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Visite de Modi: Maurice cherche sa place dans l’architecture économique indienne

5 mars 2015, 21:30

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Visite de Modi: Maurice cherche sa place dans l’architecture économique indienne

La visite officielle de 24 heures du Premier ministre indien pourrait changer la configuration des relations économiques entre Maurice et la Grande Péninsule. Le 11 mars, Narendra Modi sera à Maurice, pour sa première visite dans la région depuis qu’il est arrivé au pouvoir en mai dernier.

 

D’ores et déjà, la partie mauricienne fonde beaucoup d’espoir sur la relance du Comprehensive Economic Cooperation and Partnership Agreement (CECPA) dont les premières négociations entre les deux parties ont démarré en 2004. Cette entente de partenariat économique vise, à terme, la création d’un accord de libre-échange économique entre les deux pays.

 

Le CECPA, dont les discussions ont été interrompues en 2007 sur le dossier lié aux services, devrait théoriquement préparer Maurice à établir, dans un premier temps, un accord commercial préférentiel. «Les discussions étaient très avancées entre les experts des deux pays pour baliser les contours de ce partenariat économique. Les autorités indiennes souhaitaient, à l’époque, signer l’accord dans son intégralité. Celui-ci couvre à la fois le commerce des marchandises et des services. Tout avait été réglé au niveau des échanges commerciaux», explique un spécialiste du dossier.

 

Or, les techniciens indiens voulaient, à l’époque, que le Double Taxation Avoidance Agreement soit renégocié avant de reprendre les discussions sur la composante des services du CECPA. Entre-temps, les deux parties ont préféré ne pas donner suite aux discussions sur cet accord de coopération économique.

 

Ecouler sur le marché indien trois millions de pièces de produits textiles
sans droits de douane

 

Si Narendra Modi donne son aval pour la signature de la composante commerciale de cet accord, c’est un marché immense qui s’ouvre aux exportateurs mauriciens, notamment au niveau des produits textiles, des boissons alcoolisées et des sucres spéciaux. En effet, cet accord, tel qu’il avait été conçu initialement, permettrait aux opérateurs d’écouler sur le marché indien trois millions de pièces de produits textiles sans droits de douane.

 

Mais certaines conditions seront imposées. Ainsi, un million de pièces devront être confectionnées avec des matières premières importées d’un pays tiers alors que le reste des pièces devra être fait avec des matières premières provenant exclusivement de la Grande Péninsule.

 

Même si cet accord aboutit, les exportations vers l’Inde seront relativement faibles et ne pourront pas équilibrer la valeur des échanges commerciaux entre les deux pays. Car la balance commerciale reste fortement à l’avantage de la Grande Péninsule. Celle-ci a exporté, l’année dernière, des marchandises d’une valeur de quelque Rs 37 milliards vers Maurice et en a importé pour seulement Rs 509 millions.

 

«Il faut avoir de l’audace et partir à la conquête des marchés émergents»

 

Ce qui fait dire à Mahmood Cheeroo, économiste et ex-secrétaire de la Mauritius Chamber of Commerce & Industry, qu’il faudra compter sur la visite du Premier ministre indien pour dégager une nouvelle stratégie et prendre avantage de la politique d’ouverture engagée par le nouveau gouvernement depuis neuf mois. S’appuyant sur le fait que l’Inde prône, selon lui, une politique d’internationalisation des affaires aujourd’hui, Mahmood Cheeroo estime qu’il faudra trouver des secteurs où il existe une complémentarité pour positionner les industries phares de notre économie.

 

«Je pense surtout au textile où un des leaders comme Ciel Textile opère déjà sur le marché indien. Il y va de l’intérêt des deux pays d’exploiter les atouts communs pour développer une situation où les deux parties sortent gagnantes», fait-il ressortir.

 

Une analyse que partage Anil Gujadhur, ex-Managing Director de la Banque de Maurice et ex-membre du comité technique sur CECPA. Il estime que les opérateurs peuvent également compter sur la nouvelle position de Narendra Modi pour utiliser la plateforme indienne afin d’assurer une grande visibilité de leurs produits dans des pays asiatiques.

 

Pour cela, dit-il, il est impérieux que nos décideurs apportent le drive nécessaire à nos opérateurs et qu’ils leur fassent comprendre que l’Inde représente aujourd’hui une terre d’opportunités. Et qu’il «ne faut surtout pas se contenter du marché local. Il faut avoir de l’audace et partir à la conquête des marchés émergents».

