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Chandan Jankee, économiste: «Ce gouvernement a la chance de passer après des charlatans»

15 mars 2015, 09:03

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Chandan Jankee, économiste: «Ce gouvernement a la chance de passer après des charlatans»

Que peut-on attendre de la présentation du budget ? À huit jours de l’échéance, l’économiste Chandan Jankee décrypte les enjeux et les attentes. L’ensemble est mâtiné d’une conviction plutôt rare ces derniers temps : «l’optimistologie».

 

Le polo rose, un signe ?

(Rire) C’est une couleur dans l’air du temps, vous ne trouvez pas ? Depuis les dernières élections, j’ai l’impression que les Mauriciens font moins grise mine. Le pays se remet à espérer, à croire en des lendemains meilleurs. Il n’y avait pas eu un aussi bon feel-good factor depuis longtemps. Le contexte est idéal pour un budget innovant.

 

Ce mot «innovant» est très à la mode. Vous mettez quoi derrière ?

Un gouvernement nouveau se doit de proposer des idées nouvelles, d’où l’accent sur le bunkering ou une deuxième cybercité. Faire du neuf pour du neuf n’a pas de sens. Vishnu Lutchmeenaraidoo voudra se démarquer du précédent régime tout en apportant des réponses aux problèmes des Mauriciens, et ils sont nombreux.

 

■  Ce budget, est-ce le premier grand rendez-vous du gouvernement ?

C’est le deuxième. Le premier était le discours-programme. Avec le budget, on entre dans le concret.

 

La formule rabâchée de «socialisme novateur» vous trouvez ça concret ?

Il s’agit de créer de la richesse et de la redistribuer plus équitablement, c’est ce que je comprends. Le ministre des Finances a en tête la consolidation de l’État-providence. «Nou bizin aprann partaze», c’est son leitmotiv. J’entends une volonté de rupture avec la stratégie ultralibérale de l’ancien régime.

 

Dans toutes les ruptures, il y a des gagnants et des perdants…

Les perdants seront les tire-au-flanc, les entreprises inefficientes, les rent sinkers assis sur leurs monopoles douillets, dans le privé comme dans le public.

 

C’est quoi un «bon budget» ?

C’est un souffle, une ambition qui redonne confiance dans l’avenir.

 

L’avenir de qui ?

De tous ! C’est là toute la difficulté : ne laisser personne sur le bord du chemin.

 

Un budget est donc un marchand d’espérances ?

Mais l’espoir est une donnée importante en économie ! C’est la confiance qui crée l’investissement et la croissance. Un bon budget est une addition de microdécisions qui donnent confiance. Une fois que vous avez créé un environnement propice à la création de richesses, vous avez fait la moitié du chemin, il reste à les redistribuer à travers des mécanismes fiscaux.

 

Vous attendez-vous à ce que les plus riches soient plus taxés ?

Oui, le gouvernement n’a pas 36 solutions pour financer ses ambitions. Je crois qu’il en a deux : solliciter les plus aisés et miser sur le cercle vertueux de la croissance. Plus de consommation, c’est plus de rentrées fiscales.

 

Ça croit au miracle un économiste ?

Non, je crois en l’effort, au sérieux, au travail. Je crois à la créativité et à la planification. Où voulons-nous aller ? Quel est le projet de société ? Le budget devra nous le dire. La pluie vient de paralyser le pays pendant presque une semaine, cela démontre l’urgence de planifier les choses. Le piège, c’est de s’attendre à des mesures spectaculaires. Un budget fixe un cap, des intentions, une stratégie, mais il est loin de régler tous les problèmes.

 

A force de parler de «deuxième miracle économique», les Mauriciens vont finir par y croire. N’est-ce pas un pari risqué ?

Cette expression de «miracle économique», il ne faut pas la prendre au pied de la lettre. Pour moi, c’est de la communication, le pays ne reproduira pas la réussite des années 1980, le contexte est trop différent. Ce qu’il faut retenir, c’est l’idée : améliorer la vie des Mauriciens. Et j’y crois ! Si ce gouvernement continue de travailler il n’y a pas de raison qu’il échoue. D’ailleurs, un miracle est déjà en train de se produire. Qui avait prévu le grand «nettoyage» en cours ? Il y a encore un an, c’était de la science-fiction.

 

Mais plus l’objectif est élevé, plus les chances de décevoir sont fortes…

C’est difficile d’être déçu quand vous sortez de tant d’années gâchées. Les gens font la comparaison entre le précédent et le nouveau régime, et pour la grande majorité il n’y a pas photo. Ce gouvernement à la chance de passer après des charlatans, c’est tout à son avantage. C’est ce que j’appelle le «corruption dividend». Le «nettoyage» va permettre de développer le pays.

 

Le pactole de la corruption est si gras ?

Ce n’est pas ça, c’est le signal qui compte. Les investisseurs ont besoin d’être rassurés, en économie on appelle ça le «soft factor». Toutes les études démontrent que l’image d’un pays est déterminante pour la création de croissance. Si vous avez des institutions solides et propres, vous avez fait un tiers du chemin.

 

Le gouvernement table sur 5,7 % de croissance en 2016. Réaliste ?

La barre est haute, ça me plaît ! Ce pays a besoin de retrouver des ambitions.

 

Si cet objectif est atteint, est-ce qu’automatiquement nous vivrons mieux ?

