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Gaëtan Siew, membre de Ensam: «Je ne serai jamais un bon politicien»

24 juillet 2014, 13:18

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Gaëtan Siew, membre de Ensam: «Je ne serai jamais un bon politicien»
Il était une fois le rêve d’un célèbre architecte qui avait décidé de se lancer dans l’univers cauchemardesque de la politique. Pourquoi? Comment? Dans quel but? Rencontre. 
 
Comment un architecte se retrouve-t-il à tirer des plans sur la comète dans un think tank? 
 (Sourire) Ah, mais c’est la vocation même de tout architecte: traduire l’imaginaire des hommes dans la réalité. Nous sommes des passerelles, nous rassemblons des imaginaires éparpillés pour concevoir un projet réaliste. Cette démarche peut s’appliquer en toute chose, à un projet de société par exemple.  
 
Quelle est la passerelle de l’architecture à la politique?  
Elle est naturelle. Ce que vous appelez politique, pour moi, c’est faire mon métier d’architecte, c’est-à-dire essayer d’améliorer la vie des gens. Plus j’avance dans ma carrière, plus je m’intéresse à ce qui entoure les bâtiments, c’est-à-dire la ville et ses habitants. Penser la cité, c’est faire de la politique. Mais pas comme on l’entend habituellement. Au sein du groupe Ensam, mon rôle est donc d’animer le think tank. Je suis monté dans ce train pour mettre en relation les éléments disparates que j’évoquais tout à l’heure. Cette approche a fait ses preuves. Malheureusement, elle fait défaut dans beaucoup de projets à Maurice.  
 
Ce n’est pas le premier parti qui vous fait du pied… 
 C’est vrai, mais j’ai toujours refusé à cause de l’absence de projet et parce que l’on me  cantonne dans un rôle de quota ethnique. Là, les choses sont claires, je ne serai pas candidat. Mais tout le monde me dit que dans cette aventure, j’ai plus à perdre qu’à gagner...  
 
C’est ce que vous pensez ? 
 (Il croise les bras) Non. Je n’ai pas fait grand-chose pour mon pays. À l’étranger, j’ai contribué à beaucoup de projets et je continue à le faire. Ici, je n’ai jamais réussi à réaliser quoi que ce soit à part des bâtiments. J’ai envie de faire, envie de voir naître mon île imaginaire.   Et puis, je ne sais pas où les partis traditionnels veulent nous emmener. Je ne sens pas un cap, une vision. À Ensam, on sait où l’on veut aller. Pour nous, c’est décidé, la base, c’est l’homme. On s’interdit de penser en silo. Un exemple: les gens voient la pauvreté, les transports et l’emploi comme des problématiques distinctes. Pour moi, ce sont les trois faces d’une même chose.  
 
Ensam nu kapav sonne très obamien…  
On s’est effectivement inspiré de son «Yes we can», nous n’avons pas inventé la roue. Mais le nom officiel du parti est Ensam tout court, avec un «e» pour empower, environnement, emploi, e-governement…   
 
Avant d’être kapaviste, on vous a connu bérengiste, puis travailliste, ce qui pourrait laisser croire que vous être plus simplement opportuniste…
 (Incroyablement calme) J’ai toujours défendu les mêmes idées, celles qui concernent mes compétences: la ville comme moteur de développement, l’optimisation des ressources. Je n’ai pas d’affinités particulières avec MM. Bérenger et Ramgoolam. Je les connais, on s’est déjà rencontrés. Paul Bérenger me consultait sur certains sujets lorsqu’il était Premier ministre, mais c’est tout.  
 
C’est bien beau de claironner que nu kapav, mais ou, ki ou kapav?  
Ensam a un projet de société. Pour le réaliser, il faut mobiliser des énergies, libérer des potentiels, je suis là pour ça. Un exemple: les femmes ne contribuent qu’à 20% de l’économie de Maurice en termes de valeur ajoutée. On s’interroge. Qu’est-ce qui bloque? Creusons, identifions les obstacles et faisons-les tomber. C’est ce que j’appelle optimiser les ressources. Être un facilitateur, en somme.    
 
