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Raj Thacoor, Managing Partner de Grant Thornton Mauritius : «Si nous n’améliorons pas notre écrit et notre parler nous serons rattrapés par d’autres pays africains»

28 mai 2014, 15:08

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Raj Thacoor, Managing Partner de Grant Thornton Mauritius : «Si nous n’améliorons pas notre écrit et notre parler nous serons rattrapés par d’autres pays africains»
Raj Thacoor a chapeauté la première édition d’un séminaire réunissant des associés anglophones et francophones de Grant Thornton en Afrique. Il met l’accent sur la nécessité de maîtriser à la fois l’anglais des affaires et le français afin de rester compétitifs sur le marché africain et Mondial.
 
Grant Thornton International a récemment organisé un séminaire destiné à la région africaine pour mettre en commun les procédés spécifiques élaborés par ses cabinets anglophones et francophones, afin d’atteindre ensemble leurs objectifs. Sur quoi cet exercice a-t-il débouché ?
Cette rencontre a permis de couvrir des sujets importants en faveur d’une intégration plus fluide des procédés élaborés par nos différents cabinets pour des secteurs spécifiques, tels que les secteurs minier et bancaire. Notre objectif est de capter le maximum de marchés du groupe de pays anglophones et de celui des pays francophones. Par exemple, un de nos cabinets en Afrique du Nord a mis au point une version française des normes émanant de l’International Financial Reporting Standards et un programme de formation pour le secteur bancaire dont pourraient bénéficier nos confrères d’autres pays francophones. De telles ressources seront mises à la disposition de toutes les firmes, pour donner un élan de croissance aux activités de chaque cabinet du réseau de Grant Thornton dans la région africaine.
 
De nouvelles opportunités de collaboration entre les différents cabinets ont été mises en lumière. Elles déboucheront certainement sur des possibilités de croissance pour nos clients en Afrique. La tenue d’un colloque sur la taxe en avril a fait suite au séminaire de Grant Thornton. Le but a été de promouvoir, une nouvelle fois, le partage de connaissances entre pays anglophones et francophones.
 
Quel est le facteur qui a poussé Grant Thornton à concilier les deux langues dans le cadre de sa stratégie visant à prendre avantage de la croissance du continent africain ?
L’idée d’éliminer la barrière des langues dans le but de repérer les meilleures pratiques en cours dans les pays d’Afrique a animé des discussions lors de la conférence annuelle du réseau international de Grant Thornton à Delhi, en Inde, en octobre 2013. Après cette rencontre et eu égard à l’expérience enrichissante que j’ai acquise en Afrique, ainsi que mon ancienneté chez Grant Thornton, j’ai été contacté pour lancer et chapeauter la première édition du séminaire réunissant nos confrères anglophones et francophones d’Afrique.
 
Ainsi, dans la continuité de sa stratégie de développement sur le continent africain, Grant Thornton, groupe leader en matière d’audit et de conseil, a mis en place une plateforme pour réunir ses associés africains, anglophones et francophones, pour la première fois en Afrique du Sud, en janvier 2014. Des représentants des 21 firmes membres du groupe sur le continent, dont huit firmes francophones, ont assisté à cet événement.
 
L’objectif était d’encourager une synergie de forces, d’activités et de connaissances du groupe dans la région africaine. Prenons l’exemple du concept communément appelé le «transfer pricing» – le prix de transfert, une méthode à laquelle ont recours plusieurs multinationales. Dans la région, l’Afrique du Sud dispose d’une vaste expertise dans le domaine. C’est une expertise dont pourraient bénéficier plusieurs pays qui ne disposent pas encore de lois sur la question.
 
Nos confrères de certains de ces pays, notamment au Sénégal et à Maurice, ont d’ailleurs déjà exprimé leur souhait de bénéficier de l’aide du cabinet sud-africain dans ce domaine. J’espère que je serai en mesure de positionner Maurice sur ce créneau. C’est de cette manière que nous souhaitons mettre à contribution notre expertise pour offrir à nos clients des solutions pragmatiques, pertinentes et à haute valeur ajoutée.
 
Dans bien des forums, on constate de plus en plus une tendance chez les représentants de l’Afrique francophone à utiliser l’anglais, qui est quand même la langue internationale des affaires. Qu’est-ce qui, selon vous, favorise le développement de ce phénomène ?
Dans notre réseau, nous avons constaté que les anglophones sont souvent réticents à adopter les langues étrangères. L’apprentissage d’une autre langue est pourtant bénéfique pour de nombreuses raisons. Il permet de bénéficier d’un meilleur positionnement dans les négociations avec une entreprise originaire d’un autre pays, ou encore la découverte de nouvelles pratiques. À la question «Quelle langue étrangère connaissez-vous ?», plus de 40 % de ceux interrogés dans l’Union européenne répondent «l’anglais».
 
