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Brian Glover, Président de l’Equal Opportunities Commission (EOC) «M. Gayan risque de payer cher son arrogance»

5 avril 2015, 18:02

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Brian Glover, Président de l’Equal Opportunities Commission (EOC) «M. Gayan risque de payer cher son arrogance»

Se faire «flinguer» au Parlement, on le vit comment?
J’ai eu envie d’en sourire mais en tant que républicain, je suis déçu. Je trouve assez peu glorieux qu’un ministre se serve du Parlement pour régler des comptes personnels. C’est d’autant plus mesquin que M. Gayan bénéficie d’une immunité parlementaire. Il attaque les gens par-derrière quand ils ne sont pas là pour se défendre. Cette parade de bas étage ne l’honore pas. Et elle ne cadre pas avec la volonté du Premier ministre de laisser travailler les institutions.

 

Ce n’est pas la première fois qu’un ministre vous tombe dessus…
Mais c’est la première fois qu’un ministre piétine l’Equal Opportunities Commission. Lorsqu’on a convoqué M. Sik Yuen, il ne s’est pas caché, il est venu s’expliquer devant nous. M. Gayan, lui, choisit de se répandre au Parlement et aux Casernes centrales. Pourquoi pas, mais après s’être expliqué devant la commission. 

 

Il estime que vous êtes tenu par la confidentialité, d’où sa plainte.
Je vois les choses différemment. Depuis trois ans, je communique à tout-va. C’est un choix réfléchi : j’estime que le meilleur moyen de lutter contre les discriminations est de les exposer au grand jour. On ne change pas les mentalités avec des discours philosophiques. Quand l’intérêt public est en jeu, la transparence doit primer. Or M. Gayan semble être allergique à la transparence.

 

La police vous a-t-elle convoqué ?
Non. Si la police pense que j’ai commis une arrestable offense, surtout, qu’elle ne prenne pas de gants. Qu’elle fasse son travail et vienne m’arrêter. 

 

Venons-en au fait, les trois enquêtes sur M. Gayan. Que lui reprochez-vous ?
La première enquête concerne un article de presse (NdlR, une chronique parue le 10 mars 2014 dans l’express) dans lequel M. Gayan accuse le ministère de la Sécurité social de discrimination politique. Sous le régime de Mme Bappoo, insinue-t-il, les Senior Citizens Associations de la circonscription n°16 ont été favorisées.

 

L’avez-vous lu, cet article ?
Évidemment !

 

M. Gayan va plus loin. Il vous tombe dessus : «Senior Citizens Associations do not have and cannot expect to have any hope of being treated equally by the Equality Commission which has developed a fondness for communiques», écrit-il.
C’est précisément pour cela qu’une enquête a été ouverte le jour même de la parution.

 

Et pourquoi cette histoire ressort aujourd’hui ?
La commission a cherché à vérifier les dires de M. Gayan, cela a pris un peu de temps. Au final, le ministère de la Sécurité sociale est venu avec des documents qui démentent son propos.

 

Vous vous attendiez à ce que le ministère s’accuse ?
Attendez, ce n’est pas fini. En janvier dernier, après les élections donc, le ministère nous a fait parvenir d’autres documents, plus complets. Avec la même conclusion : les propos de M. Gayan sont infondés.

 

Le ministère de la MSM Fazila Daureeawoo conclut que M. Gayan a écrit des bêtises ?
Exactement.

 

La suite ?
Nous allons probablement faire suivre le dossier au Directeur des poursuites publiques. À lui de juger s’il y a matière à poursuite.

 

Pourquoi «probablement» ?
Avant, il faut entendre M. Gayan. Peut-être nous dira-t-il que c’est le ministère de la Sécurité sociale qui ment. Peut-être a-t-il d’autres documents, je n’en sais rien, puisqu’il n’a pas jugé utile, vendredi, d’honorer sa convocation devant la commission. 

 

Il a fait savoir, par le biais de son avocat, qu’il bouderait vos convocations jusqu’à ce que la police boucle l’enquête vous concernant…
M. Gayan veut m’intimider. Il perd son temps. Avec moi, ce genre de méthode ne prend pas. Au contraire, cela me motive davantage. L’adversité, j’adore ça (large sourire). Ce qui m’inquiète, c’est le signal envoyé aux autres institutions. Tu m’attaques, je t’envoie la police… Il faut que quelqu’un explique à M. Gayan qu’une démocratie ne peut pas fonctionner comme ça.

