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Sattar Hajee Abdoula: «Je suis le seul maître à bord»

19 avril 2015, 00:37

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Sattar Hajee Abdoula: «Je suis le seul maître à bord»

Entre l’administrateur et les conservateurs de la BAI, on pensait qu’il y avait de l’eau dans le gaz. À entendre Sattar Hajee Abdoula, c’est franchement la guerre… et il serait en passe de la gagner.

 

Commençons par le début. Comment êtes-vous devenu l’administrateur d’une quarantaine d’entreprises du groupe BAI ?

Dimanche dernier, vers midi, un directeur du groupe m’appelle. «Je sais qu’entre Dawood et toi ça n’a jamais marché. Mais là on a besoin de toi. Je peux passer de voir?» Il a débarqué à la maison, il n’est reparti qu’à 3 heures du matin.

 

Il vous a fallu tout ce temps pour dire «oui» ?

Non, j’ai accepté presque tout de suite. Le conseil d’administration s’est réuni dans la foulée. Ma nomination était faite.

 

Vous vous ennuyez comme un CEO de Grant Thornton ?

Si je m’ennuie ?! Je suis dé-bor-dé !

 

Pourquoi avoir accepté ce bourbier ? 

Ma femme me pose la même question... Je suis un fou, un malade de travail.

 

Celui d’administrateur consiste en quoi ?

Je suis là pour protéger les intérêts de la BAI et de ses filiales. Pour vous, la BAI est un groupe, pour moi ce sont des sociétés indépendantes les unes des autres. J’en ai 42 à administrer pendant 78 jours.

 

Protéger les intérêts des filiales, ça veut dire quoi ?

Déjà, éviter la grande braderie. Il est hors de question de liquider les actifs au détriment des créanciers ou des employés. La Bramer Bank, le tandem Bonieux-Oosman l’a vendue en quelques heures. C’est choquant! Pourquoi cet empressement? Et pourquoi un double chapeau sur la tête de ces messieurs? Administrateur du pôle bancaire d’un côté, conservateur du pôle assurance de l’autre, les deux mêmes personnes! Maintenant, l’administrateur c’est moi, et mes priorités sont différentes.

 

En quoi?

Les conservateurs ont des obligations envers les détenteurs de polices d’assurance. Moi, ma mission première est de protéger les créanciers et les employés. Ils comptent autant que les clients du Super Cash Back Gold. Le plan de MM. Bonieux et Oosman, c’était de liquider les actifs en quatrième vitesse pour rembourser les policy holders. Sauf que la loi ne leur permet pas de vendre, ce pouvoir m’appartient. Pour le dire clairement, les conservateurs ont perdu le contrôle. Ma nomination les a mis hors-jeu.

 

Qu’est-ce qui vous fait dire que les conservateurs ont «essayé de liquider les actifs»?

Je sais qu’ils étaient en contact avec des acheteurs. Ils leur ont même fait signer des non disclosure agreement. Moi, ils m’ont demandé de geler les ventes chez Courts et Iframac. Ils disent que les stocks appartiennent à la Bramer. J’attends toujours les documents qui le prouvent... Tant que je ne vois pas de documents, je considère que ce qui est chez Iframac appartient à Iframac.

 

Est-il exact que Rogers et ENL sont candidats au rachat d’Iframac?

 

J’ai eu les mêmes échos. C’est le monde des affaires, les vautours rôdent... Je vais vous dire une chose: les compagnies de la BAI, évidement qu’il va falloir les vendre. Mais pas n’importe comment, pas à la va-vite, et pas seulement au profit des policy holders. Est-ce qu’un fournisseur qui a placé pour deux millions de produits chez Iframac a moins de droits que celui qui a mis autant dans une police d’assurance? Non. M. Bonieux va devoir s’y faire.

 

Se faire à quoi?

Désormais, je suis le seul maître à bord. Le patron, c’est moi. Jamais dans l’histoire de BAI quelqu’un n’a eu autant de pouvoir que je n’en ai aujourd’hui. Légalement, je suis intouchable pendant 78 jours, c’est la loi. M. Bonieux a voulu être calife à la place du calife, il devra se contenter de sécuriser les actifs. Et encore, des actifs sur lesquels il n’a aucun droit. D’où son malaise.

 

Selon la rumeur, M. Bonieux vous aurait demandé de démissionner...

(Silence)

 

Vous confirmez? 

(Silence)

 

Oui ou non?

C’est vrai. Il m’a demandé de démissionner.

 

Quand ?

Mardi, dans son bureau, en présence de M. Oosman.

 

Vous avez donc refusé... 

Évidemment, nos priorités ne sont pas les mêmes. Notre vision de l’île Maurice aussi. Il a peut-être cru que nous étions restés en 1715.

 

Nous sommes en 2015 et vous avez 2 500 emplois sous votre responsabilité. Pourrez-vous les sauvegarder tous?