Ce chiffre révèle sans surprise la place de l’anglais en tant que langue universelle. C’est l’une des trois langues les plus parlées au monde aux côtés du chinois et de l’espagnol. La langue anglaise est d’ailleurs utilisée partout et dans de nombreux domaines, y compris dans les pays dont elle n’est pas la langue officielle. Le monde des affaires en particulier est riche en termes anglophones, surtout en matière d’informatique, de mercatique, de communication ou encore de finances. Chaque jour, nous utilisons des centaines de termes anglais dans le monde entier. Cette universalité démontre bien l’importance de cette langue dans les affaires. Par contre, la langue française est la langue de l’enseignement ou la seconde langue dans les pays francophones d’Afrique. Elle occupe également une place importante au sein des systèmes éducatifs de plusieurs pays non francophones en tant que langue étrangère.
 
La démarche inverse – soit passer au français – estelle possible ?
Selon les chiffres du ministère de la Culture et de la communication français, près de 220 millions de personnes dans le monde maîtrisaient couramment la langue de Molière en 2010. Un chiffre qui, chaque année, augmente de 7,7 % depuis plus de vingt ans. La langue française est en pleine expansion et touche les zones les plus dynamiques du monde, notamment l’Afrique subsaharienne. Une étude récente réalisée par Natixis a estimé que le français devrait être parlé par 750 millions de personnes dans le monde en 2050. Malgré tout, l’anglais est et restera, selon moi, la langue la plus utilisée, particulièrement dans le monde des affaires.
 
Maurice a donc de sérieux concurrents capables de la détrôner de sa position de pays bilingue anglais/français ?
Le Cameroun est le premier de nos concurrents en la matière, avec une population estimée à 21 millions d’habitants en 2013, suivi du Rwanda, avec une population estimée à 12 millions en 2013. Les autorités gabonaises ont depuis 2012 annoncé leur décision d’adopter l’anglais comme deuxième langue de travail. Jusque-là, les investisseurs étrangers restaient éloignés du Gabon, par exemple, à cause des barrières linguistiques. Ils peuvent désormais franchir le pas en venant investir massivement dans ce pays. L’utilisation de l’anglais va contribuer à ouvrir les marchés à des concurrents. Si nous voulons maintenir notre haut avantage en matière de bilinguisme, nous devrions consolider davantage notre maîtrise de l’anglais et du français, à travers notamment un système éducatif plus rigoureux et qui cherche à s’améliorer de manière constante.
 
Quel est le pays africain, parmi ceux que vous connaissez bien, qui, ces cinq dernières années, a réalisé un progrès immense par rapport à sa maîtrise de la langue anglaise ?
En 2010, cette langue est devenue la seule langue d’enseignement public au Rwanda, en remplacement du français. Ce pays a réalisé de grands progrès en termes de développement depuis le génocide et la guerre civile de 1994. Une consolidation de son plan de développement social associée à une accélération de son taux de croissance est bien enclenchée.
 
En 2012, la croissance du produit intérieur brut du Rwanda est restée vigoureuse, à 7,7 %, essentiellement tirée par les secteurs des services et de l’industrie. La diversification des marchés du thé et des minéraux, en particulier le coltan, a stimulé le secteur des exportations qui a enregistré une progression de 24,8 % en 2012. Malgré les efforts déployés par ce pays pour diversifier son économie, le Rwanda demeure fortement tributaire des ressources naturelles et des produits de base. L’agriculture reste la source d’emploi la plus importante : 73 % de la population active travaille dans le secteur primaire, mais celui-ci ne représente que 36 % de la production. Les produits de base constituent 77 % des exportations du Rwanda. Bien que leur contribution au produit intérieur brut soit toujours marginale, les minéraux représentaient 28 % des recettes d’exportation totales en 2012, le reste étant essentiellement constitué de produits agricoles. L’adoption de la langue anglaise est sans aucun doute une initiative louable qui contribue à élargir les possibilités du Rwanda en termes d’obtention de financements de l’étranger, encourageant les efforts de diversification de l’économie.
 
Quelle est votre appréciation de notre soi-disant maîtrise de l’anglais et du français ? Est-ce un mythe ou une réalité, bien entendu dans le domaine des affaires ?
Selon moi, nos enfants apprennent l’anglais et le français, mais ne maîtrisent aucune de ces langues parfaitement. Ainsi, on est souvent qualifié de «semilinguistes». Bien que nous comprenions plus ou moins à 100 % les discussions dans les deux langues, nous avons quelques lacunes au niveau de l’écriture et du vocabulaire, surtout dans le domaine des affaires. Si nous ne trouvons pas de solutions pour améliorer la qualité de notre écrit et de notre parler dans chacune de ces deux langues, nous serons vite rattrapés par d’autres pays en Afrique.