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Jean-Luc Mootoosamy: Ondes positives…

18 avril 2015, 10:12

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Jean-Luc Mootoosamy: Ondes positives…
 
Début janvier un carjacking par des hommes armés de kalachnikov avait lieu à quelques mètres de la radio qu’il dirige à Bangui, capitale de la République centrafricaine. Il a aussi dû composer avec des tentatives d’enlèvement visant des expatriés. Et puis, il y a cette autre fois où des miliciens ont fait irruption dans la rédaction en traînant un homme en sang avec une blessure béante à la tête : ils venaient de le tabasser pour avoir volé dans un marché…
 
 
Ce ne sont là que des bribes du quotidien de Jean-Luc Mootoosamy. Bientôt onze ans que ce journaliste de 41 ans originaire de Rose-Hill fait le va-et-vient entre Lausanne, en Suisse – où il est installé avec sa petite famille –, et des zones de conflit en Afrique.
 
 
Exerçant pour la Fondation Hirondelle, organisation suisse qui crée et soutient sans parti pris des médias dans des zones de conflit, Jean-Luc Mootoosamy a participé à la mise en place des radios au cœur des tensions en République démocratique du Congo (RDC), au Soudan, au Soudan du Sud, et depuis février 2014 en République centrafricaine. Il y travaille pour la seule radio à couverture nationale, Ndeke Luka (80 % d’audience au dernier sondage).
 
Dans ce pays, comme dans les autres où il s’est rendu, la radio est l’une des seules institutions qui jouit encore de la confiance des habitants – la télé, elle, n’existe presque pas. C’est d’ailleurs vers la radio que la population se tourne avant d’aller à la police. Le principal défi, c’est de diffuser des faits uniquement. Car dans ces zones de conflit, l’erreur peut avoir des conséquences désastreuses.
 
 
C’est la passion du métier qui a permis à Jean-Luc Mootoosamy de s’adapter à ce quotidien entre la vie et la mort, lui qui a connu le confort des salles de rédaction  mauriciennes après plusieurs années d’études en France. La radio, ce fan de Tintin y a pris goût il y a 28 ans, alors qu’il n’avait que 13 ans.
 
 
Aujourd’hui, son métier, c’est son meilleur ami, son sérum. Toutefois, avoue-t-il, il doit beaucoup à sa femme et à sa fille de 6 ans et demi. «Sans leur soutien, je ne pense pas que j’aurais pu faire ce travail comme je le fais. Ma base, c’est ma famille. Sinon je serais comme une espèce de feuille morte qui se pose, puis qui va ailleurs.»
 
 
Son aventure africaine commence en 2004, un an après sa démission de Radio One – où il est le tout premier responsable de l’information et de la rédaction de la station de la rue Brown-Séquard. Pendant trois mois, Jean-Luc Mootoosamy forme une centaine de journalistes de radios communautaires en RDC.
 
 
Ce projet commun de l’Organisation des Nations unies (ONU) et de la fondation Hirondelle vise à reprendre les programmes de Radio Okapi, station francophone à la base qui diffuse aussi en quatre autres langues. Son rôle : s’assurer que les informations produites sont de bonne qualité, à l’image de celles de Radio Okapi.
 
Par la suite, Jean-Luc Mootoosamy accepte la proposition de la fondation d’intégrer Radio Okapi comme l’un des chefs d’antenne. Il y restera deux ans. En 2006, il rentre en Suisse pour être affecté au siège de la fondation. Le journaliste prend alors la  responsabilité d’un nouveau projet, toujours en partenariat avec l’ONU. Ce projet qui a pour nom Radio Miraya est basé au Soudan. En sus de participer à sa création, il en gérera le contenu jusqu’à 2014. Ce qui lui vaudra plusieurs déplacements dans ce pays et de vivre l’indépendance du Soudan du Sud.
 
 
Puis, en février 2014, changement de cap. Direction : la République centrafricaine où Jean-Luc Mootoosamy devient le Chargé de Programme de l’ensemble des activités de la Fondation Hirondelle incluant la gestion de Radio Ndeke Luka (se traduisant par oiseau de la chance en français, NdlR).  Ses nouvelles responsabilités au sein de cette station qui a célébré ses 15 ans en mars dernier le conduisent, rien que l’année dernière, cinq fois dans ce pays.
 
Son expérience dans ces zones de conflit fait qu’aujourd’hui Jean-Luc Mootoosamy ne voit plus le monde de la même manière. «Il n’y a pas une Afrique mais plusieurs. Tous ces pays ont chacun leur spécificité, leur beauté, leurs forces et faiblesses. Et en même temps, leur destin est lié.»
 
Par contre, poursuit-il, les principaux médias francophones démontrent une méconnaissance des réalités durant certains conflits. «Ce qui se passe à Bangui, qui est une ancienne colonie française, intéresse la France. D’où la présence régulière des confrères français. Des éléments diffusés ne reflètent pas, voire déforment la complexité des conflits que nous couvrons. Je ne jette pas la pierre, car je suis conscient des contraintes du métier en termes d’espace, de rapidité dans la diffusion sans parler de la crainte d’être grillé par la concurrence», fait remarquer le journaliste.
 
Il précise que le conflit en République centrafricaine est politique, pas religieux. Or, «beaucoup de médias en font un conflit religieux entre musulmans et chrétiens». C’est loin d’être le cas sur le terrain, dit-il. «Jamais on n’a vu de distribution d’armes dans les lieux de culte à Bangui. Cette schématisation n’aide pas à la résolution des conflits mais au contraire aggrave la situation. On nous renvoie l’image d’un continent déshumanisé, de conflits, de mort, alors que j’ai rarement vu autant de vie, d’humanité, parmi ces gens qui luttent pour survivre», souligne le journaliste.
 
Par-dessus tout, Jean-Luc Mootoosamy se dit fier d’être Mauricien. «Là où j’ai été, les gens me demandent comment Maurice a fait pour réussir son indépendance. De ce que j’ai vécu en Afrique, je peux dire que ce vivre ensemble à Maurice est vraiment fragile. Certains devraient comprendre qu’il suffit de très peu de choses pour que tout s’effondre.» C’est la raison pour laquelle il dit sa fierté de voir l’ancien président de la République Cassam Uteem être désigné envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon au Burundi. Mais il aurait été doublement heureux de voir, au niveau diplomatique, un Mauricien faire partie d’un panel dans une crise comme celle de la République centrafricaine.
 
«Nous sommes un grand pays. Notre diplomatie a les moyens et la légitimité d’aller jusqu’à faire entendre sa voix, son modèle de vivre ensemble et jusqu’à proposer des solutions. Nous n’y pensons pas, mais Maurice pourrait contribuer davantage et être beaucoup plus présent sur ce continent au potentiel énorme. Car la croissance est en Afrique. Les Chinois et d’autres pays y investissent», soutient le journaliste.