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Marc Hein: «Le problème de la BAI était un cauchemar permanent durant ma présidence»

10 avril 2015, 03:12

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Marc Hein: «Le problème de la BAI était un cauchemar permanent durant ma présidence»

Le Premier ministre sir Anerood Jugnauth et le ministre des Finances Vishnu Lutchmeenaraidoo associent les opérations de la BAI à des Ponzi schemes. Cela veut-il dire que la FSC, dont vous étiez le président, a toléré l’existence d’un système d’investissement illicite pendant plusieurs années ?

Je ne connais aucun texte de loi à Maurice ou ailleurs qui donne une définition légale de ce qu’est un système Ponzi. Il faut donc se contenter de ce que Google, le géant du marché de l’Internet, nous apprend ! Le mot a tellement été déformé au fil des années qu’il peut avoir plusieurs définitions.

 

Je ne puis dire que toutes les assurances de la BAI étaient associées à un Ponzi scheme. Il se peut, par contre, que certains de leurs agissements présentaient, depuis peu, certaines caractéristiques de ce qu’on pourrait appeler un Ponzi.

 

Se battre sur la définition de ce mot est maintenant une démarche dépassée. Toutes les énergies devraient plutôt se concentrer sur les malheureux assurés de la BAI, les clients de la Bramer et les employés de ces deux compagnies. Je ressens beaucoup de peine pour tous ces gens qui passent par des moments pénibles.

 

La FSC est perçue comme un régulateur passif, qui n’a rien fait pour stopper une activité qui comportait des risques énormes pour l’économie mauricienne. Qu’en est-il réellement ?

 

Lorsque j’ai été nommé à la présidence de la FSC en mars 2012, le problème de la BAI était déjà à l’agenda. Il perdurait depuis des années. Il fallait trouver des solutions. En collaboration avec les décisionnaires de la FSC, je me suis investi corps et âme en ce sens. Je n’ai à rougir d’aucune décision prise ou non durant ma présidence.

 

Le 20 mai 2013, la FSC, après de longues consultations, a établi de nouveaux règlements et amendé les Insurance Rules de 2007. L’objectif était de mieux contrôler les investissements de toute compagnie d’assurances dans ses filiales. Nous avons eu le courage d’amender ces règlements qui dataient de 2007. C’est cela qui a finalement forcé la BAI à se reprendre en main.

 

Les compagnies d’assurances avaient jusqu’à juin 2014 pour se conformer aux nouveaux règlements. En novembre 2013, à l’Assemblée nationale, Paul Bérenger, alors leader de l’opposition, posait une question par le biais d’une Private Notice Question (PNQ) sur un conglomérat du monde des assurances étroitement lié à une banque commerciale. La PNQ était adressée à Xavier Duval, alors ministre des Finances. C’étaient évidemment la BAI et la Bramer qui étaient visées.

 

Cependant, aucun nom n’a été mentionné. C’était pour ne pas faire de tort aux deux compagnies et pour éviter de provoquer une psychose nationale. C’est dire que le consensus général à cette époque était de forcer la BAI et la Bramer à se conformer aux règlements dans l’intérêt de leurs assurés et de leurs clients. Il est important de comprendre cela.

 

Personne, à ce moment-là, ne voulait porter le coup de grâce au Groupe BAI. On voulait le sauver. Et cela, malgré lui. Paul Bérenger a alors ouvertement félicité la FSC d’avoir enfin «pris le taureau par les cornes», d’avoir établi de nouveaux règlements et d’être parvenu à forcer la BAI à se plier aux normes établies.

 

Tant de mesures ont été prises. Comment, alors, expliquer que la gestion de la BAI et de la Bramer Banking Corporation ait, à ce point, échappé à la vigilance de la Banque centrale et de la FSC ?

 

On était parfaitement conscient que “nobody is too big to fail”. Le Groupe BAI était énorme. Il pouvait aussi faire faillite. Nous étions bien conscients du précédent dans le style Lehman Brothers aux États-Unis. Aux yeux de bon nombre de personnes, il était improbable que Lehman Brothers puisse jamais faire faillite. C’est pourtant ce qui s’est produit.

 

On essayait en fait de remettre sur les rails un train qui déraillait. Il fallait forcer la BAI à diversifier ses investissements et à les gérer en «bon père de famille». Si un médecin ou un hôpital vous prend en charge, c’est pour vous soigner n’est-ce pas ? Pas pour vous euthanasier !

