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40e anniversaire du 20 mai 1975: deux participants racontent la grève estudiantine

20 mai 2015, 08:45

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40e anniversaire du 20 mai 1975: deux participants racontent la grève estudiantine

 

Nous sommes au début de l’année 1975. Un malaise règne parmi les collégiens. L’enseignement secondaire est payant mais certaines institutions sont mieux loties que d’autres. À cette époque, seuls quelques collèges appartiennent à l’État, nommément le Queen Elizabeth (QEC), les collèges Royal de Curepipe (RCC) et de Port- Louis, ou encore John Kennedy. Les autres, dont ceux de l’autorité catholique aujourd’hui connue sous le vocable Bureau d’éducation catholique (BEC), reçoivent des subventions.

 

«Tous les collèges n’étaient pas logés à la même enseigne. Ceux du BEC, par exemple, avaient des facilités comme des bibliothèques et des laboratoires que d’autres n’avaient pas», explique Pradeep Bheem Singh, aujourd’hui Health and Safety Practitioner à Air Mauritius.

 

Âgé de 18 ans, il était en HSC au collège New Eton en 1975. Il se souvient encore des évènements à l’origine de cette «révolution». «C’est au collège London que tout a commencé. Deux enseignants avaient été licenciés. Les élèves se sont soulevés contre cela.»

 

Vague de mécontentement

 

Le mécontentement s’est vite répandu aux autres établissements privés et des directeurs de certains collèges étaient d’accord pour donner un coup de main aux élèves. Très vite, la vague de mécontentement gagne les collèges ruraux. «Les élèves d’établissements privés tels que Darwin, Eastern et Bhujoharry étaient à leur tour touchés par cette crise générale», dit Pradeep Bheem Singh.

 

Dès lors, des rencontres s’organisent après les heures de classe. «Bizin koné ki pou fer», se disent les élèves. «Nous étions inspirés par Martin Luther King et les articles que publiait Week-End sous la plume de l’extraordinaire Mauricien qu’est Ho Chan Fong», souligne notre interlocuteur qui, très vite, se positionne comme chef de file au collège.

 

L’égalité pour tous, l’éducation gratuite, les mêmes facilités à tous et surtout le droit de vote à partir de 18 ans… Voilà les idéaux pour lesquels les élèves sont prêts à se battre. Notre interlocuteur, un des principaux animateurs du Front national pour la libération des étudiants, était très actif.

 

«À l’époque, c’est le bouche-à-oreille qui fonctionnait. Les après-midi, on se voyait à la gare de Rose-Hill et à d’autres endroits pour discuter. Les collégiens du BEC, comme ceux du collège St-Joseph, se sont joints à nous ; nous avons eu le soutien de tous. Le directeur du collège New Eton avait mis l’établissement à notre disposition pour que nous puissions tenir des réunions», se remémore-t-il.

 

«Nous ne ressentions aucune peur»

 

C’est ainsi que la date du 20 mai est arrêtée pour descendre dans la rue. Les élèves venaient de divers endroits, du Quartier Militaire College, du RCC ou encore du QEC à Rose-Hill, tous se mettent à marcher vers la capitale. «Il y avait des chefs de file, des membres de partis politiques, mais aussi des centaines et des centaines de collégiens anonymes avec nous. Nous ne ressentions aucune peur, nous croyions en ce que nous faisions. Nous nous battions pour une cause», martèle Pradeep Bheem Singh.

 

Sur le pont de la Grande-Rivière-Nord-Ouest, la police fait obstacle et empêche les élèves de poursuivre leur route jusqu’à la capitale. «Les policiers ont établi un barrage. Des coups ont commencé à pleuvoir sur les marcheurs. J’ai eu des amis blessés, des voitures et des motocyclettes ont été incendiées

 

Au même moment, des policiers investissent des collèges où il est soupçonné que la rébellion avait commencé. «Au collège New Eton, les policiers sont entrés dans des salles de classe et ont frappé des élèves. Ils ont fait cela dans chaque classe. Pour y échapper, un de mes amis s’est jeté dans le vide à partir du palier où il était. Il a eu une jambe cassée», avance le Health and Safety Practitioner.