 

Une renégociation du traité fiscal souhaité par l’Inde

 

Certes, entre les deux pays, il y a la problématique du traité fiscal, un autre dossier brûlant qui sera sans doute à l’agenda du tête-à-tête entre le Premier ministre, Anerood Jugnauth et son homologue indien. L’Inde souhaite une renégociation du traité sur lequel l’offshore mauricien a bâti sa croissance à partir des années’ 90. «L’Inde représente presque deux tiers des activités du Global Business à Maurice, qui emploie directement 10 000 personnes et contribue à 5% du Produit intérieur brut (PIB). Plus largement, le secteur financier contribue jusqu’à 15% du PIB. Il n’y a pas que des employés des Management Companies qui sont concernés. Mais également les banquiers, auditeurs et autres employés des hôtels et chauffeurs de taxi», affirme le directeur d’International Financial Services, Couldip Lala.

 

Même si les General Anti- Avoidance Rules – un projet de loi indien visant à combattre l’évasion fiscale des sociétés indiennes passant par l’offshore mauricien pour investir en Inde – ont été repoussés par le gouvernement indien jusqu’en 2017, il reste que la renégociation de certaines clauses est une source d’inquiétude pour les opérateurs. «Une telle situation est loin de rassurer les opérateurs du Global Business», insiste Mahmood Cheeroo.

 

Trouver des créneaux complémentaires

 

Ce dernier s’attend à ce que Narendra Modi se prononce sur la question et fixe un calendrier de travail. Une démarche qui pourrait aider les opérateurs à y voir plus clair. Au-delà du Global Business, il y a les services financiers. Et, accessoirement, le positionnement de Maurice en tant que plateforme financière crédible et transparente. Le projet de Gujarat, État du Premier ministre indien, de lancer un International Financial Centre constitue un défi pour la juridiction mauricienne vu que, selon les spécialistes, il sera difficile, voire impossible, de concurrencer ce centre. «Il n’y a pas d’autres solutions que de trouver des créneaux complémentaires dans les services financiers, comme l’outsourcing de certaines activités financières de nos sociétés», fait ressortir Anil Gujadhur.

 

Selon Mahmood Cheeroo, la plateforme mauricienne doit élargir son champ d’activités et créer plus de valeur ajoutée dans la perspective où des investisseurs indiens décident de passer par Maurice pour  investir dans les pays africains. «On parle beaucoup du concept de hub autour duquel gravitera un certain nombre d’activités. Mais en réalité, ce hub n’existe pas. Alors qu’il a le potentiel d’attirer au moins 60 000 touristes indiens chaque année et des milliers d’investisseurs souhaitant utiliser la plateforme mauricienne pour investir en Afrique», constate Mahmood Cheeroo.

 

«S’allier à Maurice pour assurer une présence stratégique en Afrique»

 

Cependant, il insiste qu’avant toute chose, certains éléments doivent être pris en considération, dont la connectivité entre Maurice et l’Afrique. Car leur proximité offre aujourd’hui à Maurice un atout de taille pour convaincre l’Inde qu’elle peut compter sur sa logistique pour faire le saut sur le continent noir. «Il y a des enjeux politiques et géopolitiques dans la région. L’Inde est consciente de l’influence chinoise et de son implication dans l’économie de plusieurs pays africains. Elle ne peut rester insensible à la présence agressive des investisseurs chinois dans cette partie du monde. La logique veut qu’elle s’allie à Maurice pour assurer une présence stratégique en Afrique», analyse Anil Gujadhur.

 

D’ailleurs, la visite de Narendra Modi s’inscrit aussi dans cette logique. Puisque l’Inde a un grand retard à rattraper par rapport à la Chine quant à ses relations économiques avec l’Afrique. Les statistiques le démontrent clairement : les flux commerciaux indo-africains, bien qu’ils se soient intensifiés au cours de la dernière décennie, n’égalent pas les flux entre la Chine et l’Afrique.

 

Ainsi, les exportations de la Chine vers l’Afrique durant la dernière décennie sont près de trois fois plus importantes que celles de son voisin indien (72,7 milliards de dollars américains, contre 26,4 milliards dollars). Quant aux importations, elles sont deux fois plus importantes (79,8 milliards dollars, contre 39,2 milliards dollars).

 

En dépit de cet état des lieux, on relève toutefois que les relations économiques entre l’Inde et l’Afrique se sont intensifiées au cours des dix dernières années. De 2003 à 2012, les exportations indiennes ont augmenté de 25% en moyenne par an et les importations de 33%. L’Inde est ainsi devenue le cinquième fournisseur du continent africain et son quatrième client.