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Naresh Servansing «Team Leader» au sein de l’Overcoming Technical Barriers to Trade (Bruxelles): «Si les pays des ACP ratent le train, ils seront marginalisés»

23 septembre 2014, 00:04

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Naresh Servansing «Team Leader» au sein de l’Overcoming Technical Barriers to Trade (Bruxelles): «Si les pays des ACP ratent le train, ils seront marginalisés»

Améliorer la compétitivité et l’accessibilité des exportateurs du bloc Afrique, Caraïbes et Pacifique sur les marchés d’exportation. Tel est le principal objectif de l’Overcoming Technical Barriers to Trade Programme.Naresh Servansing, Team Leader, évoque les moyens facilitateurs mis en place.

 

 

Quels sont les domaines prioritaires qui sont ciblés par l’Overcoming Technical Barriers to Trade Programme ?

 

Le programme vise à soutenir le développement des institutions associées à l’infrastructure qualité, à renforcer la capacité des opérateurs économiques de même que les secteurs d’exportation. Enfin, il se charge d’assurer la diffusion de bonnes pratiques et d’expériences réalisées dans le domaine des systèmes de qualité.

 

Le programme finance déjà quelque 28 projets tant dans le domaine de la création de capacité en matière de métrologie que dans les domaines de la normalisation, de l’établissement de procédures de conformité, dont la certification, les essais, l’accréditation, entre autres. Le programme appuie également les efforts des pays faisant partie du bloc Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP), pour ce qui est de la consolidation de leurs systèmes de qualité. Il examine toutes les requêtes d’assistance émanant des pays des ACP.

 

 

Quels sont les principaux obstacles qui empêchent les produits provenant des pays des ACP d’évoluer sur un pied d’égalité avec leurs concurrents des pays avancés ?

 

L’exigence en matière de qualité, de sécurité, de protection de la santé humaine, de traçabilité, de transparence pour ce qui est des aliments, par exemple, et l’instrumentalisation du commerce pour le respect des valeurs sociétales comme le développement durable, ou les droits de l’homme sont à l’origine de tout un arsenal de barrières techniques au commerce.

 

Ces barrières ont pour but de réglementer le flux commercial au regard des considérations de santé ou de sécurité locale. Celles-ci doivent être en conformité avec les dispositions de l’Accord de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) par rapport aux Obstacles techniques au commerce.

 

La situation est devenue plus complexe avec l’introduction progressive de nouvelles couches d’exigences normatives ou de règles techniques. Celles-ci sont dictées par les marchés formés par exemple par les multinationales, les chaînes de distribution des supermarchés ou par des ONG qui sont capables de faire pression sur des marchés. Les demandes qui exigent la conformité des produits ne sont pas réglementées par les autorités compétentes.

 

Leur application augmente les coûts de production des pays des ACP. Il n’est pas exclu que ces demandes puissent servir à des fins protectionnistes. Par exemple le label de proximité sous guise de climate change-neutral pénalise les produits alimentaires frais en provenance d’Afrique au profit des producteurs européens dont les coûts de production ne sont pas compétitifs.

 

Les règles sur la non-mixité des matières premières pour ce qui est du sucre font que le coût du transport devient non-viable pour un petit exportateur qui ne peut remplir la cale d’un bateau avec un chargement de sucre non-raffiné de son pays. Auparavant, un bateau pouvait prendre la cargaison d’un autre pays, partageant ainsi les coûts. L’exportateur doit soit payer le prix total pour une cargaison sub-optimale soit laisser tomber la transaction. C’est cette prolifération de barrières non tarifaires qui, aujourd’hui, caractérise le commerce international. Elle pénalise les exportateurs des pays des ACP.

 

 

Tandis qu’à l’île Maurice, on promeut le label Made in Moris, on est de plus en plus confronté aux réalités de la chaîne de production globale. Quelles sont les caractéristiques de ce nouvel ordre de production ?

 

L’économie mondiale est de plus en plus interconnectée et interdépendante. La globalisation entraîne l’intégration des marchés à travers le commerce des biens et des services, le flux des capitaux, y compris l’investissement direct étranger (FDI) la technologie et l’information. Ce phénomène d’intégration est beaucoup plus ressenti au niveau du système commercial multilatéral où les échanges commerciaux dans les trois dernières décennies ont crû deux fois plus vite que le produit intérieur brut.

 

Trois facteurs ont contribué à cette tendance, notamment la libéralisation du commerce à travers l’érosion des barrières tarifaires, la prolifération des accords de libre-échange régionaux et les méga accords commerciaux comme les accords transatlantiques Union européenne-États-Unis et trans-pacifique US-pays du Pacifique et finalement l’émergence des Global Value Chains, les chaînes de valeurs globales. Cette interdépendance de la production mondiale exige un nouveau cadre réglementaire pour réguler le commerce et permettre ainsi l’assemblage harmonieux des produits finis.

 

Dès lors, on imagine le rôle prépondérant des normes ou standards dans cet environnement et celui de la nécessité d’une convergence réglementaire au niveau des règles techniques pour l’application des procédures en matière de compatibilité, de sécurité, de traçabilité et de l’inter-opérabilité dans les chaînes de production.

 

Ce nouvel ordre mondial est donc caractérisé par une multiplication des barrières non tarifaires à travers lesquelles les firmes multinationales gèrent de façon optimale les chaînes de production. En l’occurrence, elles définissent en amont les règlements techniques et les normes auxquelles doivent se conformer les entreprises en aval.

