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Marcel Cabon: Namasté, avec respect

14 septembre 2014, 18:30

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Marcel Cabon: Namasté, avec respect

Entrer dans L’Atelier d’écriture par la porte scientifique. C’est la direction que prend le nouveau numéro de la revue dirigée par Vicram Ramharai et Bruno Jean-François. Marcel Cabon écrivain d’ici et d’ailleurs vient de paraître dans la collection «Essais et critiques littéraires».

 

Ne vous effrayez pas. Si toutes les signatures sont celles d’universitaires, c’est pour mieux «aller plus loin dans (la) compréhension et (l’) interprétation d’une oeuvre littéraire dont certains aspects sont longtemps restés dans l’ombre, sans doute injustement», écrivent en introduction les directeurs de la revue.

 

Et quoi de plus concret que ce constat dressé par Vicram Ramharai, responsable du département de français au Mauritius Institute of Education ? «En 2013, des enseignant(e)s mauricien(ne)s m’ont confié qu’ils/elles éprouvaient des difficultés à expliquer Namasté (1965) de Marcel Cabon en classe parce que, de même que leurs élèves, ils/ elles ne se retrouvaient pas dans l’univers décrit. Ce qui était étranger et étrange pour une catégorie de lecteurs de l’époque le reste toujours pour une catégorie de la nouvelle génération de Mauriciens.»

 

Questions bêtes d’ancienne élève qui n’aura jamais fini d’apprendre : est-ce parce qu’il ne se «retrouve» pas dans un univers qu’un prof bute en classe ? Comment fait-il s’il doit enseigner une oeuvre racontant le quotidien d’Esquimaux vivant au fin fond de l’Alaska ?

 

N’est pas plutôt l’analyse en classe de l’histoire des préjugés hérités du colonialisme et de la plantocratie, de l’esclavage et de l’engagisme, qui rebute ces profs ? Sinon comment expliquer que Marcel Cabon fasse toujours tiquer, 48 ans plus tard, avec ses «langouti» et «baboudji», ses «maïdans» et ses «thowlias».

 

Autre observation : le parallèle entre le mainstream des années 1960 et la nouvelle génération qu’établit Vicram Ramharai n’est pas innocent. Il renvoie sans pitié à la colonisation des mentalités, à cette uniformisation du monde à laquelle n’échappe pas la nouvelle génération. Ni ses aînés.

 

En prime, Vicram Ramharai nous livre une critique de la critique contemporaine de Namasté. «La première, majoritaire et influente (Le Cernéen, Le Mauricien, l’express) est contrôlée par le Centre ; et la seconde (Advance), minoritaire et toute aussi influente auprès des membres de la périphérie, est contrôlée par cette dernière.» L’essayiste ne manque pas de rappeler le refus essuyé par Marcel Cabon dans ses tentatives de faire publier Namasté en France. Ce qui ne l’a pas empêché, selon Ramharai, de «décentrer le regard du Centre local. Avant lui, les romanciers mauriciens mettaient l’accent uniquement sur les Blancs dans leurs récits (…) Pour la première fois dans l’histoire littéraire de l’ère coloniale, les Indiens se sont installés au centre du récit».

 

Homme des contrées littéraires peu explorées. Bruno Jean-François souligne pour sa part qu’il est «un des rares à avoir abordé, dans la littérature mauricienne d’expression française, la question de l’esclavage d’une manière aussi directe et aussi crue».

 

«Namasté», un ouvrage qui a passionné des générations d’élèves. Pour le plaisir, voici le début de ce roman emblématique. Avec le souhait qu’il donnera envie de lire et de relire Cabon.

 

«Il y avait ce village sans Ram et il y a eu ce village avec Ram. Comment était le village sans Ram ? Ils n’auraient pu le dire au juste. Ce qui était sûr, c’est qu’il n’était pas facile d’imaginer le village sans Ram que de l’imaginer sans le manguier du pendu. D’où venait-il ? On avait bien trop à faire pour le lui demander. Au reste, zaffaire mouton n’a pas zaffaire cabri. C’était bien assez qu’il fût là, lui qui n’avait pas toujours été là et qui n’était pas le marchand ambulant, – le vieux Cassim qui a une charrette à bourrique et crie si doucement «Bracelets» ou «Crépons» que la campagne s’enfonce un peu plus dans le sommeil où l’a plongée le soleil de midi.»