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Nandini Bhautoo-Dewnarain, chargée de cours en littérature féministe à l’université de Maurice: «Les classes laborieuses plus féministes que la bourgeoisie»

7 mars 2015, 11:32

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Nandini Bhautoo-Dewnarain, chargée de cours en littérature féministe à l’université de Maurice: «Les classes laborieuses plus féministes que la bourgeoisie»
Dimanche 8 mars, Journée internationale de la femme. À cette occasion, notre invitée de la semaine, Nandini Bhautoo-Dewnarain, chargée de cours en littérature féministe à l’université de Maurice, fait le point sur la situation de la Mauricienne en 2015. Il ressort que celle-ci est moins libre qu’il y a une ou deux décennies ! La faute à un retour vers les traditions…

 

La Journée internationale de la femme est-elle un jour qui se déroule comme un autre pour vous ?


Ça devrait être une journée qui permette une réflexion sur le sort de la femme. Il y a tellement de constructions sociales qui essaient de contrôler, dominer et définir la femme. Que ce soit à travers la religion, les traditions ou la culture populaire… Qu’il y ait une Journée internationale, c’est bien, mais la manière de la célébrer n’est pas toujours à la hauteur.

 

C’est-à-dire ?
Tout le monde a de belles choses à dire le 8 mars, puis on oublie. Ça reste des discours convenus et il n’y a pas de réflexion sur comment concrétiser les déclarations d’intentions. Le drame à Maurice, c’est qu’à la confluence des cultures, on ne peut pas critiquer le traditionalisme et ce qu’il fait de l’identité sociale des femmes.

 

C’est le contexte multiculturel de Maurice qui en est la cause ?


Le contexte mauricien ne permet pas cela. Peu importe la tradition à laquelle vous touchez, les gens réagissent mal. En même temps, la tradition se construit sur l’exploitation du corps de la femme. C’est le cas pour toutes les religions. C’est un des grands drames de Maurice : on n’y touche pas. 

 

Les femmes ne sont pas seules sujettes à ce type de conditionnement…
Le conditionnement commence très tôt au sein de la famille et de l’école qui transmet des idées préconçues. On a un gender policy en théorie dans les écoles, mais pas dans la pratique. Les filles apprennent à écouter, à obéir et à être dansles marges de la cour de récré.Les garçons sont encouragés à être plus affirmatifs.

 

Au final, la masculinité se construit par rapport à une féminité faible. Les hommes dépendent de cette faiblesse pour se construire. On peut être libéral au boulot, mais rentrer à la maison, mettre les pieds sur la table, ne rien faire et expect dinner to be served. Il y a une disparité entre le discours public et le discours privé.

 

Le 8 mars, on met souvent en avant des femmes qui ont réussi. Est-ce une bonne approche ? 


C’est bien de mettre en avant des femmes comme Ameenah Gurib-Fakim et Maya Hanoomanjee… Mais ce sont des privilégiées. Je ne dis pas qu’elles ont eu un parcours facile, loin de là ! Mais il y a toutes ces femmes qui sont constamment exposées à cette différence entre le discours et la pratique. Elles doivent prendre toutes les responsabilités domestiques et travailler en même temps. Il faut se demander quelle autorité elles ont dans la famille.

 

Doit-on comprendre que la célébration de cette Journée internationale est l’apanage d’une certaine classe sociale plus aisée ?


C’est important de mettre en avant ces femmes qui ont réussi. Il faut des role models. Mais ce n’est pas assez.

 Il faut que ce soit suivi d’une réflexion sur le long terme et des actions concrètes surtout ! Aujourd’hui encore, certaines de mes étudiantes me racontent des histoires incroyables. Elles sont contrôlées à chaque minute. Le portable est contrôlé…

 

Petits amis jaloux ?


L’une d’entre elles était fiancée à 17 ans. Le plus inquiétant c’est que ce sont des jeunes ! Comment en arrive-t-on, avec une éducation soi-disant moderne, à ressentir le besoin de contrôler sa fiancée ? Quels sont ces modèles de masculinité qui sont présentés à ces garçons ?

 

Si c’est un formatage culturel qui se fait dès l’enfance, encore faut-il que l’individu soit en mesure d’en prendre conscience…


On n’a pas de modèle pour montrer comment être différent. La société mauricienne est trop intolérante envers les divergences identitaires. Cela ne permet pas à certaines femmes de vivre autrement que dans une certaine convention bourgeoise.