 

C’est de cette manière qu’elles parviennent à contrôler et à réguler les différentes tâches – le multitasking – qu’elles ont distribuées au niveau des branches de leur chaîne de distribution installées dans différents pays. Ce qui donne lieu à l’émergence d’une compétition féroce parmi les opérateurs qui évoluent au plus bas de la chaîne et qui sont désireux de s’approprier une part de marché. Ceux qui sont susceptibles de faire la différence sont ceux qui peuvent se hisser au niveau de la compétitivité, relevant ainsi leur capacité à honorer les exigences techniques et normatives requises par ces grandes firmes. D’où la nécessité de recourir à la mise à jour de son mode d’opération à travers une politique de qualité et d’innovation.

 

 

C’est une posture qui permet de se positionner en vue d’obtenir plus de valeur ajoutée dans les exportations. Ceux qui n’arrivent pas à se conformer à ces standards restent en marge de ces nouvelles chaînes de valeurs.

 

 

Les possibilités pour des États insulaires comme Maurice de tirer profit de cette chaîne de production globale sont-elles réalisables ?

 

Avec l’émergence de ces chaînes de valeurs globales, l’intégration verticale n’est plus à l’ordre du jour des grandes firmes. Fini le temps où tout le processus de fabrication d’un produit s’effectuait sous un même toit. La production est donc subdivisée en de multiples tâches. Celles-ci sont réparties le long d’une chaîne dont les différents maillons sont localisés dans différents pays. Le commerce mondial est aujourd’hui caractérisé par l’échange de produits intermédiaires et non de produits finis.

 

Dans cette perspective, ces chaînes de valeurs globales offrent, à la fois, des opportunités et des défis aux petits États. Ils peuvent désormais, s’ils ont l’intelligence et le niveau de compétitivité voulu, s’intégrer à ces chaînes en se spécialisant dans une ou deux tâches spécifiques. Ce n’est plus nécessaire pour Maurice de produire des voitures entières ou des avions pour intégrer ces chaînes de production.

 

Mais ceci implique la mise en place d’une politique d’industrialisation qui peut s’appuyer sur l’innovation et une infrastructure qualité très performante, parcours indispensable pour se conformer à la demande qui change régulièrement. Aussi, la compétition est rude parmi les pays pour intégrer ces chaînes de valeurs globales. La réussite des pays de l’Asie du Sud-Est résulte justement de leur capacité à s’intégrer à ces chaînes de production et de perpétuellement mettre à niveau le degré de leur participation dans le but d’augmenter la possibilité de créer davantage de valeur ajoutée.

 

 

Quels changements les pays ayant réussi ce parcours somme toute périlleux ont-ils dû effectuer pour prendre leur part du gâteau de cette chaîne de production globale ?

 

Les pays qui ont su développer une stratégie de connectivité à ces chaînes de valeurs globales ont le plus profité. La stratégie politique doit orienter les investissements en direction de l’innovation et de la consolidation de l’infrastructure-qualité. L’innovation dépendra de la capacité d’un système d’éducation à faciliter la transition vers une société qui a fait du recours aux technologies une voie obligée de son développement futur.

 

La mise en place d’un cadre réglementaire qui prône la facilitation du commerce est nécessaire pour qu’il n’y ait pas de blocages, par exemple à la douane. Les chaînes de valeurs globales dépendent de la fluidité dans les échanges commerciaux. Si pour une raison ou une autre, un blocage est noté à un niveau donné, c’est toute la chaîne qui est affectée. Qu’à cela ne tienne, la stratégie ne doit pas se limiter qu’à un repositionnement de la dimension horizontale du mode de production des pays en développement entrepris notamment au niveau de l’éducation, de la technologie, de la facilitation du commerce et du business.

 

L’exploitation d’une dimension verticale est indispensable. En raison de notre retard technologique, il nous est nécessaire de répertorier les filières gagnantes. Tout comme les pays de l’Asie qui ont ciblé l’électronique, d’autres doivent en faire autant en identifiant les secteurs ou des produits où ils ont un avantage comparatif et procéder par la suite à une remise à niveau de leur capacité dans ces créneaux.

 

 

Après l’abolition du protocole sucrier et l’évocation des possibilités de signer des accords de partenariat commercial, l’espoir donné à des pays des ACP a-t-il constitué une véritable ouverture ?

 

Les accords de partenariat économique avec l’UE répondaient tant à des exigences légales au niveau de l’OMC qu’au désir d’émergence d’un nouveau type de partenariat. Les accords à préférences non réciproques ne pouvaient être justifiés au niveau de l’OMC sans dispense.

 

L’UE a proposé une approche qui cumule réciprocité et développement. Elle a poussé très loin son ambition sur la réciprocité tandis que les pays ACP en ont fait autant par rapport au volet développement. D’où l’origine de la tension qui s’est installée et qui persiste encore. La solution passera par un ajustement du niveau d’ambition de part et d’autre. Mais en général, ce sera aux pays ACP de faire l’effort de réforme chez eux car le système de préférence tarifaire n’est plus une alternative viable même au sein des accords de libre-échange. Ce type d’accord a une vocation autre que celle associée à l’abattement tarifaire.

 

Il s’agit d’une intégration en profondeur. Celle-ci implique la réforme qui doit être entreprise au-delà des frontières où justement prennent effet les barrières non tarifaires. Cela passe notamment par une remise à niveau du cadre réglementaire, l’harmonisation et la reconnaissance mutuelle des normes et les règles techniques, la facilitation du commerce et les droits de propriété intellectuelle, entre autres.

 

Les négociations des accords au sujet du Partenariat transatlantique de Commerce et d’Investissement, le TTIP et l’Accord sur le commerce des Services, le TISA, se concentrent d’avantage sur la convergence réglementaire que sur les tarifs. Si les pays des ACP ratent le train, ils resteront marginalisés.