 

Pradeep Bheem Singh raconte qu’il s’est fait couper les cheveux et s’est rasé la barbe le lendemain de la grève. «La police me recherchait activement; j’ai changé de look afin que l’on ne me reconnaisse pas

 

Le droit de vote à partir de 18 ans

 

Cependant, les collégiens ont réussi à faire changer les choses à travers cette révolution. En décembre, le premier Premier ministre post-indépendance, sir Seewoosagur Ramgoolam, octroie le droit de vote à partir de 18 ans. Et l’année suivante, en 1976, il annonce l’éducation gratuite pour tous.

 

«Le 20 mai 1975 restera à jamais une date ancrée dans l’histoire du pays. C’est grâce à cette révolution qu’aujourd’hui tous les élèves bénéficient de l’éducation gratuite. Les Mauriciens ne devraient jamais oublier cette date historique», estime Pradeep Bheem Singh.

 

Du QEC à Grande-Rivière

 

Le pont étant bloqué, les élèves venant des hauts font la liaison avec ceux de Port-Louis dans la GRNO.

 

La grève de mai 1975 a vite gagné tous les collèges du pays. Sheila Kumari était, elle, au collège Queen Elizabeth (QEC) à cette époque. De lointains souvenirs de cette ancienne employée du ministère de la Femme, elle parle d’un mouvement spontané qui a commencé par des manifestations à l’intérieur de l’enceinte du collège.

 

«Nous avions eu vent que le collège Royal de Cuerepipe (RCC) était en grève, et la fronde est vite remontée jusque chez nous. J’étais en Lower VI à l’époque. Il est important de faire comprendre que ce mouvement n’était pas planifié, ni organisé. On ne peut parler d’un groupe qui était à sa tête. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que le système éducatif méritait une réforme, et cette grève était le résultat du mal-être qu’on ressentait dans ce secteur depuis longtemps. Le ministre de l’Éducation de l’époque (NdlR, le Dr RégisChaperon) avait parlé d’un ‘mouvement commandité par les communistes’, ce qui était totalement faux.»

 

Effectivement, il a fallu de peu pour que le vase déborde. Une bourse refusée à un élève du collège Bhujoharry, des frais pour participer aux activités sportives et ce fut l’éclatement. «Nous avions eu vent de ce mouvement. Mais d’autres établissements avaient encore d’autres raisons pour se mettre en grève. Les problèmes se sont rajoutés les uns aux autres, ce qui a créé ce mouvement collectif.»

 

À cette époque, la direction du collège a tout fait pour empêcher les filles de se joindre au mouvement, allant jusqu’à accorder des jours de congé, mais en vain. Celles-ci ont vite gagné la rue. Sheila en faisait partie, et elle a entamé la marche vers Port-Louis pour aller rejoindre les grévistes de la capitale.

 

«L’ambiance était chaude,  électrique même...»

 

«Une manifestation de cette ampleur, il y en a eu une à Maurice, et je ne pense pas qu’il y en aura d’autres. Au début, il n’y avait pas de désordre. L’ambiance était chaude,  électrique même. La police était partout. Je ne sais pourquoi, mais je me souviens particulièrement de Coromandel. Leur présence y était plus marquée, mais avant l’arrivée à Grande-Rivière il n’y a eu aucun clash», se souvient Sheila. Le mouvement était composé de pratiquement tous les collèges du centre.

 

Au QEC, les prémices des revendications de cette grève avaient commencé à prendre forme. À un moment, un groupe du RCC avait organisé un concert de rock dans l’enceinte du QEC. Mais ce genre de musique était assimilé à la culture occidentale, qui était pointée du doigt. Le mauricianisme était de plus en plus revendiqué. Un autre groupe de garçons du même collège est venu interrompre ce concert pour imposer la culture locale, le séga. La descente dans la rue a eu lieu quelques jours après.

 

Malgré les grèves dont on est témoin actuellement dans des collèges, un tel mouvement ne se reproduira pas au dire de Sheila. «À l’époque, il y avait des revendications collectives, on défendait des idées aussi. Aujourd’hui, ces collèges font grève pour des raisons propres à eux, ils ne remettent pas le système en question. De ce fait, un mouvement collectif est impossible.»