur s’est engagé à compléter.
 
Du coup, la compagnie se retrouve dans une situation difficile car elle a mobilisé des fonds dans ce projet et se retrouve au bout du compte sans le sou. Dès lors, il faudra engager des poursuites contre ces clients pour recouvrer le montant dû et là on est probablement parti pour la gloire. Ainsi, au lieu de nous concentrer sur notre business, nous passons la plupart de notre temps en cour industrielle.
 
Face à cette situation, les contracteurs plaident en faveur d’une nouvelle législation, le Payment Act, comme il en existe à Singapour, pour mieux les protéger contre des mauvais payeurs. Cette nouvelle législation aura le mérite d’imposer légalement aux clients de ce secteur de régler leurs factures dans le délai prescrit.
 
Après ce tour d’horizon, êtes-vous toujours optimiste pour ce secteur ?
Bien entendu. Mais il y a plusieurs obstacles à surmonter pour un début de reprise dans l’industrie du bâtiment. De par mon expérience, je ne vois rien venir, du moins pas avant 2016. À moins que le gouvernement ne s’y mette pour créer les conditions…