Vous dites que l’extrême pauvreté est un problème que l’on pourrait résoudre en 5 ans…
 Oui, parce que nous avons toutes les ressources à portée de main pour régler ce problème. Y compris les ressources financières. Des économistes ont calculé que Rs 15 à 20 milliards étaient gaspillées chaque année ou pas dépensées du tout.   
 
 Un certain nombre de personnalités à vos côtés au début d’Ensam vous ont précipitamment quittés. Pourquoi?  C’est naturel. Un mouvement naissant est ouvert à tous les vents. Au fil du temps, certains se sont dit ça ne me correspond pas, c’est trop d’énergie, trop de temps, chacun a sa ou ses raisons.  
 
 Ou c’est trop intello…
Oui, aussi.   
 
Vous assumez ?
 Oui, j’assume le fait d’être un intellectuel, ce n’est pas un gros mot. Pour prétendre améliorer la vie des Mauriciens, il faut commencer par avoir un projet, et ce projet il faut le penser. Mais attention, cela ne veut pas dire adopter une démarche top-down, car ensuite il faut le tester, le rendre réalisable. Encore une fois, c’est la même démarche en architecture. D’abord, rêver, dessiner des choses qui ne sont pas réalisables. Puis ramener le rêve dans une dimension réaliste.    
 
Cela veut dire quoi être un intello qui s’assume ?
 Je sais que je ne sais pas tout ; toute ma formation est basée là-dessus. Dans mon métier, on nous apprend à faire des bâtiments pour loger des activités humaines. Mais ces activités, je ne les connais pas. Quand j’ai à dessiner un théâtre, une banque ou un hôpital, j’ignore au départ comment fonctionnent ces lieux. Si je n’apprends pas, mon projet n’est pas réalisable. Voilà pourquoi j’apprends à apprendre. Et petit à petit, vous devenez bon.  
 
 Vous vous voyez expliquer ça en meeting un 1er mai ?
 Non, je ne suis pas là pour ça. Je ne serai jamais un bon politicien, ça aussi, c’est assumé. Je ne sais pas composer avec les sensibilités, les susceptibilités.   
 
 Vu de l’extérieur, Ensam donne l’image d’un club bourgeois de doux rêveurs plus à l’aise dans la lévitation que dans l’action…  
C’est en partie vrai. Il y a de doux rêveurs dans le groupe. Leur présence est nécessaire (il insiste sur ce mot) parce qu’un beau projet doit pouvoir faire rêver. Mais il n’y a pas que des doux rêveurs. Il y a aussi des gens très carrés, des économistes, des techniciens. Le choc de tous ces gens favorise la créativité et l’innovation. Après, dès que mettez une dizaine de professionnels autour d’une table, vous n’y coupez pas: dans la tête des gens, ça fait tout de suite très salon bourgeois élitiste. (Sur un ton ironique) Les idées qui sortent de là pourront peut-être voir le jour dans un pays développé, mais certainement pas à Maurice.  
 
 Nous ne croyons pas suffisamment en nous ?
 Exactement. Prenons un exemple : nous voulons une île 100% connectée en haut débit, le WiFi pour tous et gratuit. La technologie existe, il suffit d’installer un poteau à l’île aux Cerfs. Cela peut paraître élitiste et irréalisable, pourtant, l’Estonie – qui a le même nombre d’habitants que Maurice – l’a fait il y a 15 ans. Ils ont même fait mieux, ils ont inventé Skype.  Dans la tête de beaucoup de Mauriciens, des blocages subsistent, voilà pourquoi je parle de libérer les potentiels. Heureusement, tous les Mauriciens ne sont pas comme ça. À Grand-Gaube, je connais un vendeur de légumes qui a appelé son étal  «Débrouillard and sons». Et c’est vrai que le Mauricien est débrouillard. Prenez le vendeur de plage. Il n’a pas été longtemps à l’école mais il se débrouille dans quatre ou cinq langues, il peut convertir des roubles en euro et vous rendre la monnaie en livres sterling. Il est incroyable, le Mauricien ! Nous sommes des gens extraordinaires et nous l’ignorons!   
 