 

Les deux autres enquêtes concernent Vijaya Sumputh…
Dans les deux cas, il s’agit de savoir si cette dame a été favorisée en raison de sa proximité avec le ministre Gayan. Sur sa nomination à la Mauritius Post and Cooperative Bank (MPCB), je n’ai pas grand-chose à vous dire. L’enquête a été ouverte lundi, les investigations ne font que commencer. Sa nomination au Trust Fund for Specialised Medical Care (NdlR, comme directrice exécutive) est plus intéressante.

 

Qu’est-ce qui vous intéresse ?
Déjà, il y a un pattern récurent. Quand M. Gayan était ministre du Tourisme, Mme Sumputh avait été nommée à la Tourism Authority. Deuxièmement, selon nos informations, ils sont partenaires en affaires. Ce qui nous intéresse aussi, c’est la défense de M. Gayan, qui se dédouane en affirmant que c’est le Conseil des ministres qui a nommé Vijaya Sumputh. Or, ce n’est pas ce que dit la loi. Le texte est clair : l’Executive Director, donc Mme Sumputh, est nommée par le board du Trust Fund, et cette décision est «subject to the approval of the minister».

 

Vous pensez que M. Gayan cherche à vous enfumer ?
C’est possible. Je le saurai quand j’aurai pris sa déposition.

 

Comment comptez-vous procéder ?
D’abord, nous allons convoquer le board du Trust Fund. Nous aimerions savoir comment le nom de Mme Sumputh leur est venu en tête. Savoir s’ils ont fait un appel à candidatures et, le cas échéant, comment la sélection s’est faite.

 

Selon vous, M. Gayan ment-il en disant que c’est le Conseil des ministres qui a procédé à cette nomination ?
À ce stade, je ne peux pas trancher. Différents types de papiers sont soumis au Conseil des ministres. Certains sollicitent une décision, d’autres se contentent d’informer le Cabinet, qui prend note (il appuie). Dans ce cas, c’est malhonnête de venir rejeter la responsabilité sur ses collègues.

 

M. Gayan affirme que Vijaya Sumputh a toutes les compétences requises pour ce poste. Qu’est-ce qui vous permet d’en douter ?
Ce n’est pas la question. Je connais Vijaya Sumputh, on s’est côtoyé quand j’étais au barreau, elle a d’énormes compétences. Comprenez bien une chose : ce n’est pas elle la coupable dans cette histoire. Son seul malheur, c’est d’avoir accepté un poste dans des circonstances douteuses.

 

La MBC n’est pas avare en temps d’antenne à votre égard. Comment l’interprétez-vous ?
Comme un signe très positif de renouveau démocratique. Quand un ministre est mis en porte à faux, il n’a plus le monopole de l’image. C’est un très gros changement par rapport à l’ancien régime.

 

Vous avez des amis au gouvernement, n’est-ce pas ?
Oui.

 

Que vous disent-ils sur cette affaire ?
Rien. Personne ne m’en a parlé et je n’en ai parlé à personne.

 

Vous semblez prendre goût à défier les puissants. C’est votre façon d’exister ?
(Ferme) Je ne suis pas là pour défier qui que ce soit mais pour ouvrir des enquêtes dans le cadre des pouvoirs que me confère la loi.Ça, c’est le premier point. Deuxièmement, plus une personne a des fonctions importantes, plus elle un devoir d’honnêteté et de transparence. C’est comme cela que je vois les choses. Je me fiche de défier les puissants, je reste concentré sur ma mission qui consiste à faire progresser l’égalité des chances.

 

Cette mission n’est pas incompatible avec un certain goût pour la lumière…
Je veux changer les mentalités. Je veux que les Mauriciens retrouvent confiance dans les institutions. Ce n’est pas en me cachant dans l’obscurité d’un bureau que je vais y arriver. Il ne s’agit pas d’attirer la lumière, il s’agit d’agir, de créer du buzz qui réveille les consciences.

 

Votre dernier buzz, Michael Sik Yuen, s’est terminé par un gros pschitt…
Nous avions une bande sonore mais aucun témoin n’a accepté de témoigner devant le tribunal. Je ne peux pas y traîner les gens de force.

 

Au final, on peut se demander si cette commission ne fait pas des ronds dans l’eau…
Ça, c’est votre opinion.

