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Steven Obeegadoo, membre du bureau politique du MMM «Pourquoi le MMM va dans le mur»

29 mars 2015, 10:35

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Steven Obeegadoo, membre du bureau politique du MMM «Pourquoi le MMM va dans le mur»

Je suis navré, on va devoir faire les poubelles…

Les poubelles ?

 

Pour Paul Bérenger, tout est à jeter dans le Budget…

C’était une réaction à chaud. Pour moi, il y a du bon et du moins bon. Ce qui me plaît dans ce Budget, c’est que certaines idées sont imprégnées de l’ADN du MMM. C’est bien normal, Vishnu Lutchmeenaraidoo y a passé dix ans. Il y a un an, il était encore président de la commission économique. Un partage plus juste des richesses, une rupture avec la politique ultra-libérale des travaillistes, tout cela est excellent. Savez-vous d’où ça vient ? D’un document présenté par Vishnu Lutchmeenaraidoo lui-même lors du dernier congrès-anniversaire du MMM…

 

Vous allez réclamer des droits d’auteur ?

Je me contente de relever l’inspiration militante de certaines propositions. La place de choix accordée aux PME, l’interdiction des sacs en plastique, le plan Marshall contre la pauvreté, l’offensive contre les jeux de hasard, la transparence dans l’octroi des terres de l’État. Ces propositions sont aussi celles du MMM, je suis ravi de les voir dans le Budget. Le MSM a été notre allié de 2012 à 2014, nous avions défini des positions communes,c’est logique qu’elles ressurgissent. Il y a aussi quelques nouvelles mesures très intéressantes, comme le soutien à l’agriculture bio. Le défi est maintenant dans la mise en oeuvre. L’opposition y veillera.

 

Tout vous a plu ?

Non. Ce Budget comporte des absences. Il ne propose rien contre les inégalités de revenus qui, pourtant, s’accroissent. Vishnu Lutchmeenaraidoo fait l’impasse sur la politique salariale. Il n’y a pas eu un mot dessus. Deuxième faiblesse, la lutte contre le chômage des jeunes. C’était une priorité du discours-programme. Le gouvernement avait annoncé la création de 15 000 emplois par an, la mise sur pied d’une Agence nationale de l’emploi et la révision du Youth Employment Programme. Toute une gamme de mesures fortes mais le Budget n’a pas suivi.

 

Une allocation de formation de Rs 80 000 pour 3 000 chômeurs diplômés, est-ce une mesurette ?

C’est bien mais cela ne crée pas d’emplois. Je suis inquiet aussi pour la réforme de l’enseignement. Là encore, les promesses du discours-programme se sont perdues en chemin. Sur l’éducation de base, pré-primaire, primaire et secondaire, c’est le désert, rien de concret sauf le fameux Nine Year Schooling. Même l’abolition du CPE annoncée dans le budget 2014 par Xavier-Luc Duval est passée à la trappe. On nous parle d’études supérieures et de formation mais la base de la pyramide est escamotée !

 

En parlant d’escamotage, qu’est-ce qui a poussé le discret Steven Obeegadoo à sortir de ses petits souliers pour mettre le feu à l’assemblée de délégués, il y a deux semaines ?

Le discret Steven Obeegadoo, comme vous dites, a longtemps été un militant loyal, un travailleur de l’ombre au service du parti. Mais cela ne m’empêchait pas, en interne, d’exprimer des désaccords. Cela m’a valu une mise au placard. Depuis deux ans, je suis tenu à l’écart.

 

Ce parti piétine-t-il la liberté d’expression ?

Souvent, oui. Cette dérive est venue progressivement. Petit à petit, les débats contradictoires ont disparu. Penser différemment, déjà, n’était pas apprécié. Aujourd’hui, souvent, ce n’est pas toléré.

 

Vos propos démontrent le contraire...

La défaite de 2014 a été pour moi un choc salutaire. Je me suis réapproprié mon droit à la parole.