C’est ce que vous ont appris vos voyages ?  
Oui, j’ai réalisé une chose: ce ne sont pas mes diplômes ni même mes compétences qui m’ont ouvert des portes à l’étranger, c’est le fait d’être Mauricien, multiculturel, d’être naturellement diplomate, de dire les choses de manière plus douce. C’est tout cela qui ouvre des portes aux Mauriciens. Nos différences, nous les vivons comme un handicap, nous ne voyons pas qu’elles sont un atout considérable. Je vais vous dire: être Mauricien est presque un privilège. Des diplômés, on en trouve des centaines de millions dans le monde. Des Mauriciens, il n’y en a qu’un million – allez, deux avec la diaspora.   
 
Ensam va-t-il céder à la nouvelle tendance de faire de la politique avec des likes?  
Ce ne sont pas les likes qui nous intéressent mais les people reached. On en est à 189 000. Si j’avais fait 25 meetings, je n’aurais peut-être pas atteint 189 personnes ! (rire)  
 
 Où allez-vous trouver les soixante candidats aux élections promis par votre leadeuse ?
 Depuis le lancement du site il y a trois semaines, on est submergé de candidatures, on doit être à plus de 600. On décortique tout ça, certaines sont plus valables que d’autres. Il faut composer avec les compétences, on ne veut pas aligner 60 médecins (rire).  
 
 Et l’argent ?  
Nous aurons trois sources de financement: les sponsors privés pour réaliser des projets spécifiques, la diaspora – 500 000 Mauriciens – qui est connectée avec nous au quotidien et le crowdfunding.  
 
 Y a-t-il une petite chance que vous soyez candidat ?
 Aucune. On me l’a souvent demandé, pas juste Ensam, j’ai toujours dit non. Deux choses me gênent. Déjà, pour pouvoir agir, il faut être élu, puis ministre. Or il y a une ambiguïté dans ce poste car vous êtes aussi député. Le ministre des Finances doit s’occuper des drains bouchés de sa circonscription. Je ne me vois pas dans ce rôle-là. La deuxième chose, ce sont ces petits mots qui reviennent tout le temps: nou bann et surtout nou bout.   Le Mauricien croit en l’hyperpuissance du politicien. Il est persuadé que ce monsieur ou cette dame, monarchique, va lui accorder des faveurs parce qu’ils sont du même parti, de la même communauté. Ces «faveurs», quelles sont-elles? Un emploi, un logement décent, un système de soins, une éducation correcte. En réalité, ce ne sont pas des faveurs! Ce sont des droits, des dus, mais le Mauricien ne les réclame pas! Au lieu de ça, il transforme les politiciens en distributeurs de faveurs.   
 
Sur le site du parti, sous la rubrique programme, l’internaute a le choix entre law & order et koripsion. Êtes-vous une filiale du MSM?
 On a des conseillers en communication qui ont classé statistiquement les priorités des Mauriciens. Tous les jours, nous alimentons Facebook et nos blogs avec au moins deux idées. Puis, on analyse l’intérêt des internautes et il se trouve que le law and order arrive en tête, suivi par la corruption et l’environnement.   
 
Des conseillers en communication, dites-vous?
 Oui, enfin, on a des geeks qui nous aident…   
 
Et la franc-maçonnerie, vous aide-t-elle ?
 Non. Cela vingt ans que ne suis plus connecté à ce monde-là.   
 
L’avez-vous renié, ce monde ?
 Non plus. J’ai beaucoup appris de la franc-maçonnerie, sur l’homme, la société, sur moi-même, mais c’est loin maintenant. J’ai pris mes distances, justement, parce que je voulais faire mon parcours seul. Je ne voulais pas que les gens disent: «il est là où il est parce qu’il est franc-maçon.»   
 
Attention, petite devinette piège pour conclure: pour qui la situation sociale est-elle au bord de l’explosion? (dixit Roshni Mooneeram sur la home page de Ensam, NdlR)  
Ce genre de réflexion ne m’intéresse pas, honnêtement. Je suis optimiste en toutes circonstances. Le catastrophisme, très peu pour moi.