Publicité

Bérenger: «Peut-être que si Collendavelloo avait pesé de tout son poids dans la balance, nous aurions été seuls aux élections»

25 novembre 2014, 22:26

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Bérenger: «Peut-être que si Collendavelloo avait pesé de tout son poids dans la balance, nous aurions été seuls aux élections»

La présente campagne électorale devrait être la dernière pour au moins deux leaders politiques. L’occasion de les suivre durant une journée. Les contacts ont donc été pris avec sir Anerood Jugnauth, leader de l’alliance Lepep, via son secrétaire général Nando Bodha qui a estimé la chose possible tout en la trouvant prématurée, avec Navin Ramgoolam, leader de l’alliance de l’Unité et de la Modernité à travers ses conseillers Subash Gobine et Kailash Ruhee, avec Paul Bérenger, leader du MMM, et avec Xavier-Luc Duval, leader du PMSD, qui a préféré voir comment allait s’articuler le premier exercice avant de se prononcer.

 

Le premier à répondre positivement a été Paul Bérenger qui en est à sa dixième élection. Rendez-vous a été pris le jour du dépôt des candidatures, le lundi 24 novembre, à son domicile de River Walk. Il a abordé tous les sujets mis sur la table, y compris les aspects les plus personnels de sa vie.

 

 

Vous n’êtes pas fatigué ?

 

Je dois avouer que jusqu’à hier (dimanche 23 novembre), je me sentais un peu fatigué. J’ai «volé» une demi-journée à la suite du congrès pour les personnes du troisième âge au centre Swami Vivekananda et après un déjeuner rapide, j’ai fait un bon sommeil qui m’a permis de récupérer pour tout le reste de la campagne. En fin d’après-midi, mes enfants, hormis Julie, et mes petits-enfants – Mahé et Tiago, les fils d’Emmanuel qui sont deux bandits, et Killian, le bébé de Joanna, âgé de cinq mois – ont passé la soirée chez moi.

 

Un faible particulier pour l’un de vos petits-enfants ?

 

Je les aime pareillement. Je vois mes enfants et mes petits-enfants au minimum une fois par semaine.

 

Il y a sans doute des moments importants dans la vie de vos enfants que vous avez ratés en raison de votre engagement politique. Le regrettez-vous ?

 

Non, il a fallu faire des sacrifices, c’est vrai. Mais c’était un choix.

 

Où en êtes-vous avec le cancer ?

 

Mon début de cancer a été éliminé. Je n’ai pas de médicaments à prendre mais un check-up annuel en début d’année. Le prochain, je le ferai soit à Maurice car nous sommes bien équipés de nos jours, soit en France.

 

Selon la rumeur, vous auriez contracté un emprunt pour aller vous faire soigner en France ?

 

Ce n’est pas vrai. J’ai eu de l’aide d’une demi-douzaine d’amis genuine. Deux gouvernements étrangers m’ont offert de prendre en charge mes soins et, tout en les remerciant, j’ai refusé. J’ai été grandement aidé par mes enfants.

 

La fortune personnelle de Paul Bérenger est donc un mythe ?

 

Totalement. J’avais une maison à côté de l’église du Rosaire, à Quatre-Bornes, que j’ai vendue pour acheter une autre maison que j’ai aussi revendue pour acheter celle-ci, à River Walk. A part cela, je n’ai pas d’autres biens. J’ai quelques petites dettes que j’espère ne pas laisser à mes enfants.

 

De vrais amis lorsque l’on fait de la politique, cela existe-t-il ?

 

Bien sûr qu’ils existent. Ils ne sont pas nombreux – je vous ai parlé d’une demi-douzaine – mais ils ne demandent rien et n’attendent rien en retour aussi.

 

Pourquoi avoir largué sir Anerood Jugnauth pour Navin Ramgoolam ?

 

Je ne dirai pas les choses ainsi. Le choix du Parti travailliste a été dicté non pas à cause de Navin Ramgoolam mais à cause du parti. Et ce que je dis là n’est pas nouveau. Allez voir un des premiers éditoriaux que j’ai écrits en 1969 où je disais que le PTr du milieu des années 30 était le vrai PTr, qu’il avait ensuite dévié et que je voulais que le MMM reprenne cette lutte.

 

J’ai toujours été en contact avec le PTr. Même au plus fort de nos actions syndicales, il y avait des contacts entre le bolom et nous (NdlR, entre sir Seewoosagur Ramgoolam et le MMM). Tout au long de notre histoire, nous étions en contact permanent avec d’autres interlocuteurs du parti, comme sir Veerassamy Ringadoo et Harold Walter. Il n’est donc pas étonnant, qu’en 1995, nous avons contracté une alliance avec le fils du bolom. Malheureusement, nous n’avons pas réussi à aller jusqu’au bout. Mais les torts sont partagés.

