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Dan Maraye, ancien gouverneur de la BoM: «La plupart des banques favorisent une certaine clientèle»

4 mars 2015, 08:34

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Dan Maraye, ancien gouverneur de la BoM: «La plupart des banques favorisent une certaine clientèle»
De la tirade de Vishnu Lutchmeenaraidoo contre les banques commerciales à la baisse de l’euro par rapport à la roupie, en passant par les coffres-forts de l’ex-Premier ministre ou encore la nouvelle direction de la Banque centrale, Dan Maraye, qui a gouverné cette institution entre 1996 et 1998, nous livre ses impressions.
 
Êtes-vous surpris de la violente sortie du ministre des Finances, Vishnu Lutchmeenaraidoo, à l’encontre des banques commerciales ?
Il faut tout d’abord savoir ce qui s’est passé dans le domaine bancaire depuis 2006 pour mieux comprendre la prise de position du ministre des Finances, Vishnu Lutchmeenaraidoo. Pendant cette période, le gouverneur de la Banque de Maurice d’alors, Rundheersing Bheenick, avait tout fait pour mettre les banques commerciales au pas. Mais il n’a malheureusement pas eu le soutien du ministre des Finances de l’époque. Cela a évidemment joué en faveur des banques commerciales.
 
Je ne dirais pas que Vishnu Lutchmeenaraidoo a été violent dans ses propos. Il a simplement voulu donner le ton et la direction que lui, en tant que nouveau ministre des Finances, ainsi que le gouvernement souhaitent donner au pays. Le ministre des Finances a tout à fait raison de se positionner ainsi.
 
Ne pensez-vous pas que cette colère n’est pas totalement justifiée dans la mesure où, selon les statistiques fournies par la Mauritius Bankers Association, un montant total de Rs 4,5 milliards a été alloué aux Petites et moyennes entreprises (PME) durant ces quatre dernières années par 13 banques opérant sur le marché domestique ?
Ce n’est pas de la colère que Vishnu Lutchmeenaraidoo a voulu exprimer. Il a surtout souhaité exposer ce qui se passe dans les banques commerciales. Concernant la Mauritius Bankers Association (MBA), je me demande à quel point ses propos sont pertinents, alors que, malgré toutes les turbulences que le monde bancaire a connues depuis 2008, elle n’a jamais pensé à éclairer les membres du public sur un sujet qui les concerne.
 
On sait déjà que les activités bancaires à Maurice sont contrôlées à 70 % par deux principales banques, la MCB et la SBM. Ce qui montre qu’il y a un certain oligopole qui décide de la politique de toutes les banques à l’intérieur de la MBA. À mon avis, ce n’est pas une situation saine…
 
Par ailleurs, quand on parle d’un montant de Rs 4,5 milliards alloué aux PME au cours de ces quatre dernières années, il faudrait aussi savoir, pour être plus transparent, qui sont ceux qui ont bénéficié de cet argent. Cela nous permettrait de mieux comprendre la politique des banques commerciales vis-à-vis des PME.
 
Vous êtes convaincu que les banques ne sont pas en train de jouer le jeu…
Je ne dis pas que les banques ne jouent pas le jeu en général. Mais il y a certainement une majorité de banques qui favorisent une certaine clientèle.
 
En même temps, les PME ont des créances douteuses de plus de Rs 1,7 milliard pour la période de 2013 à 2014. Peut-on blâmer les banques si elles hésitent à leur accorder des prêts ?
Je réponds à cette question par une autre question : pourquoi les banques commerciales ne publient-elles pas la liste des PME ayant des créances douteuses ? Car, autant que je sache, ce n’est pas un secret bancaire.
 
Si nous prenons le cas du Sale By Levy, ce sont bien les banques commerciales qui poursuivent les clients considérés comme étant de mauvais payeurs. Les noms de ces clients sont bel et bien publiés dans toute la presse.
 
Alors pourquoi les banques doivent manifestement se réfugier derrière le secret bancaire quand cela concerne certaines sociétés ou personnes qui n’honorent pas leurs dettes ? Alors que quand il s’agit de petits emprunteurs qui perdent leurs biens, leurs noms sont carrément rendus publics.
 
N’est-ce pas une situation injuste ? Je pense que le secteur bancaire mérite bien plus de transparence pour garder sa crédibilité.
 
Vishnu Lutchmeenaraidoo veut créer un secteur des PME dynamique et générateur d’emplois en accordant des crédits aux opérateurs sans aucune garantie. Ne pensez-vous pas qu’il prend de gros risques vu que ce n’est pas sûr que les bénéficiaires utiliseront ces liquidités à bon escient ?
C’est vrai que les PME représentent une source importante de création d’emplois dans le pays. En même temps, je concède que le ministre des Finances prend un certain risque si demain les futurs bénéficiaires ne sont pas choisis à partir de l’originalité, voire l’authenticité de leurs projets.
 
