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Lilian Eymeric: « Je suis un fou pensant, pas un fou furieux »

21 juin 2014, 00:34

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Lilian Eymeric:  « Je suis un fou pensant, pas un fou furieux »

Lilian Eymeric maître-nageur sauveteur

Mercredi, ce Français de 45 ans s’attaquera à un défi dingue : faire le tour de Maurice à la nage pour aider les enfants diabétiques. Un périple aquatique de 177 kilomètres à réaliser en cinq jours. Rencontre avec un serial crawler.

 

 

C’est la première fois que je rencontre un mutant…

(Sourire gêné) Parce que j’ai l’air d’un mutant ?

 

 

Quel humain se lancerait dans 180 km à la nage ?

Je suis loin d’être une exception ! Non, rassurez-vous, je ne viens pas d’une autre planète. Chacun possède en soi une force, une puissance, mais elle sommeille chez la plupart des gens.

 

 

Pourquoi ?

Je crois que cette force est masquée par nos vies quotidiennes aseptisées. Le corps et l’esprit ont des capacités bien supérieures à ce que l’on croit.

 

 

La semaine prochaine sera-t-elle la plus douloureuse de votre vie sportive ?

Non. Je vais certainement souffrir mais ce ne sera pas plus intense qu’un Ironman ou l’Ultra Trail du Mont- Blanc [une course à pied extravagante : 169 kilomètres autour du toit de l’Europe, dont dix cols à plus de 2000 mètres d’altitude, ndlr].

 

 

Les bons randonneurs parcourent cette boucle en une semaine, et vous ?

J’ai mis 41 heures. Deux jours et deux nuits exceptionnels, les plus intenses de ma vie sportive, une forme d’accomplissement. Par contre, mon corps a mis des mois à s’en remettre.

 

 

Pourquoi le mettre à ce point à l’épreuve ?

C’est une bonne question… (Silence) Pour l’aventure, pour le défi. Pour partir à la conquête de soi, aussi. L’effort long est une rencontre avec soi-même, un dialogue avec son ombre, son double, celui que le quotidien nous cache ou nous interdit de rencontrer. J’y suis déjà allé, je me suis déjà « rencontré », mais j’y retourne, c’est plus fort que moi. Avaler les kilomètres - dans l’eau ou en montagne - est devenu une drogue, comme si j’étais shooté à l’endorphine. L’endurance est un monde à part, il faut y avoir goûté pour comprendre. Mais plus que le défi sportif, c’est l’aventure humaine qui m’aimante.

 

 

Comment est née l’aventure du tour de l’île à la nage ?

Quand je me suis installé à Maurice, il y a un an, j’ai nagé un peu partout pour découvrir l’île. A force de faire des petits bouts, je me suis dit : pourquoi pas le grand tour ? Je suis parti en repérage, j’ai analysé les distances, les courants, les passes, j’ai vu que c’était jouable. Au départ, je pensais le faire en quatre jours, finalement j’en ai ajouté un cinquième à cause des courants de la côte sud.

 

 

Vous nagerez combien d’heures par jour ?

Dix à douze heures. J’ai découpé le parcours en cinq étapes de 35 kilomètres.

 

 

Quelqu’un a déjà fait ça ?

Non. Deux nageurs ont essayé mais aucun n’a fait le tour complet. Je les ai contactés pour prendre des conseils. Les pêcheurs aussi m’ont bien aidé. En fait, quand j’ai commencé à parler de mon défi, naturellement, les gens ont voulu me soutenir. Cela m’a surpris parce que je venais juste d’arriver à Maurice. Un étranger aussi bien accueilli, c’est étonnant. Certaines  personnes m’ont proposé de l’argent, j’ai refusé. L’argent, je m’en fous, je ne suis pas venu ici pour m’enrichir. J’ai 45 ans, je veux juste vivre sereinement en faisant le métier que j’aime.

 

 

Au départ, c’était donc un défi personnel ?

Oui. C’est quand j’ai rencontré des petits diabétiques que j’ai voulu faire ça pour eux aussi. C’est comme ça que l’association T1 Diams s’est greffée à l’aventure.

 

 

Concrètement, chaque kilomètre est « vendu » Rs 2000...

