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«Sortir du ‘middle-income trap’»

4 février 2015, 00:34

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«Sortir du ‘middle-income trap’»
Estimez-vous que les mesures contenues dans le discours-programme sont suffisantes pour permettre au pays de passer au statut de «High Income Economy» et de réaliser dans la foulée ce deuxième miracle économique?
 
Disons que le nouveau gouvernement a clairement défini sa vision à travers ce discours-programme qui trace les contours de cette nouvelle île Maurice. Certes, ces nouvelles mesures ont bien été formulées pour aider le pays à sortir du middle-income trap et passer au statut de high-income economy.
 
Bien évidemment, pour atteindre cet objectif, un certain nombre d’étapes doivent être franchies car il faudra quitter un cycle de croissance de 3,2 % que nous enregistrons actuellement pour renouer avec un taux de croissance aux alentours de 5% à 6 % sur plusieurs années consécutives.
 
Les différentes recherches entreprises par les institutions financières internationales, dont le Fonds monétaire international, ont démontré l’évolution des différents tableaux de bord économiques pour le pays par rapport à la contribution de la main-d’oeuvre, du capital et de la productivité à des périodes spécifiques.
 
On relèvera ainsi que dans les années 80, le produit intérieur brut (PIB) avait connu une croissance moyenne de 5 % ; celle-ci s’appuyant sur une économie à forte intensité de main-d’oeuvre et un taux de croissance de la productivité de 1,7 % à l’échelle nationale.
 
Dans les années 90, la croissance qui s’élevait à 5,8 % reposait principalement sur le recours aux capitaux, qui représentait 2,3 % de la croissance, et sur la productivité à hauteur de 1,8 %. En revanche, dans les années 2000, la tendance s’était nettement modifiée avec un apport en main-d’oeuvre en régression (1,6 %), une contribution de gains de productivité de seulement de 0,9 %, et une part de capitaux de 1,6 %.
 
Doit-on comprendre que les conditions ne sont plus les mêmes aujourd’hui?
 
Ce qui saute aux yeux en analysant ces différents indicateurs économiques est le fait que, d’une économie à forte intensité de capital et de main-d’oeuvre, on est passé à une situation où les facteurs qui génèrent cette forte croissance ont faibli.
 
Avec une croissance de 3,2 %, on est loin de cette économie à revenus élevés. Il faut impérativement augmenter la qualité de notre main-d’oeuvre en investissant dans la formation professionnelle, mais aussi en ouvrant notre économie sur l’extérieur.
 
Il faut ainsi attirer des compétences étrangères pour un transfert de connaissances dans de nouveaux secteurs économiques comme l’économie bleue, et des créneaux financiers pointus comme la gestion de la trésorerie.
 
Parallèlement, il faudra promouvoir et consolider le Global Business en privilégiant certaines activités qui peuvent encore ajouter de la valeur à notre secteur financier, dont la gestion du patrimoine.
 
Je suis de ceux qui pensent que le discours-programme a envoyé des signaux forts quant à la volonté du nouveau gouvernement de jeter les bases pour positionner Maurice à une nouvelle étape de son développement économique. Tout en privilégiant une culture de travail et de méritocratie avec, notamment, la décision phare de faire des appels à candidatures pour certains postes dans des entreprises publiques.
 
Et le deuxième miracle économique que le ministre des Finances souhaite rééditer ?
 
On peut le qualifier de miracle économique, de croissance forte ou de boom économique ; la terminologie importe peu. Ce qui est important, c’est la mise à exécution de ces projets pour qu’ils ne soient pas perçus comme des effets d’annonce par la population. C’est une des conditions pour réussir ce deuxième miracle économique.
 
J’estime que le gouvernement pourrait songer à préparer un Master Plan autour de ces mesures et l’appliquer selon un calendrier qui bénéficiera à tout le monde.
 
Il n’y a pas de recettes magiques. Il faut travailler dur et bien pour doper la croissance économique. Celle-ci se fera avec la population et les efforts que celle-ci sera appelée à fournir.
 
On assiste actuellement à la chute de l’euro et au démarrage d’un premier programme d’assouplissement quantitatif dans la zone euro pour doper son économie à terme. Quelle est votre lecture de cette situation ?
 
J’ai travaillé dans le centre financier de Londres au début des années 2000. En tant qu’économiste, j’ai eu l’occasion de faire des prospectives économiques pour des pays de la zone euro.
 
Cela dit, il faut comprendre que lorsqu’on parle de l’euro, il y a plusieurs éléments qui entrent en jeu pour déterminer sa valeur. D’une manière générale, on va dire que ces facteurs vont de l’inflation au taux de chômage, de la stabilité financière à la production domestique, bref, tout un ensemble de variables économiques.
 
Le taux d’intérêt n’est pas le seul élément susceptible de déterminer le taux de change en Europe. Actuellement, il y a les risques de déflation dans des pays de la zone euro, et ce, dans une conjoncture économique où l’avènement d’un gouvernement anti-austérité en Grèce provoque de l’incertitude dans cette zone, tout en exerçant des pressions sur la monnaie unique européenne.
 
Il est clair que l’introduction d’un programme d’assouplissement quantitatif entraînera dans un premier temps une baisse dans la valeur de l’euro, avec possiblement une reprise dans un deuxième temps, si toutes les conditions sont réunies.
 