Il faut qu’il y ait une prise de conscience au niveau de l’éducation. Certains profs réprimandent des filles si elles expriment des opinions trop à contre-courant. L’enseignement du curriculum n’affecte pas la perception que les gens ont de leur identité. C’est là qu’il faut reconnecter les choses.

 

Vous évoquez l’importance du traditionnel à Maurice. Ça rend les choses plus compliquées comparé aux sociétés qui y sont moins attachées ?


Ça complique les choses. Il y a l’école et la religion, mais les médias sont également responsables de ce retour vers le traditionalisme à outrance. Je blâme les feuilletons de Zee TV et les télénovelas de l’Amérique latine. Des images très régressives y sont véhiculées.

 

La régression que j’ai constatée chez mes étudiantes  en 20 ans est terrible ! Chaque nouvelle génération est plus traditionaliste que la précédente. Il y a trois ans, une m’a dit : «Moi, je veux devenir housewife. C’est mon rêve !»

 

Prenez la chanson populaire, notamment avec les Beyoncé et Rihanna qui sont ‘objectivisées’ à outrance. Elles se font exploiter et perpétuent ces images.

 

Vos étudiantes régressent… et vos étudiants alors ?


Nous avons des garçons qui ont l’air d’avoir l’esprit ouvert en classe. Mais ils ne sont pas encore à l’âge de la prise de responsabilités…

 

Cette régression est elle liée au repli identitaire qu’on constate de manière plus large à Maurice ?


Absolument. Ça a commencé dans les années 90 en fait. L’occidentalisation à outrance a provoqué ces replis fondamentalistes dans toutes les sociétés. Notre société a connu des moments de violence et il y a eu à un moment un désir d’embourgeoisement en redécouvrant la religion. Et cette identité religieuse est devenue plus importante que tout le reste. Quand la religion prend le dessus, ça devient problématique.

 

Le «girl power» des Beyoncé et Rihanna, qui se clament féministes sexy, est-ce un non-sens ?


C’est un féminisme qui marche pour elles, après qu’elles se sont laissées exploiter par le système. Mais quels sont les codes qu’elles sont en train de transmettre ?

 

Ça vous étonne, ce retour du féminisme à la mode ?


Ce sont des icônes pop qui ont fait carrière et qui veulent surfer sur la vague du féminisme. Mais ce qu’il faut réclamer, c’est le droit des femmes à vivre leur vie en sécurité. 

 

Le féminisme aujourd’hui, c’est plus que de réclamer l’égalité pour les femmes ?
Définir le féminisme est difficile, parce que c’est imbriqué dans la vie de tous les jours. Chacun le vit à sa manière. Chaque moment de révolte contre les structures patriarcales est un moment de féminisme. Au niveau des classes laborieuses, il y a beaucoup plus de féminisme que dans la classe bourgeoise. Il y a plus de refus de se laisser contrôler. Dès qu’il y a cet embourgeoisement, on est plus soucieux du regard extérieur et on veut se conformer à une certaine image.

 

Donc, il y a plusieurs féminismes ?


Ça a toujours été pluriel. Mais il était important d’abord qu’il y ait une acceptation des concepts des mouvements de femmes. Il faut poursuivre cela. La liberté de mouvement, par exemple, n’est pas acquise pour les femmes à Maurice dans certaines familles. 

 

Vous parlez des classes laborieuses, mais qu’en est-il des ouvrières étrangères exploitées et qui parfois se prostituent ?


Ce ne sont pas que les femmes. Nous sommes cruels envers tous les travailleurs étrangers. Pour le traitement des ouvrières, cela découle une fois de plus du machisme et de la violence. Celui qui recherche ces services n’est pas seul coupable, mais l’employeur aussi.

 

Faut-il légaliser la prostitution ?

C’est compliqué. Cela donnerait un statut légal aux prostituées. Mais l’idée d’officialiser le commerce du corps de la femme est en soi répréhensible. Dans l’immédiat, c’est vrai que ça peut aider à améliorer leur situation.

 

Que pensez-vous du  travail des mouvements féministes à Maurice ?

Que ce soit SOS Femmes, Women In Networking ou Gender Links, un travail énorme est fait. Mais ce n’est pas assez. Ces associations s’adressent à des réseaux spécifiques et la vaste majorité est laissée pour compte.

 

Imposer un tiers de femmes comme candidates aux élections générales, est-ce un progrès ? 

C’est choquant que ce soit un tiers plutôt que la moitié !  Nous sommes très loin des standards d’un pays telle la Suède. Si on nous dit que même un tiers ça passe difficilement, ça en dit long sur notre société.