C’est ça, le but est de récolter Rs 354 000. Il faut savoir qu’un enfant diabétique de type 1 a besoin de Rs 6000 par mois d’insuline. Certaines familles sont désoeuvrées, elles n’ont pas les moyens. Or sans insuline, un petit diabétique ne peut pas vivre. Laisser tomber ces enfants, c’est les tuer. J’ai la chance d’être en bonne santé, je dois les aider.

 

 

Ça change quoi de ne plus faire ce défi uniquement pour vous ?

Ça change tout : maintenant, je n’ai plus le droit d’abandonner.

 

 

Vous en êtes où au niveau des dons ?

On est arrivé à Rs 150 000, cela veut dire qu’il nous manque encore trois jours de donation (1).

 

 

Quel est ce métier que vous évoquiez tout à l’heure ?

Lifeguard. Je suis maître-nageur au Riverland, un club de sport à Tamarin. J’ai aussi une  société, Lilian Life Saving Ltd, qui propose des formations. Ça va du sauvetage en mer pour les boat house à la prévention incendie pour les entreprises. L’eau et le feu sont mes éléments. Au départ, je suis sapeur-pompier professionnel. C’était mon métier en France, j’étais adjudant-chef en caserne.

 

 

Qu’est-ce qui vous a amené à Maurice ?

(Hésitant) C’est très intime. Pendant mon divorce, je me suis disputé avec mes parents. Ils ne m’ont plus parlé, j’ai eu toute la famille à dos, je me suis retrouvé seul. Du coup, j’ai décidé de tout quitter pour commencer une nouvelle vie.

 

 

Pourquoi ici ?

Parce que j’étais venu en vacances et j’avais rencontré des gens chaleureux. En plus, on parle français, ça aide pour le travail. Mais je ne vais pas mentir : c’est douloureux de se retrouver  seul à 10 000 kilomètres de chez soi, loin de sa famille, de voir ses enfants uniquement sur Skype...

 

 

Savent-ils dans quoi leur père s’est embarqué ?

Je leur en ai vaguement parlé mais sans plus pour ne pas les effrayer.

 

 

Qu’est-ce qui est le plus effrayant : le froid, l’épuisement, les courants, les requins ?

Le froid ne m’inquiète pas. J’aurai une combinaison, un bonnet, des chaussons, ça devrait aller. Je ne crains pas non plus l’épuisement. Mon corps est prêt à nager douze heures par jour, je saurai gérer l’effort. Ce qui me fait peur, c’est les requins et plus encore la météo. S’il y a des grosses vagues, je risque de perdre énormément de temps. Nager de nuit pour rattraper le retard serait trop dangereux. La solution sera de sortir du lagon [il nagera de préférence dans le lagon, sauf sur la partie des côtes qui en ai dépourvue, ndlr].

 

 

■ Que se passe-t-il dans la tête d’un serial crawler après douze heures d’effort ?

Vous êtes dans un état modifié de conscience. Un peu comme la narcose des profondeurs, en plongée.

 

 

■ On dit souvent des sportifs de l’extrême qu’ils sont des « fous furieux ». Cela s’applique à vous ?

Ceux qui font de l’Ultra-Trail sont tous un peu fou, c’est vrai. Mais un fou furieux ne sait pas ce qu’il fait, ce n’est pas mon cas. Je suis un fou pensant, j’ai préparé ce défi au millimètre.

 

 

■ Comment prépare-t-on son corps et sa tête à un tel effort ?

Avec l’expérience et l’entraînement. Pour que ce soit moins monotone, j’ai alterné le VTT, la course à pied et la nage, des sorties de quatre heures, deux fois par jour quand c’était possible. Tout compte pour réussir ce genre de défi : mon alimentation, par exemple, est suivie par une nutritionniste.

 

 

■ Avez-vous eu des moments de doute ?

Oui, quand je suis retourné en repérage dans le Sud et que j’ai vu la force des courants. Le doute est naturel, il fait partie intégrante de l’aventure. Mais je n’ai jamais dit « j’arrête tout », j’ai trouvé une solution à chaque fois.

 

 

■ Au matin du quatrième jour, après les 100 premiers kilomètres, vous serez dans quel état ?

J’aurai fait plus de la moitié, je serai dans la « descente », ça ira. Les deux premiers jours seront les plus durs. Soixante-dix kilomètres entre Tamarin et Pointe-d’Esny, avec les courants, ça va être costaud. Mais je ne suis pas inquiet, je suis prêt.