 

Comment cela ?

 

A l’époque, Navin Ramgoolam était un nouveau venu en politique. Il n’avait jamais été ministre. Et soudainement, il se retrouvait Premier ministre avec tous les pouvoirs concentrés entre ses mains. De mon côté, j’ai été trop exigeant. J’aurais dû avoir réalisé qu’il n’était pas encore prêt et qu’il me fallait donner le temps au temps. De ma part, il y a eu trop d’impatience, trop d’exigence. Vous savez, les gens pensent à tort que nous prenons des décisions délibérées, calculées. Le plus souvent, nous sommes prisonniers d’un enchaînement d’événements. Et je crois que c’est bête d’être wise after the event.

 

Vous avez tout de même court-circuité le MSM. Aviez-vous peur qu’il négocie dans votre dos avec le PTr ?

 

Laissez moi vous rappeler pourquoi le Remake 2000 n’a pas tenu bon. C’est à cause d’Anerood Jugnauth. Nous avons buté sur des points fondamentaux. Le premier concerne l’unité nationale. Vous ne réalisez pas à quel point SAJ a fait des dégâts et a manqué de respect aux communautés.

 

Lors de nos discussions qui allaient déboucher sur le Remake 2000, SAJ était d’accord sur le fait que dans un prochain gouvernement, le numéro 1 serait lui, que je serais le numéro 2 et que Reza Uteem serait le numéro 3. Li ti fini tomb dakor. Et puis subitement en début d’année, il a exigé que son fils Pravind soit le numéro 3 à la place de Reza Uteem. La première cassure du Remake 2000 s’est produite là, le temps d’une journée. Nous ne nous sommes pas parlés. Finalement, c’est Pravind Jugnauth qui est intervenu. Il a insisté pour me voir et a blâmé son père. Ce jour-là, cette réaction d’Anerood Jugnauth a réveillé en moi des tas de choses.

 

Le deuxième point fondamental sur lequel nous avons buté est la démocratie. Rappelez-vous comment entre 2000 et 2005, lui et le MSM ont saboté le rapport du Select Committee sur la réforme électorale, préparé par Ivan Collendavelloo. Lorsque nous discutions de la question de réforme électorale en vue du Remake 2000, SAJ disait oui mais li pa ti pe mean it. Au fil du temps, bien qu’il disait être d’accord, j’ai réalisé que ce n’était que des paroles en l’air.

 

Le troisième point qui a tout fait capoter est la fraude et la corruption. Nous étions tombés d’accord sur le fait que nous n’allions pas présenter comme candidat une personne sur qui pèse une accusation logée en Cour et c’était le cas de Pravind Jugnauth avec l’affaire Medpoint. Nous étions d’accord pour qu’il y ait une demande de early trial. Dans la pratique, l’avocat de Pravind Jugnauth inn tir tout kalite l’ail et fer delaying tactics. En d’autres termes, exactement le contraire de ce qui avait été décidé.

 

Souvent lorsque vous parlez, vous l’appelez Anerood. Vous n’avez pas de hargne envers lui ou envers tout autre politicien ?

 

Je ne les considè pas comme des ennemis mais comme des adversaires. Ena dimounn ki mo meprise wi me pa dimann mwa cite bann noms. Je suis dur vis-à-vis d’Anerood en ce moment car ler enn Anerood Jugnauth kapav soizir enn Raj Dayal kouma kandida, c’est la fin de la fin!

 

Après la cassure du Remake 2000, le MMM aurait pu se présenter seul devant l’électorat et par la suite se trouver un partenaire, non ?

 

Lorsque le Remake 2000 a explosé, il y avait un fort courant au MMM pour que le parti aille seul. De nombreux membres le voulaient. D’autres avaient peur qu’il y ait une répétition de 2010 et que le MSM s’allie avec le PTr. Bien que le MSM ne représente pas grand-chose sur le terrain, avec le système électoral que nous avons, 500 voix font la différence. Peut-être que si Ivan (NdlR, Ivan Collendavelloo) ti zet tout so poids dan la balance, nou ti pou al tousel dan eleksyon.

 

Le bureau politique, c’est une intelligence collective à l’œuvre tous les lundis. En raison de sa santé dont il n’est pas responsable, Ivan était souvent absent. Mais pour les rares fois où il était présent, c’est triste à dire, il dormait souvent.

 

Ivan Collendavelloo avait-il à l’époque votre oreille à ce point-là ?