Aujourd’hui, on s’interroge sur la pertinence de ce programme et sur ses chances de réussite. Dans la zone euro, chaque État a son propre niveau de développement. Ils sont loin d’être homogènes, avec le poids de l’euro réparti essentiellement entre l’Allemagne et la France. Or, le succès du programme de QE (Quantitative Easing) aux États-Unis a été une réussite grâce à la structure économique plus homogène de ce pays et aux mesures additionnelles qu’ils ont introduites durant les trois dernières années. Avec pour résultat que ce programme a permis de revivifier l’économie américaine.
 
Et les implications pour les opérateurs économiques mauriciens ?
 
Bien évidemment, la baisse de l’euro va influer sur le taux de change de la roupie. Déjà, la monnaie européenne s’est dépréciée de 7 % contre le dollar, depuis le début de l’année. Idem pour la roupie qui s’est dépréciée de 3 % contre le dollar pour la même période. En revanche, la monnaie locale s’est appréciée de 4 % contre l’euro.
 
Selon les experts internationaux, ce phénomène d’appréciation du dollar contre l’euro risque devrait se poursuivre. Par ailleurs, un resserrement dans la politique monétaire n’est pas à écarter aux États-Unis à court et moyen termes.
 
En revanche, je note que la Banque centrale a procédé à des baisses surprises dans les taux directeurs en Inde et au Danemark, et a aussi procédé à un certain assouplissement dans la politique monétaire à Singapour. Cette démarche devrait aider à booster la croissance de leurs marchés respectifs, et cela dans un environnement où il n’y a pas de risques inflationnistes pour le moment.
 
Les implications de la chute de l’euro doivent par ailleurs inciter les compagnies locales à se tourner de plus en plus vers des forward contracts pour mieux se protéger contre les risques liés aux fluctuations de taux de change. C’est une pratique de hedging dont beaucoup d’entreprises n’ont pas encore pris avantage, alors que les résultats auraient pu s’avérer positifs dans bien des cas.
 
La réunion du Monetary Policy Committee (MPC) prévue le 9 février a été renvoyée en raison de la présentation du Budget le mois prochain. Il y avait beaucoup d’attentes quant à l’issue de cette réunion, plus particulièrement de la part des exportateurs qui tablaient sur une baisse du Key Repo Rate et d’autres interventions de la Banque de Maurice. Comment analysez-vous cette situation ?
 
À la dernière réunion du MPC, le 27 octobre 2014, les membres de ce comité avaient à l’unanimité décidé de garder le taux directeur inchangé à 4,65 %.
 
Pour la prochaine réunion, dont on ne connaît pas la date, compte tenu de la conjoncture locale et internationale, ce sera a very delicate balancing act de la part du MPC.
 
En tant qu’analyste indépendant, je note déjà des opinions divergentes quant à la problématique du taux d’intérêt. Ceci dit, il faut se rendre à l’évidence qu’aujourd’hui certains indicateurs, voire des tendances économiques, nous dictent à être rationnels face à cette question.
 
Il y a d’abord le contexte local, où il n’existe pas pour le moment de risques inflationnistes avec un taux d’inflation de 2 %. Ajouté à cela, il y a le cours du brut qui a lourdement chuté sur le marché international et dont les effets se font déjà positivement sentir, tout au moins chez les automobilistes et chez les consommateurs industriels (NdlR, surtout la STC). Parallèlement, il y a la question de l’excès de liquidités, qui exerce toujours des pressions sur la stabilité financière du pays, ou encore le taux d’épargne national, qui reste à un niveau dramatiquement bas.
 
En revanche, au niveau international, la croissance globale reste toujours molle alors que la crise économique en Grèce demeure une grande source d’inquiétude pour les autres pays de la zone euro. Sans compter au passage la chute de l’euro. Compte tenu de tous ces intérêts, souvent conflictuels, je pense que les membres du MPC privilégieront une baisse du taux directeur.
 
Reste l’emploi, où le chômage a atteint un taux national de plus de 7 % alors qu’un chômeur sur quatre est jeune. C’est une situation qui doit vous interpeller ?
 
Oui et non. Je ne suis pas si inquiet pour la situation de l’emploi de jeunes à Maurice car si on analyse la répartition de jeunes chômeurs par rapport à la structure de ce taux de chômage, on verra que chez les jeunes de plus de 30 ans, le niveau de chômage n’est pas si dramatique. En revanche, on remarque que pour les jeunes âgés de 16 à 24 ans, le taux de chômage est de plus de 26 % alors qu’entre 25 et 29 ans, il est de plus de 11 %.
 
Il est évident que, par rapport à cette catégorie de jeunes de 16 à 24 ans, ce sont surtout ceux qui sont en fin de cycle d’études ou qui n’ont pas complété leur scolarité. Ils n’ont pas nécessairement complété une formation de base leur permettant de trouver un emploi facilement.
 
Certes, il y a urgence de la part des autorités à identifier des programmes de formation taillés sur mesure afin que ces jeunes puissent se retrouver dans le marché du travail.
 
Quant aux diplômés chômeurs, ce n’est pas nouveau. Il y a eu toujours un décalage entre leur champ d’expertise et les besoins de formation du marché.
 
On ne cessera pas de dire que pour combattre le chômage, il faut faire grandir l’économie et créer les conditions pour doper l’investissement et donc la croissance à travers des mesures de relance.