Pas forcément. Cela dépend des mécanismes de redistribution, notamment de la politique salariale. À ce sujet, il y a une discrimination dont personne ne parle, la façon dont les métiers dits «manuels» sont précarisés. Jardinier, plombier, électricien… ces métiers sont en voie de disparition parce qu’ils ont été dévalorisés au lieu d’être professionnalisés.

 

Entrons dans le détail. Quels sont les problèmes majeurs auxquels ce budget devra répondre ?

J’en vois quatre : le chômage, en particulier celui des jeunes diplômés ; notre dépendance aux chocs extérieurs ; l’endettement et l’inefficacité chronique des corps parapublics et l’apathie du secteur privé. Nous avons un secteur privé composé d’assistés et de suiveurs, c’est terrible.

 

Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

Donnez-moi un seul secteur d’activités pensé par le privé…- Il n’y en a pas, ils attendent que ça tombe du ciel. Le gouvernement fait tout le boulot, il crée, il développe et ensuite, le privé vient récolter. Les grands groupes roupillent, ils n’inventent rien. Résultat, le Made in Mauritius n’est plus compétitif à l’international. Prenez le tourisme, les Maldives et les Seychelles font mieux que nous, on ne travaille pas assez.

 

Pour moi, le secteur privé a été trop gâté. Le protocole sucre, les contrats IPP, les marchés préférentiels, tous ces avantages ont façonné une culture d’assistés. L’autre chose qui me dérange, c’est cette tendance exacerbée au «think corporate». Une grosse boîte qui doit renouveler sa flotte de véhicules se dirigera toujours vers sa filiale ou une entreprise amie… quitte à dépenser trois fois plus ! Il y a une consanguinité de la richesse, l’argent tourne en vase clos.

 

D’après vous, comment Vishnu Lutchmeenaraidoo est-il perçu par le secteur privé ?

Je pense qu’il est respecté. Contrairement à ce que j’entends parfois, il a de bonnes relations avec le secteur privé. C’est un homme habile, appliqué, pragmatique, ces qualités sont appréciées.

 

Comment sa virulente sortie contre les banques peut-elle se traduire dans le budget ?

C’était un warning. Je ne vois pas le gouvernement sanctionner frontalement les banques, ce serait un trop mauvais signal. Si vous voulez mon avis, ce warning était mérité. Le secteur bancaire, je le dis depuis longtemps, étrangle l’économie mauricienne. Exemple, l’entente tacite sur des frais abusifs. Dans beaucoup de pays ce genre de pratique est sévèrement sanctionné. Nous avons une trentaine de compétiteurs… mais pas de compétition, c’est un comble !

 

Maintenant, par rapport aux quatre problèmes identifiés, quels pourraient être les remèdes ?

La première des choses à faire, c’est une évaluation, un audit honnête des ressources du gouvernement, et c’est ce qu’il a commencé à faire. Cette étape est indispensable pour mettre en place un système de contrôle. Contre le chômage, la clé, c’est la formation. Nous devons être plus pointus, plus proches de la demande des entreprises. On forme encore trop de jeunes pour des postes qui n’existent pas. Et, à côté de ça, des secteurs d’activités qui veulent embaucher ne trouvent pas de candidat qui correspond au profil recherché.

 

La stratégie d’avenir, selon vous, consiste à former des jeunes dans quels domaines ?

L’agro-business, l’énergie, les nouvelles technologies, l’éducation… et l’Afrique, qui est pour moi un continent d’opportunités.

 

Si les meilleures affaires sont là-bas, pourquoi nos entreprises sont-elles aussi réticentes ?

Parce que les Mauriciens ne prennent pas les Africains aux sérieux. Nous sommes des eurocentristes bornés. On se complaît dans le confort de nos habitudes.

 

Un budget cible généralement une bonne trentaine de priorités. Vous ne pensez pas qu’en ciblant autant de choses, on ne cible rien ?

Je pense que l’emploi sera la priorité des priorités. Connaissant Lutchmeenaraidoo, son discours sera court et focused. Plus de 70 000 personnes sont au chômage, ce n’est pas une catastrophe mais un problème sérieux. La solution passe forcément par la relance de l’investissement. Mais l’investissement productif, dans le secteur réel.

 

Construire des IRS, c’est du «on-off», vous créez des emplois pour un temps limité. Une usine dans la zone franche, c’est durable.

 

Peut-on espérer le retour du plein-emploi ?

C’est possible. Ça doit être l’objectif de la fin de mandat.

 

Parlons de vous pour terminer. Vous étiez pressenti pour le poste de gouverneur de la Banque de Maurice. Pas trop déçu ?

Non. Je sais que j’aurais ma chance un jour, je suis encore jeune, j’ai 53 ans. M. Basant Roy a 70 ans, il me reste donc 17 ans de travail avant de devenir gouverneur ! (Rire)

 

Ce sera finalement la Mauritius Housing Corporation (MHC) ?

Le gouvernement m’a proposé le poste de Chairman mais je n’ai pas encore dit oui, je réfléchis…

 

A quoi ?

J’ai postulé ailleurs, je choisirai ce qui me correspondra le mieux. Chairman, c’est du temps partiel, or je veux m’investir à fond.

 

Airports of Mauritius ou la State Trading Corporation sont libres. Cela vous donne des idées ?

Vous prenez un verre de vin ?

 

Un CEO, ça «tombe» le polo…

Ça tombe bien, je viens d’apporter mes costumes chez le tailleur pour les faire élargir…

 

Tout un symbole ?

Un symbole de ma prise de poids, oui ! (Éclat de rire) Bon, on le prend ce verre ?