 

Oui, n’oubliez pas qu’avant tout, c’est lui et moi qui avons stoppé la dérive du judiciaire avec l’arbitrage payant. C’est très largement à cause de nous.

 

Vous ne vous comportez pas en autocrate pendant le bureau politique alors ?

 

C’est une fausse impression. Mais lorsque je dois engueuler quelqu’un, je le fais. Si travay inn mal fer, mo pou fou enn bez. Par exemple en ce moment, si enn kandida pa reponn mo telefonn, mo pou fou enn bez.

 

Avez-vous vu le clip Vire Mam ?

 

Je ne l’ai pas regardé. J’estime que c’est enfantin. Tout comme je suis opposé à Facebook. Les clips et Facebook, ce sont des outils anti-réflexion, des plateformes pour s’insulter. Moi, ces choses là m’attristent. Si mo bizin gagn enn viktwar ar bann zoutil parey, mo prefer pa gagne.

 

Vire Mam rappelle à quel point vous étiez virulent envers Navin Ramgoolam, dénonçant des ‘scandales’, dont celui de Nandanee Soornack. Vous êtes conscient d’avoir transféré lesdits scandales sur votre dos en vous alliant à Navin Ramgoolam ?

 

Jamais je ne mettrai mon nez dans la vie privée d’une personne car c’est impossible de porter un jugement. Ce n’est pas mon rôle. Mais quand la vie privée a un impact sur la vie publique, chacun doit assumer ses responsabilités. Cela dit, nommez moi enn debut de scandal somewhere ou enn debut de copinage depi ki nounn rant en alians? Pa pou ena li. Nou pa kapav efas le passe me elektorat pou juge si nou lakord electoral full proof et mo sir ki sa pou le cas et ki nou pou aplik li.

 

 

Et dans l’hypothèse que votre scénario de partage de pouvoirs ne suscite pas l’adhésion populaire ?

 

Depuis toujours, je suis en faveur d’un partage de pouvoirs entre le président de la République et le Premier ministre. Plusieurs pays fonctionnent ainsi. Un exemple : après les événements terroristes de septembre 2011, les Etats-Unis ont fait pression sur les pays pour qu’ils votent une loi anti-terroriste. Nous avons présenté une telle loi. Cassam Uteem, qui était alors président de la République, n’était pas d’accord et a démissionné. Vous pouvez être sûr que si nous avions un partage de pouvoirs tel que nous le préconisons dans notre accord électoral avec le PTr, nous aurions trouvé une solution à l’époque et Cassam Uteem n’aurait pas démissionné.

 

La rumeur veut que le MSM soit en train de gagner du terrain dans les régions rurales. A ce rythme-là, le MMM, qui est très fort en régions urbaines, risque d’avoir plus de députés que le PTr. Cela ne posera-t-il pas problème entre partenaires ?

 

Ecoutez en l’an 2000, le MMM avait plus de députés que le MSM et cela n’avait rien changé à la situation.

 

Votre projet de IIe République passe mal. Dans l’hypothèse où vous êtes élus mais n’obtenez pas la majorité des trois quarts, qu’arrivera-t-il ?

 

La question ne se pose pas car nous nous dirigeons vers un 60-0. Votre scénario n’est pas une probabilité mais il est possible qu’il soit dans le domaine des possibilités. Navin Ramgoolam et moi sommes deux adultes, deux patriotes. Nous nous mettrons autour d’une table et nous déciderons: soit il restera Premier ministre et je serai son vice-Premier ministre pendant cinq ans, soit il voudra tout de même aller à la présidence et je serai Premier ministre pendant cinq ans, soit nous ferons une côte mal taillée, c’est-à-dire deux ans et demi chacun comme Premier ministre. Mais comme je vous l’ai dit, il est clair que nous nous dirigeons vers un 60-0.

 

Si au final, vous n’arrivez pas à vous entendre ?

 

Et bien, il y aura une crise politique majeure. Mo pa prevoir sa ditou. Mo pa souhaite li non pli. Me si li arrive, li pa pou premie pei kot sa arive.

 

On attend toujours votre programme.

 

Je ne comprends pas pourquoi on en fait une affaire d’Etat. Nous allons le présenter bientôt mais l’essentiel de notre programme figure déjà dans notre accord électoral et il n’y aura rien de nouveau. Lor fundamentals li dan nou lakord et nou pa pou sanze.

 

Il paraît que vous passez encore mal auprès d’un certain électorat. Cela ne vous embête-t-il pas que la couleur de votre épiderme pourrait encore jouer contre vous en 2014 ?

