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Vient de paraître: Marie-Thérèse Humbert, lever l’ancre de l’encre des âmes

8 avril 2015, 14:17

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Vient de paraître: Marie-Thérèse Humbert, lever l’ancre de l’encre des âmes

Pas facile l’épreuve de la première phrase, surtout lorsqu’elle s’étale sur 11 lignes. Renouer le contact avec Marie-Thérèse Humbert  après 15 ans d’absence romanesque demande un temps d’adaptation. Son nouveau roman, Les désancrés, vient de paraître dans la collection Continents noirs, chez Gallimard.

 

Entre-temps, l’auteure a vécu, mais pas uniquement des jours heureux. Les désancrés est dédicacé à des personnes qui l’«ont relevée et portée quand [elle] était à terre». Mais ne vous y trompez pas car l’autofiction n’est pas pour Marie-Thérèse Humbert. «Mon besoin essentiel, en écrivant, n’était ni de témoigner, ni de dénoncer», mais de raconter une saga familiale sur plusieurs générations, où «chacun des personnages de la toile (est) happé dans l’orbite d’une folle». Chacun avec une fêlure, une «forme de souffrance (...) qui suinte des profondeurs de l’âme».

 

La folle, c’est Jane Harcourt, riche héritière d’un propriétaire terrien et homme d’affaires de Louisiane. Elle voit le jour en 1913 dans ce milieu décrit comme étouffant, régi par les préjugés de classe et de couleur. Son père, un coureur de jupons invétéré, a toujours évité de croiser le regard de Jane. Et ne s’en est jamais vraiment occupé. Le jour de ses 18 ans, elle s’enfuit de chez elle. Par la suite, Jane fera deux mariages, dont le premier avec un musicien de jazz noir. Son second mari partira sans donner de nouvelles.

 

MOUVEMENT PERPÉTUEL

 

Sa folie, c’est le mouvement perpétuel. À peine installée quelque part, elle veut aller ailleurs. À la fin, dans la luxueuse maison de retraite où elle vit, Jane est toujours en train de marcher. Marcher jusqu’à l’épuisement, marcher sans savoir où aller, mais aller ailleurs. Celle qui veille sur elle, c’est Abigail Dodds, la fille de la cuisinière. Celle qui a pris sa revanche sur le sort en devenant un écrivain célèbre ; qui fait tout pour préserver son anonymat. Abigail Dodds a eu une fille avec le père de Jane, mais elle en a toujours caché l’existence.

 

Sous la plume de Marie-Thérèse Humbert, cette trame n’a rien de linéaire. L’auteur bouscule à loisir le temps et l’espace. Pour commencer par la fin. Par «le dehors de l’après, on pourrait dire l’éternité». Dans un avertissement, l’auteur prévient le lecteur. Ce nouveau roman est un «objet dont la structure et le contenu, sensiblement différents de ceux de [ses] ouvrages (précédents), pourraient bien le déconcerter». Un volumineux roman – plus de 600 pages – en quatre parties, qui s’ouvre sur un «vestibule».

 

La première image de cette fin de cycle est celle d’une ferme «tombée en déshérence» Au domaine de l’Étoile. Voilà qui a une consonance particulière pour le lecteur mauricien. De leur Louisiane natale, les personnages sont transplantés dans l’île de Vésania. L’île de nulle part, perdue au milieu de l’océan, l’île dont on n’est pas sûre qu’elle existe.

 

Certes, les noms de lieux sur cette île rappellent Maurice. On y croise Riambel, Cap Malheureux, un phare à La Vigie, entre autres. Mais comme l’auteur nous précise que vésanie veut dire folie, autant dire qu’il ne faut même pas penser au jeu des ressemblances. L’île où s’amarrent les désancrés pendant sept ans, au milieu des années 1960, tient autant du mirage que de la reconstruction romanesque. Faut-il rappeler que Marie-Thérèse Humbert récuse l’étiquette d’auteur mauricien, préférant le descriptif d’auteur né à Maurice ?

 

Passer d’un endroit à un autre, c’est aussi changer de narrateur, à savoir de point de vue. Le lecteur doit être à l’affût de signes tissés dans un réseau d’oppositions dans des phrases qui arrêtent l’oeil, forçant l’attentive relecture pour en apprécier la poétique. Exemple, quand Jane découvre sa voix de chanteuse, c’est d’abord dans sa tête. «Elle chantait de tout le corps, les yeux fermés et la bouche close.» Le lecteur est invité à guetter les signes. Comme cet «oiseau appariteur de l’Invisible».