Accorder des crédits sans aucune garantie à un petit entrepreneur en se basant uniquement sur son appartenance politique ou sur ses relations de copinage sera certainement un gros risque. Toutefois, les PME méritent un traitement plus juste de la part des institutions financières.
 
Revenons à l’actualité. Est-ce que les images des valises et autres coffres-forts débordant de liasses de billets vous ont choqué ?
C’est vrai que nous avons tous une certaine quantité d’argent de poche, disons quelques centaines de roupies. Mais de là à voir l’équivalent de Rs 200 millions en liquide dans un coffre-fort, c’est certainement choquant, voire indécent.
 
Si cet argent était placé, ne serait-ce dans un compte d’épargne, cela aurait rapporté plusieurs millions de roupies en guise d’intérêts. C’est une loi basique de la gestion de tout argent bien acquis.
 
Des valises contenant Rs 800 millions en billets de banques ont, selon les enquêteurs, quitté l’enceinte du VIP Lounge sans être détectées par les services de sécurité aéroportuaire. En tant qu’ancien CEO d’AML, comment expliquez- vous cela ?
En principe, toutes les valises des passagers sont scanned par les préposés d’AML. Toutefois, il n’y a qu’un échantillon de ces valises tiré au hasard qui est minutieusement examiné. L’aviation civile, le régulateur, a la responsabilité de s’assurer de l’efficacité des inspections et des opérations liée à la sécurité de l’aéroport.
 
En revanche, c’est le CEO d’Airports of Mauritius qui est chargé de s’assurer que les normes internationales sont mises en place.
 
La nomination d’un nouveau gouverneur à la Banque de Maurice a été suivie d’une nouvelle équipe de directeurs du conseil d’administration et de nouveaux membres nommés au Monetary Policy Committee (MPC). Croyez-vous que c’est un nouveau départ pour la Banque centrale après que Rundheersing Bheenick a été poussé vers la sortie ?
C’est tout à fait normal qu’un nouveau gouverneur soit nommé après le départ de Rundheersing Bheenick. D’après l’article 16 de la Bank of Mauritius Act 2004, les directeurs du conseil d’administration sont nommés pour une période n’excédant pas trois ans. Il était grand temps de nommer une nouvelle équipe de directeurs. C’est sûr qu’un nouveau gouverneur et une nouvelle équipe de directeurs donneront un autre style à la Banque centrale. En ce qui concerne le MPC, je souhaite qu’il y ait bien plus de cohérence dans les décisions prises tout en gardant un haut niveau de transparence.
 
La baisse de l’euro par rapport à la roupie inquiète les opérateurs. Estimez-vous, comme certains, qu’il faut déprécier graduellement la roupie pour la rendre plus compétitive ?
D’abord, il faut se rendre à l’évidence que nous importons le double de ce que nous exportons, donc, depuis 2009, nous avons enregistré un déficit de notre compte courant qui est passé de Rs 56,8 milliards à plus de 84 milliards en 2013. Toute dépréciation de notre roupie ne peut qu’aggraver la situation. D’autre part, les vacillements de l’euro auront un impact négatif constant sur nos exportations, y compris l’industrie touristique. Nous passerons par une période très difficile et compliquée en ce qui concerne la gestion de la valeur de la roupie.
 
Pensez-vous que le premier budget de Vishnu Lutchmeenaraidoo, sous le présent gouvernement, sera à la hauteur des espérances de la population ?
Vishnu Lutchmeenaraidoo a toujours eu un penchant pour le social dans tous les budgets qu’il a présentés. C’est un positionnement contraire aux budgets qu’on a eus entre 2005 et 2010. Donc, nous nous attendons à un budget qui motivera surtout les PME et les moins fortunés.
 
Les indications qui nous parviennent nous font penser que ce ne sera pas un «No-Tax Budget» comme ceux auxquels Vishnu Lutchmeenaraidoo nous a habitués du temps où il était le Grand argentier. Quel est votre avis ?
La pierre angulaire de toute forme d’impôts doit être l’équité. Or nous avons aujourd’hui un taux d’impôts uniforme de 15 % à l’exception des sociétés offshore qui sont imposables à un taux réduit de 3 %. Je pense que dans un souci d’équité et de partage, il aurait été souhaitable d’introduire deux nouveaux barèmes d’impôts, soit un taux inférieur de 10 % et un autre supérieur de 20 % tout en gardant le taux uniforme à 15 %.