 

Et ça fait du bien de se lâcher un peu ?

Et comment ! (Large sourire)

 

Selon la rumeur, vous vous seriez platement excusé auprès de Paul Bérenger. Est-ce exact ?

Totalement faux ! Posez-vous la question de savoir à qui profite ce genre de rumeurs et vous saurez qui sont les vrais traîtres.

 

Les vrais traîtres ?

La direction du MMM dit que des traîtres font fuiter des infos du BP dans la presse. Moi, j’ai comme l’impression que les traîtres ne sont pas du côté des contestataires.

 

Reza Uteem vous a accusé de tenir un «langage honteux». Vous êtes-vous expliqué tous les deux ?

Non. Je n’en vois pas l’intérêt, il est libre de ses opinions. Je respecte le droit à la différence, moi.

 

Jean-Claude Barbier a expliqué que vous l’avez incité à rester pour «fou enn beze andan» et «redress sa parti-la»...

C’est la stricte vérité...

 

Qu’avez-vous redressé depuis janvier ?

Oubliez ma petite personne, les militants soucieux de la survie de leur parti ont remporté une victoire éclatante : le «super BP» de neuf personnes installé au mépris le plus total de la constitution du MMM a été dissous.

 

La politique, disiez-vous il y a deux ans, n’est «pas une compétition de croc ni d’ego». Le pensez-vous toujours?

Tout à fait.

 

Pourtant, vous n’hésitez plus à vous opposer frontalement au leader…

Je ne m’oppose pas au leader, je m’oppose aux passéistes et aux conservateurs qui creusent la tombe de mon parti.

 

On sent tout de même que vous avez «musclé» votre image de gentil militant. Quel a été le déclic ?

(Longue réflexion) Ce n’est pas une question d’image. Si j’ai décidé de m’exprimer publiquement avec force, c’est parce que j’estime que le moment est grave. C’est une question de vie ou de mort pour le MMM. Si l’on ne prend pas le taureau par les cornes, l’hémorragie des départs va continuer. La direction doit réaliser que la défaite de 2014 n’est pas un accident de parcours, ce n’est pas juste la faute du Parti travailliste. Le mal est plus profond et exige une remise à plat totale. Le MMM a un fonctionnement vieillot, ses structures sont sclérosées, ses pratiques désuètes et ses méthodes décrédibilisées. Avec ça, nous allons dans le mur.

 

Faire du neuf avec des vieux, vous y croyez?

Le MMM est au plus bas (il répète). Pour se relever, il faut rassembler. Ça a été ma grande déception post-élection. Au lendemain de la défaite, au lieu d’intégrer toutes les sensibilités, la nouvelle direction s’est constituée selon une logique d’élimination et d’épuration. C’est grave !

 

Les autres dissidents, contrairement à vous, ont préféré claquer la porte. Pourquoi est-ce difficile de les fédérer ?

Parce que les gens sont différents. Pour certains, le parti n’est pas réformable, mieux vaut partir pour faire vivre ailleurs ses valeurs. D’autres, comme moi, ne peuvent pas se détacher du MMM, ils préfèrent lutter de l’intérieur. Mais le rassemblement de toutes ces sensibilités est vital. Mon voeu le plus cher serait de contribuer à réunifier la grande famille des militants, et pas seulement ceux qui sont partis depuis les élections. Pour moi, cette réunification est indispensable. C’est une condition pour que le MMM redevienne un grand parti.

 

Et bien sûr, Paul Bérenger ouvrira grande la porte à ces improbables revenants…

C’est Steven Obeegadoo qui vous parle. Pas Paul Bérenger.

 

C’est bien joli de battre le rappel mais vous croyez que le MMM fait envie ?

Tout le problème est là : on ne séduit plus. Les jeunes ne viennent plus vers nous, les anciens nous tournent le dos. Le MMM passe par une crise identitaire. Si ce parti ne se pose pas la question de ce qu’il est, il n’aura plus rien à transmettre. Et s’il n’a rien à transmettre, il n’a plus de raison d’être.

