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Danses indiennes: traditions incompatibles avec évolution?

11 mars 2015, 13:15

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Danses indiennes: traditions incompatibles avec évolution?

Le classique doit-il le rester ? Maurice terre fertile a vu le bourgeonnement de danses classiques indiennes. Le bharata natyam, c’est au moins deux mille ans d’histoire transplantés chez nous. Pareil pour le kathak séculaire. Des formes d’expressions soigneusement préservées chez nous et faisant partie de notre riche héritage. Quel impact l’attachement aux racines a-t-il sur l’évolution de ces danses classiques ?

 

Pour ce qui est du kathak, un exemple vivant et indéniable nous frappe. Celui d’Anna Patten et son association avec Sanedhip Bhimjee, parti trop tôt vers la danse cosmique. Anna Patten, déterminée à poursuivre l’oeuvre, s’inscrit résolument dans une volonté farouche de frottement du classique avec son environnement mauricien caractérisé par le métissage. Le nouveau ballet d’inspiration moghole et africaine, qu’elle prépare pour le mois d’août, est dans cette lignée.

 

Pour autant, l’Inde reste «la maison où [elle va se] ressourcer». «S’il n’y avait pas l’Inde, qu’est-ce qu’on aurait fait ?» D’ailleurs, la danseuse et chorégraphe le reconnaît, il y a vraiment beaucoup d’artistes qui pratiquent les danses indiennes à Maurice. Mais s’empresse-telle d’ajouter : «On aurait pu progresser comme le font les artistes en Inde.»

 

«Ca n’est pas du classique, c’est de l’antiquité»

 

Où est-ce que cela coince ? Selon Anna Patten, «il y en a qui ont peur de sortir du classique». Elle va plus loin dans la critique : «Pour moi, ça n’est pas du classique, c’est de l’antiquité. Il y a une différence. Si je restais traditionnelle, je ferais toujours les mêmes gestes. Il faut bouger avec le monde autour de nous.» La responsable de l’Art Academy persiste : «Ils ne veulent pas prendre de risques parce qu’ils ne savent pas comment mélanger.»

 

Un processus de métissage qui passe par «être moderne dans la tête». Anna Patten ajoute : «Peut-être qu’ils sont paresseux, parce que pour faire du métissage, il y a beaucoup de recherches à faire. Il y a beaucoup de paresseux à Maurice. Ce sont des fonctionnaires de la danse.» Elle estime à «5 %, les artistes qui bougent». «C’est ceux-là qu’il faut encadrer pour faire avancer l’art. L’art est un enfant pauvre à Maurice. On est en train d’étouffer le patrimoine aussi. Souvent, des artistes ont soit peur soit honte de parler.»

 

De là au spectacle qui se prépare pour les célébrations du 12 mars, il n’y a qu’un pas. Qu’Anna Patten franchit allègrement. «J’ai peur que ce soit une banalité, quelque chose sans originalité. Nous avons été habitués à un défilé des communautés. Ce n’est pas cela la culture. Nous mélangeons trop l’art avec la religion.»

 

«La danse classique n’a pas une image attirante»

 

Jay Kumaren Iyassamy, professeur de bharata natyam, abonde dans le même sens. «Vous me demandez d’avancer, mais si je ne le fais pas, est-ce que c’est de ma faute ? Est-ce que j’ai la plateforme nécessaire pour le faire ? Est-ce que je suis aidé, pour pouvoir traduire ce langage de la danse ?» Car dans l’idéal, le danseur, formé à la prestigieuse Kalakshetra Foundation à Chennai, s’imagine dansant «devant un écran où les mots défileraient en créole».

 

Rentré à Maurice en 2011, après ses études, Jay Kumaren Iyassamy enseigne la bharata natyam dans quatre collèges d’État : SSS Jugdambi à Goodlands, SSS Bel Air, MGSS Flacq et SSS Sodnac. À côtoyer ainsi les adolescents, l’enseignant se rend à l’évidence. «La danse classique n’a pas une image attirante. La nouvelle génération trouve cela ennuyeux.» D’autant plus que les thèmes des danses «restent purement religieux. On n’aborde pas les thèmes contemporains, comme la violence contre les femmes».

 

Pourtant, le danseur convient avoir fréquenté «une école puritaine». «C’est difficile de faire évoluer le bharata natyam. Même en Inde, cela reste conservateur.» C’est la fondatrice du Kalakshetra – qui existe depuis 1936 – Rukmini Devi Arundale qui a codifié le bharata natyam en y enlevant tous les éléments érotiques.

 

«Quand on essaie de faire évoluer cette danse, c’est dur de trouver le bon registre, souligne Jay Kumaren Iyassamy. Il faut rester vigilant, pour ne pas être critiqué par la source. À Maurice, on n’en est pas encore là.» Lui-même a tenté une expérience de danse sur de la musique techno. Surtout pour capter l’attention des jeunes. Une aventure à rééditer.