 

Ce sont des faits : aucun gros poisson n’est jamais tombé dans vos filets.
Eh bien moi je vous dis que de gros poissons tomberont très bientôt.

 

Une autre chose peut chiffonner : auriez-vous l’indignation à géométrie variable ?
Développez…

 

Quand votre ami Navin Ramgoolam faisait nommer le sien à la MPCB, cela vous a-t-il posé problème ?
Si vous parlez de Rajiv Beeharry, sa nomination à la MPCB est antérieure à la création de la commission.

Plus récemment, le père de Roshi Bhadain et le fils de Raj Dayal sont venus prêter main-forte à la fonction publique. Le champion de l’égalité des chances s’en émeut-il ?
Le cas Gayan est différent, il s’agit d’une nomination dans un organisme qui tombe directement sous son ministère. Ce n’est pas le cas pour MM. Badhain et Dayal que je sache.

 

Vous n’avez jamais caché votre sensibilité travailliste. Pourtant, vous avez survécu au changement de gouvernement. Vous l’expliquez comment ?
Anerood Jugnauth avait prévenu : ceux qui ne sont pas compétents pou lev pake ale, les autres resteront. Il faut croire que je tombe dans la deuxième catégorie, en toute humilité (sic).

 

Depuis longtemps, vous réclamez des pouvoirs accrus. L’Alliance Lepep, dans son manifeste électoral, s’est engagée à amender la loi. C’en est où ?
J’attends que l’on revienne vers moi. Aussitôt le nouveau gouvernement installé, j’ai écrit au Premier ministre pour lui expliquer la nécessité de ces changements, avec une copie à M. Duval et à l’Attorney General. Je n’ai pas encore eu de retour, ce que je peux comprendre, le gouvernement avait d’autres chats à fouetter.

 

Mais le temps presse, il ne vousreste qu’un an de mandat…
Si ces changements interviennent après mon départ, je n’en ferai pas une maladie. Cela profitera au prochain président de la commission. Au moins je n’aurais pas gueulé pour rien pendant quatre ans.

 

Vous ne rempilerez pas pour un nouveau mandat ?
Ce n’est pas à moi de demander un renouvellement, c’est au gouvernement de me l’offrir. Je verrai ensuite si j’accepte ou pas.

 

Ça aussi, en toute humilité ?
Bah oui ! Ce serait d’ailleurs une bonne chose qu’il y ait un appel à candidatures. La commission doit montrer l’exemple.

 

Si c’est le cas, serez-vous candidat ?
Seulement si la commission dispose de pouvoirs plus larges.

 

Rejoindre un jour le Parti travailliste, est-ce toujours un projet ?
Non. Faire de la politique est un projet, rejoindre le Parti travailliste n’en est plus un. Ce parti n’a plus de leadership, il ne va nulle part. M. Boolell est quelqu’un d’extrêmement sympathique mais je m’attendais à ce qu’il s’affirme un peu plus.

 

Comment va votre amitié avec M. Ramgoolam ?
Après l’épisode de l’année dernière, son silence le plus total, le mot amitié appartient au passé.

 

Il n’a pas retrouvé votre numéro de téléphone ?
Non et avec le recul, c’est tant mieux. (NdlR, avant les dernières élections, Brian Glover avait confié sa déception de ne pas faire partie de l’alliance PTr-MMM : «Je m’y suis préparé parce que le Premier ministre me l’a demandé. Après m’avoir répété durant des mois qu’il comptait moi, Navin Ramgoolam m’a ignoré sans la moindre explication», déclarait-il).

 

Revenons à «l’affaire Sumputh». Et si cela terminait en eau de boudin ?
Moi, je suis serein. Je connais le Premier ministre, je sais que c’est un homme de parole. Il s’est engagé à respecter les institutions, il le fera. M. Gayan, lui, a du souci à se faire. S’il persiste avec son arrogance, il risque de le payer cher.

 

C’est une menace ?
C’est un constat. M. Gayan ne pourra pas continuer longtemps à faire de la politique comme ça. Mépriser à ce point les engagements de tout un gouvernement, c’est intenable. Sa stratégie de représailles est un très mauvais signal. Gare au retour de manivelle…

 

C’est votre bouclier pour gagner votre immunité ?
Vous pensez que s’attaquer à un Senior minister vous donne une immunité ?

 

Vous en pensez quoi, vous ?
Je ne cherche aucune immunité. Mon travail consiste à faire tomber les passe-droits, pas à en créer.