Publicité

Troisième âge: des maisons de retraite aux allures d'hôtels 5-étoiles...

15 mars 2015, 20:30

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Troisième âge: des maisons de retraite aux allures d'hôtels 5-étoiles...

Londres ? L’Écosse ? Non, Pierrefonds, entre Palma et Beaux- Songes. En cette matinée de mercredi, le brouillard est à découper au grinder. Au loin, au milieu du déluge : un IRS. Encore raté. Il s’agit d’une maison de retraite, le Leonard Cheshire Home. À voir la façade, on doit y être bien logé, nourri et blanchi. Combien ça coûte, une nuitée ? Les pensionnaires ont-ils droit à un package all inclusive ?

 

La façade rose n’a pas à rougir devant certaines œuvres architecturales contemporaines. «C’est Gaëtan Siew qui a conçu le pla du bâtiment. Linn fer sa gratuitman, mé li ti krwar li pé konstrir lotel li !» plaisante Ginette Lan Yee Chiu, Chairperson de la branche mauricienne de l’organisation Leonard Cheshire. Cette maison de retraite, c’est un peu son bébé, qui a vu le jour il y a 20 ans grâce aux dons de plusieurs «papas» étrangers et locaux. Pour le mettre au monde, il a fallu débourser Rs 9 millions.

 

L’intérieur, cependant, a un cachet particulier. Niveau décor, l’ancien se mêle au pas si vieux et au rustique. M. Propre et Madame Javel  sont passés par là. Pas la peine de sortir les couverts, on pourrait manger par terre. Des fleurs  fraîchement cueillies ornent les tables, elles proviennent du jardin, mieux entretenu que celui de Pamplemousses.

 

Pendant que nous patientons dans le hall d’entrée, des rires enjoués se font entendre. Des dames en uniforme s’affairent. Ce lieu, destiné aux personnes qui ont parfois vu la mort de près, grouille de vie. Les guides pour la visite : Morissette Kamanah, 56 ans, le Head of home, et Meeta Auckhoy, Senior Care Worker, distributrices ambulantes de mots gentils et de câlins, entre autres. Il faut dire que parmi les pensionnaires, certains sont retombés en enfance. Alzheimer et Démence ne sont jamais loin.

 

L’heure du déjeuner approche. Le menu du jour et du soir, alléchant, est affiché au tableau. Pâtes au corned beef, légumes sautés, poulet sauce prune, cocktail de fruits... Sans oublier le thé et les petits fours servis plusieurs fois durant la journée. À table.

 

Mis à part le bruit des couverts, pas une mouche ne vole. Ils sont tous sages comme des images. Hormis Mémé D., qui a préféré rester dans sa chambre. «Ayo, manzé pa bon ! Ça n’a pas de goût, je préfère aller au resto.» Apparemment fine bouche, nos recoupements d’informations secrètes indiquent qu’elle se goinfrerait de friandises planquées dans son minibar, que ses enfants prennent la peine de remplir à chaque visite. D’où son «manque» d’appétit…

 

Restons dans les chambres. Elles donnent envie de s’inscrire au registre, pour plus tard. Mais cela dépendra des prix. Il en existe plusieurs catégories, précise Ginette Lan Yee Chiu. «Le gouvernement nous accorde des subventions. Nous accueillons 17 personnes qui ont été recommandées par la Sécurité  sociale. Ces personnes remettent leur carte de pension aux autorités et l’argent est reversé directement chez nous.»

 

Il y a aussi les chambres communes, qui coûtent entre Rs 12 000 et Rs 14 000 par mois, des chambres simples qui reviennent à Rs 17 000, des suites avec salle de bains spacieuse à Rs 22 000 et des chambres pour les couples à Rs 27 000. «Nous ne sommes pas parfaits, il y a beaucoup de manquements, mais nous essayons d’y remédier.»

 

En attendant, avec 54 locataires, la maison affiche complet. Les membres du personnel, qui travaillent à temps partiel ou à plein temps – dont les carers, les chauffeurs, l’infirmière, le psychologue, le physiothérapeute, l’occupational therapist  sont au nombre de 40 environ.

 

Prendre soin des vieux, c’est donc un business qui rapporte gros ? «On parvient à être square à la fin du mois.» Et cela, même si mensuellement, il faut débourser Rs 400 000 pour les salaires, Rs 125 000 pour l’achat de nourriture, Rs 15 000 pour la maintenance. Il faut également compter l’achat de vêtements, de couches, le coiffeur, le transport pour conduire les malades à l’hôpital.

 

BONNET DE GANSTER

 

Le fric, Anne-Marie Norton, elle, n’en a que faire. Cela fait quatre ans qu’elle habite là. Armée de son déambulateur, un bonnet de gangster vissé sur le sommet de la tête, ses cent ans n’ont pas eu raison  de sa langue de vipère. «J’aime  bien être ici mais il faut venir me rendre visite souvent. Je n’ai pas de proches, ils sont en Afrique du Sud.» Une fois lancée, elle ne  s’arrête plus. «Mon mari est mort il y a longtemps, c’était un coureur de jupons mais il n’était pas méchant. Il ne voulait pas d’enfant, moi non plus.»

 

Elle nous parle de son compte en banque, vérifie sa boîte de biscuits ornée de roses, se replonge dans ses souvenirs, en ressort, peste contre le fait qu’on ne lui ait pas donné de  «douceurs». «Une fois on m’a envoyée chez le dentiste. Il a enlevé la mauvaise dent.» Résultat des opérations, de celles de devant, il ne lui reste que deux incisives. Ce qui ne l’empêche pas d’ajouter sur un ton mordant : «Je ne reçois pas de visite. J’ai parfois envie de partir lao…»

 

À côté d’elle, Geneviève Mooghen – plus connue sus le nom de Titi –, 72 ans et coquette jusqu’au bout des ongles impeccablement vernis. Elle a rejoint le home il y a six ans. En élève modèle, elle participe à toutes les activités, du jardinage aux spectacles  organisés par les carers. «Enn fwa, enn ti bolom sinwa m’a dit qu’il ne jouait pas aux dominos. Ce qu’il aime lui, c’est le mahjong. Alors nous sommes allés lui chercher ce qu’il voulait et depuis, ils sont plusieurs à en jouer», renchérit Ginette Lan Yee Chiu.

 

Mme Oogarah, elle, préfère tromper le temps qui passe autrement. En lisant parfois des livres pour enfants ou de vieux journaux, que ses enfants «qui me rendent visite toutes les semaines» ont apportés pour elle. «Monn vinn isi en  2013. Mo pa tro konn lir é mo pa kontan guet televisyon dan la zourné.» Qu’importe si sa vue a baissé, les souvenirs,  eux, restent vivaces. Le film des événements marquants, tristes ou joyeux, elle se le repasse en boucle dans sa tête plusieurs fois par jour.

 

Préfère-t-elle être ici ou  avec les enfants ? «Ils allaient travailler et je restais seule à la maison. J’ai du mal à me déplacer, il est préférable que je sois là, qu’il y ait des gens pour prendre soin de moi.»

 

Dans cette maison d’adoption,  on se fait aussi des amis, on noue d’autres liens. Pendant les sorties, les pique-niques et autres activités organisées plusieurs fois par mois. L’idée étant de profiter des petits plaisirs simples de la vie, comme manger un morceau de gâteau spécial indépendance.