 

Le problème de la BAI était un cauchemar permanent durant ma présidence. Cependant le feeling du gouvernement, du conseil d’administration et des hauts cadres de la FSC, était d’essayer de sauver la BAI. C’était surtout dans le but de sauver les assurés.

 

Nous avions en tête tous ces gens qui comptaient sur la BAI pour jouir d’une retraite confortable. On pensait à tous ceux qui comptaient sur leur police d’assurance à la BAI au cas où leur maison prenait feu ou était détruite par un cyclone. Il y avait à cette époque environ 110 000 assurés à la BAI. Cependant, je ne peux répondre pour la Banque de Maurice pour ce qui est de la Bramer pendant ces années-là.

 

Que s’est-il passé pour que la Bramer Bank soit placée sous la férule d’un liquidateur et la BAI sous le contrôle d’un conservator ?

 

Je ne suis plus président de la FSC depuis presque un an. Je comprends que les filiales de la BAI ont financièrement piqué du nez récemment. C’est ce qui a rendu la situation encore plus difficile à redresser. La Bramer a, de son côté, connu des problèmes de liquidités depuis le début de l’année. Dès que la Bramer est tombée, il était clair que la FSC devait prendre des actions contre la BAI.

 

Si le rôle du receiver est plutôt connu, celui du conservator en droit des assurances l’est moins. Son rôle selon l’article 107 de l’Insurance Act consiste à prendre charge de l’entreprise et de repérer les mesures nécessaires dans le but de préserver et de protéger les actifs de l’assurance. Il doit collecter tout argent dû à la BAI, recouvrer les avoirs de la compagnie à Maurice et à l’étranger et établir s’il y a eu des fraudes ou pas.

 

Qu’en est-il du rôle des vérificateurs des comptes de la BAI et de la Bramer Bank concernant la santé financière de ces compagnies dans toute cette affaire ?

 

Je m’interroge au sujet des audits de ce groupe. Je ne pense pas que les auditeurs aient jamais tiré la sonnette d’alarme suffisamment fort pour interpeller la FSC ou le gouvernement quant aux dysfonctionnements de la compagnie.

 

La FSC se basait en grande partie sur les comptes audités soumis par la BAI en vue de faire un état des lieux de la santé financière du groupe. Il n’est pas évident pour la FSC d’aller auditer les rapports des auditeurs externes d’un groupe aussi complexe que la BAI, avec son enchevêtrement de subsidiaires.

 

Ce point a été soulevé par le Fonds monétaire international dans un rapport rendu public. Ce rapport précise que la licence bancaire de la Bramer a été accordée par la Banque de Maurice sans consultation préalable auprès de la FSC, alors que la BAI faisait l’objet d’un monitoring strict de la part de la FSC. Il me semble évident que l’opinion de la FSC aurait dû avoir été recherchée.

 

Finalement, il est sûr que si les investissements de la BAI dans des sociétés comme Courts, Iframac, Ireko, etc. avaient été profitables, la situation aurait été différente.

 

Quelles sont les répercussions probables de cette affaire sur notre réputation à l’étranger ?

 

La réputation de Maurice peut en souffrir. Cependant, à l’étranger, les investisseurs sont conscients que c’est surtout un problème local, même si la BAI a des avoirs hors des frontières mauriciennes. Ce qui est important, c’est la façon dont la crise est gérée par le gouvernement, par la Banque de Maurice, par la FSC et par les Receivers et Conservators.

 

Une immense crise sociale a été évitée quand le gouvernement a accepté, en premier lieu, de garantir les clients de la Bramer quant à leurs placements à la banque et, en deuxième lieu, d’en faire autant pour ce qui est des assurances vie de 135 000 personnes assurées à la BAI.

 

Par contre, je ne sais pas combien tout cela va coûter au gouvernement et indirectement aux contribuables. Je ne sais s’il y a eu des malversations. J’espère bien qu’on le saura très bientôt. Si c’est le cas, les coupables devront être punis.

 

Que faudra-t-il faire pour limiter les dégâts collatéraux sur l’image du secteur financier ?

 

Les autorités compétentes devraient initier un vaste programme de communication sur ce qui se passe. Il y a lieu de rassurer les gens. La priorité devrait consister surtout à retracer et recouvrer les avoirs de la BAI et de la Bramer.