C’est l’objectif. Maintenant, il se peut que des coupes dans le personnel soient indispensables. Je pense pouvoir sauvegarder trois emplois sur quatre.

 

Y a-t-il un risque que des employés ne soient pas payés à la fin du mois?

Il y a toujours un risque. Si je réussis à débloquer un peu de fonds pour dédouaner les véhicules d’Iframac, on devrait arriver à payer tout le monde.

 

Quelle est l’enseigne du groupe la plus en difficulté ?

Apollo. Chez Courts ou Iframac, au moins, j’ai du stock à vendre. À l’hôpital, je ne peux pas vendre les patients. Mais Apollo est aussi le business le plus prometteur. J’ai plusieurs offres de reprises, locales et étrangères, ça devrait se faire vite.

 

«Entre Dawood et toi ça n’a jamais marché.» Donc, vous vous connaissez ?

On s’est croisé une dizaine de fois. On ne s’aime pas beaucoup. D’ailleurs, nous n’avons jamais travaillé ensemble. Je suis le seul comptable de ce pays à n’avoir jamais touché le moindre sou de la BAI!

 

Vous l’expliquez comment ? 

Leur façon de faire du business me gêne. BAI est partout, ça n’est jamais très clair, je n’aime pas ça. Cela dit, personne ne m’a encore convaincu que M. Rawat est un bandit.

 

Vous ne croyez pas à la thèse officielle de l’escroquerie ?

Je ne suis pas convaincu.

 

Les trous dans les comptes sont pourtant bien réels...

Je n’en sais rien, je n’ai pas encore mis le nez dans les comptes.

 

Vous avez fait quoi pendant une semaine ?

J’ai réparé les dégâts de MM. Oosman et Bonieux. Ils ont mis la pagaille, il a fallu rassurer tout le monde, les employés, les dirigeants, les fournisseurs, les banquiers.

 

Les milliards évaporés ne vous intéressent pas ?

Je vous l’ai dit, je n’ai pas eu le temps. J’écoute, je lis. On a commencé par évoquer un trou de 25 milliards, puis c’est passé à 5, c’est remonté à 8... Je n’y comprends rien.

 

Un comptable qui ne sait pas compter, c’est original...

C’est incompréhensible je vous dis !

 

M. Bhadain est plus malin que vous ? 

Il a peut-être vu des chiffres que je n’ai pas vus.

 

Ou que vous n’avez pas voulu voir...

Non, non. Les chiffres sont chez BA Insurance, je n’y ai pas accès. Et M. Bhadain ne partage pas ses informations avec moi.Vous voulez que je vous dise? Ce n’est pas mon problème tout ça. J’ai 42 sociétés à gérer, je vais les gérer. Le reste je m’en contrefiche.

 

Pourquoi des compagnies qui tournent à perte depuis des années deviendraient-elles rentables et donc vendables?

Peut-être qu’elles étaient mal gérées. Peut-être qu’il y avait des dépenses farfelues, que certains se servaient effectivement dans la caisse. Mais je ne peux rien affirmer tant que je n’ai pas vu les comptes.

 

Le Ponzi, info ou intox ?

Dans un Ponzi, il n’y a pas d’actifs. Chez Iframac j’ai vu des voitures, chez Courts il y avait des meubles. Le problème, c’est le Super Cash Back Gold. Soit les Rawat ont placé l’argent dans de mauvais investissements, et dans ce cas ce sont de mauvais businessmen, comme on en trouve partout. Soit ils ont détourné des fonds pour s’offrir des yachts et des jets, et là, ce sont des escrocs. Mais de Ponzi, pour l’instant, je n’en vois pas.

 

Au bout de 78 jours, qu’est-ce que BAI attend de vous ?

Ils attendent que je leur dise voilà, tel business ne tient pas la route, on ferme. Par contre, celui-ci est vendable, et pour bien le vendre il faut s’y prendre de cette façon. Prenons l’exemple d’Iframac.Vous avez quatre activités: Courts, Mercedes, Mitsubishi, Peugeot. Il se peut qu’il y ait un repreneur pour le tout. Il se peut aussi que ce soit plus avantageux de vendre chaque entité séparément, que la valeur des «morceaux» soit supérieure à celle du gâteau. C’est précisément ce que l’on attend de moi: créer de la valeur.

 

Combien serez-vous payé ?

Aucune idée. «Dawood n’a pas un sou à te donner», c’est la première chose qu’on m’a dite en me proposant le job. Si je trouve de l’argent dans les opérations, je serai payé, c’est le deal.

 

Payé en millions ?

J’espère bien ! Ça fait quatre jours que je ne dors pas. Je quitte le bureau à 5 heures du matin.

 

Vous faites ce job pour l’argent ?

Je fais aussi ce job pour l’argent. Ma motivation première, c’est le challenge. Diriger 42 sociétés pendant deux mois et demi, c’est un challenge de fou, j’aime ça, je veux savoir si j’en suis capable.

 

D’après vous ? 

J’en suis capable.