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Chute de la BAI: des victimes témoignent

10 avril 2015, 19:44

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Chute de la BAI: des victimes témoignent

Le géant est à terre. Mais il a entraîné de nombreux «petits Poucets» dans sa chute. Petites et moyennes entreprises (PME), revendeurs de peinture, mécaniciens, publicitaires, voyagistes, la liste des dommages collatéraux de l’affaire BAI ne cesse de s’allonger. Et pendant que les gros poissons se débattent dans les filets du gouvernement, de petites sardines, elles, s’étouffent, se noient.

 

Parmi ceux qui ont reçu un coup de massue sur la tête : Cora. Cette employée de l’agence Publico a reçu sa feuille de route mercredi. «J’ai perdu mon emploi... J’ai perdu mon emploi», répète-t-elle, sonnée. Du jour au lendemain, sa vie a basculé, martèle-t-elle, d’une voix brisée, à peine audible.

 

«Que vais-je devenir? Qu’adviendra-t-il de ma famille?» Il y a 16 ans, elle rejoignait Marcom Ltd, compagnie détenue par la BAI. Il y a trois ans, celle-ci fusionnait avec Publico. Tout allait bien. Le vent a tourné depuis. Les mauvaises nouvelles ont débarqué en rafale.

 

«Maintenant, il ne reste plus rien»

 

«Ce qui se passe est catastrophique, je suis à court de mots, j’ai du mal à vous expliquer ce que l’on ressent», lâche Philippe Cervello, fatigué, désabusé. Pour cause, le directeur de Publico a dû se séparer de 15 de ses employés. «Nous étions 26, nous ne serons plus que 11...» souligne-t-il. «Après la fusion, la BAI détenait 30% d’actions au sein de la boîte. Ils nous doivent entre Rs 10 à Rs 12 millions. Nous avons eu une très belle année 2014, maintenant, il ne reste plus rien

 

Après deux semaines d’un feuilleton à rebondissements, ajoute-t-il, «nous sommes à terre. Nous n’avons pas eu le choix, nous avons dû licencier». Des mots qu’il répète en boucle, gagné par l’émotion. Désormais, il faudra essayer de refaire surface, de faire face aux créanciers. Histoire de ne pas «mettre la clé sous le paillasson dans un mois. On essaye de tenir, de redémarrer, ça va être difficile, quand je pense à toutes ces familles...»

 

«Nou down moralement»

 

Mahendev Sunassee essaie lui aussi de sauver les meubles. «Cela fait 20 ans que je travaille avec Courts, que je leur livre des meubles», confie ce père de famille de 54 ans. «Zot dwa nou trwa million», poursuit-il dans le même souffle. «Nous avons reçu un chèque de Rs 900 000 vendredi, mé linn bounce. Si fourniser pourswiv nou, kapav al dan prison tou la.»

 

«Nou down moralement.» Le sommeil l’a abandonné, il a l’impression de nager en plein cauchemar. Sa petite entreprise, Promanufacturing Ltd, basée à Plaine-des-Papayes, emploie 15 personnes. Qui passent pas mal de temps, depuis quelques jours, à jouer aux dominos, à «poli, poli, verni bann meb», qui attendent de trouver preneur.

 

Mahendev travaille également avec des sous-traitants, précise-t-il en secouant la tête. Ces ateliers basés à Amaury et Flacq emploient quant à eux six personnes. «Vous n’imaginez même pas la détresse dans laquelle nous sommes.»

 

«Pou bizin riss diab par laké»

 

Fait troublant: «l’ail», il l’a senti depuis septembre. «Nous n’avions jamais eu de problème avec Courts.» Pourtant, depuis octobre 2014, les paiements s’effectuaient au compte-gouttes. «Kifer?» Sollicité pour des explications, les préposés au département de comptabilité «pa dir nanyé. Zot ziss dir atann». Alors Mahendev, aidé de sa troupe, a continué à fabriquer des meubles. Surtout qu’en décembre, il y a trois fois plus de commandes.

 

Depuis quelques jours, la situation est loin d’être commode. Armoires, chaises, tables et lits dorment «dan store». La caisse enregistreuse et les comptes en banque ont la gueule de bois. «J’ai contracté des emprunts, j’ai des factures et des employés à payer, lafin di mwa pe kosté, pou bizin riss diab par laké.»

 

 > Désoeuvrés, les employés de Mahendev Sunnassee s’adonnent 
à des activités autres que la menuiserie...

 

Une rencontre avec le ministre Bholah a bien eu lieu jeudi. «Il a écouté nos doléances, les miennes et celles de la dizaine d’autres PME qui se retrouvent dans le même cas que moi.» Ce que réclament les artisans, ce n’est pas la charité, clame-t-il. Mais une aide du gouvernement. «On a promis une enveloppe de plusieurs milliards pour les PME dans le dernier Budget, il est temps de l’ouvrir.»

 

En attendant, Mahendev a bien essayé de contacter d’autres acheteurs. «Mé zot dir zot déza travay avek lezot menwizié.» Pour tenir le coup, rien de tel que quelques coups de marteau par-ci, quelques coups de vis par-là...

 

«Le gouvernement n’a pas pensé à nous quand il a enclenché la machine de guerre»

 

«Je ne veux rien dire à ce stade», martèle pour sa part Steve (prénom modifié). Parmi ses clients, Iframac, qui appartient également à la BAI. «Ils ont toujours été de bons payeurs. Je ne veux pas compromettre notre relation avec eux.» Chaque mois, il leur livre environ Rs 500 000 de produits, avance-t-il, presque à contrecœur. «Je comprends les difficultés qu’ils traversent, je ne vais pas cracher dans la soupe.» Ce qui arrive, ce n’est pas leur faute, estime-t-il. «Je suis désolé.»

 

Désolé pour lui, certes, mais aussi pour ces milliers d’autres gens, qui sont «victimes», d’une façon ou d’une autre, «de tout ça». Et de conclure, sur un ton rageur : «Visiblement, le gouvernement n’a pas pensé à nous, aux petits gens, quand il a enclenché la machine de guerre

 

Depuis, les petits soldats blessés se ramassent à la pelle.