 

 

■ Quel sera le rôle du skipper qui vous accompagnera ?

Ce sera mon ange gardien. Il assurera la vigilance et les ravitaillements depuis une pirogue à  moteur. Avec une perche, il va me tendre à boire toutes les vingt minutes et à manger toutes les quarante minutes. Le midi, je monterai à bord pour manger une portion de pâtes, une pause d’un quart d’heure, la seule de la journée. Il y aura un deuxième bateau à fond plat dans lequel je pourrai monter rapidement en cas de gros pépin. Ce bateau sera aussi mes yeux. Je vais nager dans son sillon.

 

 

■ Vous pensez à l’échec ?

(Direct) Non. Je vais réussir, sinon je ne serais pas là en train de répondre à vos questions.

 

 

■ L’idée d’abandonner est intolérable ?

Je n’ai plus le choix. Maintenant que des gens ont donné de l’argent pour les enfants, l’échec est interdit. Même si je fais un malaise, mon skipper me conduira à l’hôpital et je repartirai dès que possible, du même endroit, pour boucler la boucle. Après, je ne maîtrise pas tout : si un requin me mange les deux jambes, ce sera plus compliqué (rire).

 

 

■ En 2010, en Haïti, vous avec vécu une expérience compliquée…

Plus que compliquée : cette expérience a changé ma vie.

 

 

■ Racontez…

Je suis parti à Port-au-Prince comme pompier sauveteur-déblayeur, pour rechercher des victimes du tremblement de terre. Et là, j’ai vu des morts, des morts et des morts [ce séisme a fait plus de 230 000 victimes, ndlr]. Partout, des gens en souffrance, des corps mutilés et personne ne se plaignait jamais. C’était à la fois atroce et incroyable. Plus rien ne tenait debout. Des légionnaires qui avaient fait l’Afghanistan me disaient que c’était pire que la guerre. Les cadavres d’enfants étaient empilés sur les trottoirs. Ça sentait la mort partout, on la voyait, on la touchait, on la respirait. Ça a duré quinze jours, j’ai pris une énorme claque. Depuis, ma vision de la vie n’est plus la même.

 

 

■ C’est-à-dire ?

Cette expérience a changé toutes les données. Mon divorce est lié à… J’ai vu des psys mais je ne suis pas malade, je ressens juste les choses différemment. Je suis devenu plus sensible à la détresse, plus empathique, plus altruiste. Plus intolérant aussi avec ceux qui passent leur vie à se plaindre.

 

 

■ Si vous aviez une devise, quelle serait-elle ?

Celle des pompiers : sauver ou périr.

 

 

■ Etes-vous croyant ?

Oui, mais je ne suis pas pratiquant. Mercredi, j’étais invité dans une école, les enfants ont prié pour moi, ça m’a fait beaucoup de bien.

 

 

■ A quoi vous raccrocherez-vous quand votre tête vous ordonnera de lâcher prise ?

Aux petits qui souffrent, je n’ai pas le droit de les décevoir.

 

 

■ Au fond, qu’allez-vous chercher dans l’océan ?

(Il réfléchit longuement) C’est du 50-50, j’y vais pour les enfants et pour moi. Cela peut paraître égoïste mais ce défi est aussi personnel. C’est ce que l’on disait tout à l’heure : partir à la rencontre de soi en repoussant ses limites physiques et mentales. C’est une forme d’introspection.

 

 

■ A trois jours du départ, que peut-on vous souhaiter ?

Bon vent, peut-être... Ça m’a fait du bien de parler de tout ça. La préparation, c’est beaucoup de temps et de sacrifice en solitaire, mais maintenant il faut que j’y aille…

 

 

■ Où ça ?

Nager.

 

Ses dates

 

 1968. Naissance à Avignon (France)

 1988. Sapeur-pompier professionnel

 2006. Ultra-Trail du Mont-Blanc

 2010. Secouriste en Haïti

 2013. S’installe à Maurice

 

 

NOTE/ (1) : Vous pouvez soutenir ce défi en faisant un don sur le compte de T1 Diams à la MCB (compte n° 000081058810) ou en appelant sur le 52.92.11.11.