 

Li ti enn issue politik otrefwa ek li ti very unfair ek emmerdant. Mais je pense qu’aujourd’hui, cela ne compte plus du tout. Il y a certaines personnes qui se prononcent contre moi, non pas en raison de la couleur de mon épiderme mais simplement parce qu’elles ont des vested interests et pensent que leurs intérêts sont menacés. Autrement, je crois que la population a surmonté cela. J’en suis même sûr à 100%.

 

C’est contradictoire ce que vous dites car les partis politiques, dont le MMM, continuent à aligner des candidats en fonction du profil ethnique de leur circonscription.

 

Je condamne les personnes qui nourrissent le communalisme et la division. Malheureusement, le communalisme existe et tous les partis politiques l’appliquent lorsqu’ils alignent leurs candidats. La seule différence est que je le fais franchement et ouvertement.

 

Une formule pour qualifier vos adversaires actuels et anciens. SAJ ?

 

Tough ek rough ek danzere, li met en danzer bann zafer. Li brit !

 

Pravind Jugnauth ?

 

Nul aujourd’hui et à jamais.

 

Xavier-Luc Duval ?

 

Ayo, enn bon vivant. Il n’a pas de flamme. Ce n’est pas un mauvais bougre mais il est sans envergure.

 

Ivan Colledavelloo ?

 

Ayo, ça mo triste... Vremem li krwar li pou kapav sov le MMM.

 

Shakeel Mohamed ?

 

Nounn byen clash dans le passe me mo byen kontan kot nounn arive. Mo finn pran enn distans, monn depersonaliz le problem. Ankor enn fwa, se bann eveneman ki ti amenn nou kot nounn arive. Sa montre ou byen ki mo pena la haine pou personn.

 

Dan Callikan ?

 

Ramgoolam ek mwa inn tomb dakor ki pou arive apre eleksyon. La MBC est une institution fondamentale. Elle doit être indépendante et respectée. La MBC Act est une bonne loi mais son application est nulle.

 

Pourquoi êtes- vous intraitable envers la presse et ceux qui ne pensent pas comme vous ?

 

Je suis un historien et un journaliste. Il n’y a pas de vérité absolue en histoire car des années plus tard, on peut découvrir quelque chose ou un document qui apporte un nouvel éclairage et modifie l’histoire. Le journaliste a le devoir de rechercher la vérité. C’est sacré. J’ai fréquenté l’école de journalisme de Paris où l’on sépare complètement l’information de l’opinion. Même si je ne suis pas d’accord avec une opinion et que je ne la respecte pas, chacun a le droit d’avoir et d’exprimer son opinion. Mais mélanger l’information à l’opinion comme le font certains journalistes, c’est de la manipulation pure et simple de l’information.

 

Quelle est votre hantise pour le pays ?

 

Je n’ai pas de hantise pour le pays. Je veux faire de ce pays un modèle, un pays phare et résoudre en priorité les problèmes d’eau et d’électricité. Et les Mauriciens savent que quand je me mets au travail, je ne lâche pas prise.

 

Ma hantise est mondiale. La menace nucléaire me fait peur. Puis il y a le nuclear safety et tous les déchets nucléaires qui se baladent. C’est une catastrophe in waiting. Et finalement, je crains le changement climatique.

 

Il faut penser à la fragilité des choses. J’y pense souvent, notamment à un certain mois de septembre 1969 pendant la visite de la princesse Alexandra. Je manifestais et quand la police a chargé, j’ai réussi à me sauver. Dans l’après-midi, j’étais à Port-Louis et je me suis retrouvé en face de gros bras d'un parti et j’étais isolé. Ils m’ont roué de coups. A un moment, l’un d’eux a tiré un couteau. Li dir so leader: 'Mo pike ?' J’aurais pu avoir perdu la vie ce jour-là si son leader ne l’avait pas arrêté. Mo pa per narien pou mwa.

 

On ne voit plus Mme Bérenger.

 

 Nous sommes séparés depuis des années. Mais nous avons de très bonnes relations.

 

Vous arrive-t-il de vous sentir seul ?

 

Non, j’ai des enfants, des petits-enfants et des amis(es). Mais avant tout, c’est la famille.

 

Est-ce votre dernière élection ?

 

Mo espere me pa sir ditou. Ce que je veux, c’est faire de Maurice un modèle. Après nous verrons car j’aurais atteint mes 75 ans. Si demain je ne suis plus leader du MMM et Premier ministre, je continuerai à faire le tour du monde international sur le Net. Si après cinq ans, on a encore besoin de moi, je pourrais aider. Car je ne sens pas le poids de l’âge. Je me sens plus en forme que jamais.