 

Réinventer le MMM, est-ce au-dessus des forces de Paul Bérenger ?

Je me suis souvent posé la question… (Il s’interrompt)

 

Et…

Je n’ai pas la réponse. Les prochaines semaines seront cruciales, on va savoir. Paul Bérenger, il y a dix jours, a reconnu l’urgence d’une réforme. J’avoue que je suis sceptique…

 

Pourquoi ?

Il n’a pas structuré sa pensée. Nous n’avons ni feuille de route ni calendrier. Des choses m’inquiètent. Il a annoncé un séminaire, le 1er mai, avec les membres du comité central et les responsables des comités régionaux. Moi je dis que la réforme ne viendra pas d’en haut mais de la base. Le MMM doit réapprendre à écouter, et sa direction à entendre.

 

Longtemps, avec d’autres, vous avez nourri le culte de la personnalité du chef. Faut-il s’étonner que ce chef soit devenu sourd à toute autre voix que la sienne ?

Je n’ai jamais nourri, consciemment, le culte de la personnalité du chef. 

 

Et inconsciemment ?

Je laisse cela aux psychanalystes...

 

Cet «autocrate» que les dissidents décrivent, n’est-ce pas vous qui l’avez fabriqué ?

Non, c’est l’Histoire. À quoi bon y revenir ? Ce qui m’intéresse, c’est le présent. Le  MMM et son leader ont une image de gens arrogants, imperméables à la critique, sourds aux attentes de l’électorat. C’est pour cela qu’il nous faut réapprendre à écouter, à rassembler et à réfléchir ensemble à la transformation de la société. Je rêve de refonder ce grand parti. Un parti ancré dans son époque. Les branches, les comités régionaux, tout cela est devenu tellement poussiéreux. S’entêter à faire de la politique comme il y a 45 ans, c’est la mort assurée.

 

Vous vous posez en refondateur…

Pas moi seul ! Beaucoup de gens à la direction partagent ces convictions. C’est juste qu’ils n’osent pas les exprimer.

 

Refonder, rassembler, c’est faire figure de successeur potentiel du leader.

Je ne veux pas devenir le leader du parti. Je ne crois pas à la nécessité de ce poste au MMM. Je ne crois pas au chef tout-puissant, ni à la théorie des grands hommes qui font l’Histoire. Je crois aux mouvements sociaux. Si j’avais été mû par l’ambition personnelle, cela fait longtemps que j’aurais «challenger » le leader. Ce n’est pas mon but.

 

Paul Bérenger, en privé, a toujours dit qu’il ne croyait pas en vous. C’est quoi son problème ?

Demandez-lui ! C’est Paul Bérenger qui m’a parrainé au BP. C’est lui qui m’a demandé d’assumer des fonctions ministérielles, lui qui ne tarit pas d’éloges sur mon bilan à  l’Éducation, et c’est encore lui qui a insisté pour que je devienne co-secrétaire général. Si depuis deux ans le courant ne passe plus, ce n’est pas moi qui l’ai voulu. Je vais même vous faire une confidence : cette distance qu’il a mise entre nous me peine énormément. Paul Bérenger a fait le choix, après de longues années de collaboration fructueuse, de ne plus avoir de contact direct avec moi.

 

Cette distance avec le chef, est-ce le plafond de verre de votre carrière ?

Je ne fais pas carrière en politique. Mon engagement militant donne un sens à ma vie d’homme, indépendamment des postes que je peux être amenés à occuper.

 

Le prochain poste, c’est dehors ?

Pourquoi partirai-je ? Je suis chez moi. Le MMM, c’est ma maison, j’ai contribué à le bâtir. Les militants sont ma famille. Je ne pars pas, je ne baisse pas les bras. Comme disait Hugo : «Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent.»